L’accord de l’UE sur les travailleurs des plateformes numériques tombe à l’eau

La directive proposée pourrait reclasser des millions de "gig workers" dans l'UE en tant que "salariés" et leur donner accès aux droits fondamentaux du travail.
La directive proposée pourrait reclasser des millions de "gig workers" dans l'UE en tant que "salariés" et leur donner accès aux droits fondamentaux du travail. Tous droits réservés Shuji Kajiyama/Copyright 2022 The AP. All rights reserved
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Par Jorge LiboreiroAida Sanchez Alonso
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Cet article a été initialement publié en anglais

L'accord sur un projet de loi pour améliorer les conditions de travail de millions de travailleurs dans l'UE s'est envolé de manière inattendue vendredi lors d'une réunion des 27 ambassadeurs à Bruxelles.

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L’accord politique était pourtant conclu entre les institutions de l’UE. En vertu du compromis, les travailleurs indépendants des plateformes numériques, telles qu'Uber et Deliveroo par exemple, pouvaient bénéficier d’une requalification en tant qu'employés. 

Ce changement a pour but de leur octroyer l'accès aux droits sociaux et à l’application du droit du travail. Pour cela, un travailleur devait remplir deux des cinq critères convenus par les responsables européens.

Cette requalification de statut concernerait dans l’Union environ 5,5 millions de personnes qui sont liés à des plateformes, selon les estimations de la Commission européenne.

L'accord provisoire a été conclu la semaine dernière entre le Parlement européen et le Conseil, l'institution qui représente les États membres.

Les ambassadeurs de l’UE devaient donc ratifier le texte issu des négociations. Mais lors de la réunion de vendredi, une majorité, qualifiée de "solide" par une source diplomatique, s'est fermement opposée au résultat des discussions institutionnelles, rendant impossible toute avancée.

La présomption légale d'une relation de travail (par opposition au travail indépendant) et la charge administrative sont les deux arguments les plus souvent cités pour expliquer cette opposition de dernière minute.

"Nous sommes arrivés à la conclusion que nous ne disposons pas de la majorité qualifiée nécessaire pour parvenir à un accord sur ce dossier important", a déclaré un porte-parole de la présidence espagnole du Conseil de l’UE.

"Nous avons donc décidé de ne pas soumettre le texte au vote formel du COREPER (la réunion des ambassadeurs) aujourd'hui et de le transmettre à la future présidence belge pour qu'elle poursuive les négociations, auxquelles nous souhaitons bonne chance".

Ce revirement s’est déroulé dans les dernières heures avant la pause institutionnelle des fêtes de fin d’année. Autrement dit, un nouvel effort pour amender le texte et recueillir les votes nécessaires n'aura probablement pas lieu avant la mi-janvier, au plus tôt.

Si les changements demandés sont trop importants, le Conseil sera contraint de rouvrir les négociations avec le Parlement, ce qui prolongera encore le processus. Or le temps presse, les responsables politiques n'ont que jusqu'au mois de février pour conclure toutes leurs négociations en raison de la date butoir imposée par les prochaines élections européennes, prévues au début du mois de juin.

Un rejet à ce stade du processus législatif est extrêmement rare et constitue un revers pour la directive. Cette décision est comparable il y a quelques mois aux demandes de dernière minute de l'Allemagne d'inclure une exemption pour les carburants synthèses dans une interdiction progressive des ventes de voitures à moteur thermique.

Cette fois-ci cependant, les raisons de l'opposition sont décrites comme étant beaucoup plus larges.

Elisabetta Gualmini, l'eurodéputée socialiste et rapporteure du texte au Parlement, tente de minimiser la situation. Elle se dit confiante dans le fait qu'une solution puisse être bientôt trouvée.

"On ne peut pas dire que l'accord a été rejeté parce qu'il n'y a pas eu de vote (entre les ambassadeurs). Il y a eu une résistance de la part de certains pays, mais je vous assure que tous les pays n'ont pas cette résistance", explique Elisabetta Gualmini à Euronews lors d'une conversation téléphonique, sans nommer de capitale en particulier.

"Nous continuerons à négocier et nous espérons surmonter les résistances et conclure le processus sous la présidence belge.

La directive a été présentée par la Commission européenne en décembre 2021 et a immédiatement déclenché une campagne de lobbying de la part du secteur privé.

Un rapport publié l'année dernière par Corporate Europe Observatory révéle que des entreprises comme Uber, Deliveroo, Bolt et Wolt ont rapidement augmenté leurs dépenses à Bruxelles pour influencer l’élaboration du texte. Ces entreprises sont confrontées à la perspective d'une explosion des coûts si des millions de travailleurs qui utilisent leurs plateformes sont reclassés en tant qu'employés et ont accès aux droits du travail et aux droits sociaux tels que le salaire minimum, les négociations collectives, la limitation du temps de travail, l'assurance maladie, les congés de maladie, les allocations de chômage et la retraite.

La directive, telle qu'approuvée par le Conseil et le Parlement, introduirait également des règles sur l'utilisation des algorithmes pour la gestion des ressources humaines. Elle empêcherait également les plateformes de traiter certains types de données personnelles, comme l'état émotionnel et psychologique des travailleurs indépendants, leurs conversations privées et leur activité syndicale.

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