Bosnie-Herzégovine : l'hydroélectricité alimente la contestation

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Par Hans von der Brelie
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La Bosnie-Herzégovine tire la majorité de son énergie d'une source polluante : le charbon. L'hydroélectricité pourrait être une alternative. Mais les barrages suscitent le mécontentement. Habitants et militants écologistes dénoncent leurs conséquences sur la vie économique et l'environnement.

Dans les pays des Balkans occidentaux, les barrages et lacs artificiels sont partout dans le paysage. Grančarevo, l'ouvrage le plus élevé de Bosnie-Herzégovine avec ses 123 mètres, domine Trebinje-1, une centrale électrique inaugurée il y a cinquante ans par le maréchal Tito.

Cette installation hydroélectrique héritée de l'Ex-Yougoslavie est-elle un modèle pour la production d'énergie verte dans l'avenir ?

La Bosnie-Herzégovine tire la plus grande part de son énergie d'une source polluante : le charbon et l'hydroélectricité pourrait être une alternative. Mais les barrages suscitent aussi la contestation.

C'est le cas d'un projet de plusieurs centrales, tunnels, canaux et lacs artificiels sur la rivière Trebišnjica. Il a été pendant longtemps stoppé à la moitié de sa réalisation, seule la partie en aval ayant été construite. Aujourd'hui, le feu vert a été donné pour reprendre son segment en amont.

"Si ça continue comme ça, cet espace naturel sera mort dans trente ans"

La décision suscite la consternation du côté des défenseurs de l'environnement. Le projet couperait l'alimentation en eau du marais d'Hutovo (Hutovo Blato), l'une des zones humides d'Europe les plus riches en biodiversité.

Reconnu comme site Ramsar, l'un des plus hauts niveaux de protection, cet espace naturel est un refuge pour plus de 240 espèces d'oiseaux migrateurs. Le directeur de la division eau douce du WWF Adria Zoran Mateljak nous fait constater que le niveau de l'eau est faible dans le marais.

"On prend de l'eau du marais d'Hutovo pour produire de l'électricité," fait-il remarquer avant d'ajouter : "La profondeur que l'on a en ce moment, c'est à peine la moitié de ce qui est nécessaire pour alimenter cet écosystème sensible, c'est l'une des dernières zones humides de Méditerranée et elle est menacée à cause des travaux qui reprennent au niveau d'"Horizons supérieurs"," dit-il avant de lancer une mise en garde : "Si ça continue comme ça, cet espace naturel sera mort dans trente ans."

"Produire de l'énergie propre"

"Horizons supérieurs", c'est la partie haute du projet qui comprend notamment le site Dabar sur lequel nous nous rendons. Ce réseau complexe de canaux, tunnels, canalisations, lacs artificiels et centrales électriques coûtera quelque 200 millions d'euros. Creuser cet ensemble dans du calcaire n'est pas une mince affaire.

Le directeur du site Dabar Željko Zubac nous montre sur une carte, "un tunnel de 12 km qui aura pour principale fonction de transférer l'eau de ce bassin versant vers la centrale Dabar."

Le site se trouve dans l'une des entités du pays, la République serbe de Bosnie. D'après les informations d'euronews, des responsables politiques ont placé leurs partisans au sein de l'entreprise Dabar.

La Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement (BERD) a refusé de soutenir le projet. Des entreprises de Russie, Turquie, France et Allemagne ont été écartées. La Chine a gardé le marché.

_"Un argument très important en faveur de la réalisation d'"Horizons Supérieurs", c'est de faire de l'énergie propre parce que la Bosnie-Herzégovine a beaucoup de ressources en eau," i_nsiste Željko Zubac.

Développement de l'agriculture

Les conflits dans l'ex-Yougoslavie avaient interrompu la réalisation d'"Horizons supérieurs". Par la suite, le projet a manqué de financements. Aujourd'hui, des négociations financières sont menées avec Pékin.

Si les contrats sont signés, le projet Dabar pourrait être achevé dans quatre ans environ.

Le responsable de la construction imagine un paysage remodelé de plaines karstiques et de vallées montagneuses où l'activité agricole se développerait.

