La course pour accueilir l'agence de l'UE contre le blanchiment d'argent s'intensifie

L'UE cherche un siège pour son agence de lutte contre le blanchiment d'argent
L'UE cherche un siège pour son agence de lutte contre le blanchiment d'argent Tous droits réservés (Alexas/Pixabay)
Tous droits réservés (Alexas/Pixabay)
Par Jack Schickler
Partager cet articleDiscussion
Partager cet articleClose Button
Cet article a été initialement publié en anglais

La géopolitique et les prouesses en matière de lutte contre le blanchiment d'argent sont autant d'éléments qui entrent en jeu lorsque les villes candidates se disputent la nouvelle agence.

PUBLICITÉ

La bataille pour accueillir l'agence européenne de lutte contre le blanchiment d'argent s'intensifie. Neuf villes s'affrontent après la clôture des candidatures.

C'est une lutte acharnée qui oppose l'Est et l'Ouest, les petits aux grands, et les membres fondateurs aux nouveaux arrivants dans l'UE, selon de nombreuses sources auprès desquelles Euronews s'est entretenue.

Après une série de scandales bancaires, l'Union européenne souhaite durcir ses règles pour lutter contre l'argent sale. Mais elle doit d'abord se demander où placer les quelque 400 personnes chargées de faire respecter ces règles et les 10 000 mètres carrés de bureaux dont elles auront besoin.

Le dépôt des candidatures est clos depuis vendredi dernier et les villes candidates sont Paris, Francfort, Rome, Madrid, Bruxelles, Vienne, Riga, Vilnius et Dublin.

Si les principales institutions de l'Union européenne se trouvent à Bruxelles, Luxembourg et Strasbourg, ses quelque 40 agences spécialisées sont réparties dans les 27 États membres et couvrent tous les domaines, de l'exploration spatiale à l'égalité entre les hommes et les femmes.

La bataille pour accueillir les autorités sanitaires et bancaires de l'UE, contraintes de quitter Londres après le Brexit, a été particulièrement serrée. Les gagnants ont dû être sélectionnés par tirage au sort.

Aujourd'hui, une querelle similaire se prépare au sujet de l'Autorité européenne de lutte contre le blanchiment d'argent (AMLA), qui, selon les plans examinés par les législateurs, supervisera directement le contrôle de l'argent sale dans une quarantaine d'institutions financières transfrontalières parmi les plus risquées, et gardera un œil sur les secteurs à haut risque tels que les négociants en métaux précieux et d'œuvres d'art.

Le sens pratique allemand

Première puissance économique de l’UE, l'Allemagne, défend une approche pratique de l'AMLA. Elle fait valoir que la nouvelle agence devrait être installée à Francfort afin de pouvoir travailler efficacement dès le premier jour.

"L'AMLA devrait se trouver dans un centre bancaire", a précisé Christian Lindner, ministre allemand des Finances, devant un auditoire bruxellois jeudi. Le libéral a rappelé que la ville accueillait déjà la Banque centrale européenne. "Aucune ville n'est aussi bien placée pour favoriser ce type de collaboration".

Mais si l'Allemagne vante son poids actuel, ses rivaux soutiennent l'inverse et estiment qu'il est injuste que les membres les plus anciens et les plus importants de l'UE bénéficient de toutes les largesses de l'Union.

"L'Irlande est au centre de l'Europe en termes de participation... bien qu'elle soit une île à la périphérie", a répondu à Euronews Jennifer Carroll MacNeill, ministre d'État au ministère irlandais des Finances.

Bien qu'elle soit membre de l'UE depuis plus de 50 ans, l'Irlande n'héberge qu'une seule institution européenne, "très petite", l'agence du marché du travail Eurofound, explique la responsable irlandaise.

Le ministre allemand "défend un point de vue différent du mien, un point de vue diamétralement opposé", ajoute-t-elle. "Il dit qu'il faut concentrer davantage l'AMLA au cœur de l'Europe".

Qui est le plus attractif ?

Les candidatures pour accueillir l'agence sont officiellement connues depuis vendredi en fin de journée. Les responsables politiques ont déclaré que le candidat retenu devait attirer un personnel de premier ordre. Cette exigence pourrait être favorable pour un centre comme Vienne, régulièrement classée comme la ville la plus agréable à vivre au monde.

Mais les candidatures à l'AMLA seront également examinées à la loupe pour leurs propres résultats en matière de lutte contre la finance illicite. Installer l'agence dans un point névralgique du blanchiment d'argent serait, à tout le moins, préjudiciable à la réputation de l'Union européenne.

Cela a forcé des candidats comme la Lituanie à se mettre sur la défensive. Un rapport publié en 2022 par Moneyval, l'unité de lutte contre le blanchiment d'argent du Conseil de l'Europe, a menacé d'adresser un avertissement formel au pays balte, après avoir constaté qu'il n'enregistrait pas les comptables et les agents immobiliers conformément aux normes internationales.

Mais la ministre lituanienne des Finances, Gintarė Skaistė, souligne que Vilnius est une cité, verte, numérique et talentueuse, un foyer idéal pour l'AMLA.

La Lituanie a déjà revu ses règles pour les crypto-monnaies, et un autre projet de loi anti-blanchiment devrait être présenté lors de cette session parlementaire, a déclaré la ministre à Euronews, ce qui signifie que l'avis de Moneyval pourrait bientôt être obsolète.

PUBLICITÉ

Elle cite également une étude concurrente du groupe de réflexion Basel Institute on Governance qui place la Lituanie parmi les dix pays les moins à risque en matière de lutte contre le blanchiment d'argent, aux côtés du Danemark et d'Andorre.

Les pays voisins ont été impliqués dans de récents scandales de blanchiment d'argent. Il y a quelques années, la banque lettone ABLV a été liquidée après que le Trésor des États-Unis l'a désignée comme étant concernée par le blanchiment d'argent, tandis que la Danske Bank a plaidé coupable et a accepté de renoncer à 2 milliards de dollars pour des paiements illicites en Estonie.

Gintarė Skaistė a pris ses distances avec ces voisins, mais elle pense qu'il y a des raisons géopolitiques de choisir un pays balte face à l'agression russe.

"Une institution forte, travaillant notamment dans le domaine de la lutte contre le blanchiment d'argent, serait un signal fort pour les pays limitrophes de l'Europe”, juge-t-elle. "Il s'agirait d'un signe de solidarité et de confiance dans la région : nous faisons partie de l'Europe".

L'influence politique

Les décisions finales concernant l'emplacement de l'AMLA doivent être prises conjointement par le Conseil, qui regroupe les États membres de l'UE, et par le Parlement européen.

PUBLICITÉ

Si les fonds de l'UE venaient à être attribués aux circonscriptions des eurodéputés les plus influents, cela pourrait favoriser la candidature d'un autre grand pays de l'UE, l'Espagne.

Madrid préside actuellement le Conseil de l'Union européenne et compte parmi ses membres Eva-Maria Poptcheva, l'une des deux eurodéputées qui dirigent les travaux du Parlement sur la nouvelle agence.

Pourtant, les fonctionnaires espagnols nient tout parti pris en faveur de leur capitale, et affirment qu'ils ne sont que des intermédiaires dans les discussions sur la loi AMLA.

"Je ne pense pas qu'à ce stade, le fait d'être à la présidence tournante apporterait un avantage supplémentaire", estime Carlos Cuerpo, secrétaire général du Trésor espagnol. "Il y aura une séparation claire de notre côté lorsque nous examinerons la candidature de Madrid".

Carlos Cuerpo explique que la candidature de Madrid était la "proposition globale la plus forte", ce qui implique qu'elle peut être soutenue pour ses propres mérites, mais il a également ajouté qu'il était "grand temps" pour la capitale d'obtenir enfin une institution de l'UE.

PUBLICITÉ

Le processus de sélection sera complexe et acharné.

Les ministres des Finances sont également engagés dans une bataille sur les règles fiscales et sur la désignation du prochain président de la Banque européenne d'investissement - un poste pour lequel l'Espagnole Nadia Calviño est une candidate de premier plan.

Un grand marché

Pourtant, Carlos Cuerpo et Christian Lindner nient tout chevauchement entre ces négociations déjà complexes.

"Cela ne devrait pas faire partie d'un quelconque marchandage, à savoir quel Etat membre pourrait accueillir l'AMLA", assure le ministre allemand. "Il y a des arguments en faveur de Francfort qui ne sont liés à aucune autre décision que nous devrons prendre dans les semaines et dans les mois à venir".

Quel que soit l'État qui remportera la couronne de l’AMLA, il y aura beaucoup de perdants et beaucoup d'espaces d'exposition laissés vacants.

PUBLICITÉ

Si l'AMLA ne veut pas utiliser les bâtiments qui lui sont destinés à Francfort, Christian Lindner se dit qu'ils pourraient servir de nouveau siège à son propre ministère.

Partager cet articleDiscussion

À découvrir également

La Commission européenne relance la bataille contre le blanchiment d’argent

Les 11 moments qui ont marqué le mandat du Parlement européen

Qui pourrait succéder à Ursula von der Leyen à la tête de la Commission européenne ?