"En hiver, pendant la période de six mois où on a de fortes pluies, [les immenses champs dans la vallée en contrebas] sont inondés par de l'eau provenant de différentes sources comme des nappes souterraines et donc aujourd'hui, ils ne peuvent pas être utilisés correctement pour l'agriculture par leurs propriétaires, mais cela va changer quand on aura redirigé l'eau," assure Nenad Klačar, responsable de construction sur le site Dabar.

Positions inconciliables

Le karst calcaire de la région fonctionne comme une éponge : une multitude de gouffres et de galeries communicantes forment un labyrinthe de rivières souterraines. L'eau qui s'y trouve est une aubaine pour l'hydroélectricité.

Mais qu'en est-il des zones humides ? Le projet "Horizons supérieurs" coupera-t-il leur alimentation en eau ?

"Ce n'est pas le bassin versant du fleuve la Neretva ; le marais d'Hutovo ne fait pas partie de ce bassin versant," affirme le directeur du site Dabar Željko Zubac.

Les militants écologistes ne sont pas d'accord. Selon eux, des connections souterraines existent entre la vallée de Dabar et le marais. Et fermer les gouffres dans les roches karstiques le privera de son eau.

"C'est notre dernière chance de sauver cet espace fantastique," insiste Zoran Mateljak. "Il faut un débit de 5 m³ par seconde en été, ces 5 m³ sont menacés par le projet "Horizons supérieurs" : toute nouvelle dérivation de l'eau fera mourir cet endroit," estime-t-il.

L'avenir de la célèbre source de la Buna, l'une des plus importantes d'Europe avec ses 40.000 litres seconde, alimente aussi les inquiétudes. Elle pourrait être une victime d'"Horizons supérieurs".

Haris Jusurević, batelier, fait partie de ceux qui dénoncent le projet. "Il vaut mieux que ça ne se fasse pas pour la rivière et aussi bien sûr pour les gens qui travaillent sur la rivière, mais c'est d'abord la rivière qu'il faut protéger," déclare-t-il.

Les petites unités aussi...

À Konjic, une ville au bord de la Neretva, ce ne sont pas les grands projets qui cristallisent le mécontement, mais les petites stations hydroélectriques. Amir Variščić, président de l'association Zeleni Neretva, est en colère : une dizaine de ruisseaux tributaires ont été détournés pour alimenter les centaines d'unités qui poussent comme des champignons en Bosnie.

Le lit de la rivière Kraljuštica, par exemple, est asséché après une dérivation. "Le problème, ce sont deux centrales hydroélectriques : elles bloquent la migration des poissons, ils ne peuvent pas remonter le cours du ruisseau ; il n'y a plus d'eau qui s'écoule comme elle a été détournée vers des canalisations," explique-t-il.

"Les poissons, en particulier les espèces endémiques de truites présentes dans cette petite rivière, sont menacées du fait de son assèchement : l'entreprise d'hydroélectricité ne laisse s'écouler que 10% de la quantité d'eau provenant de la source ; donc c'est impossible pour les poissons d'atteindre en amont les zones où ils déposent leurs œufs," déplore-t-il.

De prochaines élections locales

Quand les habitants du village de Parsovici ont appris que leur rivière aussi était menacée, ils se sont mobilisés pour empêcher la construction de 15 unités hydroélectriques le long de la Neretvica.

Lorsque les machines sont arrivées, ils ont bloqué les accès routiers. Résultat : le parlement régional a interdit la réalisation de nouvelles petites centrales.

"On ne veut pas perdre notre rivière," lance Amir Lipovac, agriculteur. "L'eau de la rivière est vraiment importante pour pouvoir vivre de l'agriculture dans notre village : entre 3000 et 5000 personnes dépendent de la rivière et de son eau," dit-il avant d'ajouter : "Le combat continue et on se battra jusqu'au bout, on est prêt à mourir pour sauver notre rivière."

Des élections locales auront lieu cet automne en Bosnie-Herzégovine. Au vu de la forte opposition aux unités hydroélectriques un peu partout dans le pays, les responsables politiques se montrent de plus en plus réticents à leur égard. Mais s'ils ont tendance à freiner les petits projets, ils accélèrent les plus grands dans l'objectif de développer à long terme, une production d'énergie plus verte.

Sources additionnelles • Montage : Myriam Copier ; caméra : Hans von der Brelie ; opérateur drone : Anes Turković ; fixeur : Asim Bešlija ; production : Birgit Plessa, Evgeniya Rudenko, Céline Guillermin ; supervision : Jeremy Wilks

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