La dérive autoritaire des pouvoirs polonais

La dérive autoritaire des pouvoirs polonais
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Par Ewa Dwernicki
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La situation politique en Pologne, qui le week-end dernier a été le théâtre de manifestations à la fois anti et pro gouvernementales, commence à inquiéter. Le président du Parlement européen Martin Schulz l’a même qualifiée de « dramatique » en la comparant à un « coup d’Etat ».

Quelque 50 000 personnes sont descendues samedi dans les rues de Varsovie au nom de la défense de la démocratie. La marche a été organisée par l’association Comité de défense de la démocratie fondée récemment et dont l’expansion fulgurante s’apparente à un véritable sursaut citoyen. En réaction, le lendemain dimanche, le parti Droit et justice (PiS) actuellement au pouvoir a fait à son tour descendre 20 000 militants conservateurs dans les rues de la capitale.

Menace sur les contre-pouvoirs

L’opposition libérale accuse le gouvernement, entré en fonction depuis un mois, d’enfreindre la loi dans le processus de nomination des juges du Tribunal constitutionnel, la plus haute instance judiciaire du pays et seul organe habilité à contrôler le parlement. Elle reproche au PiS de vouloir y introduire des juges favorables à sa politique dans le but ultime de faciliter le remodelage de la Constitution pour instaurer un régime présidentiel fort. La bataille pour la domination de cette instance est d’autant plus importante qu’elle permettrait au PiS de Jaroslaw Kaczynski de contrôler le pouvoir judiciaire, la seule conquête qui manque à son palmarès, le parlement et la présidence du pays étant déjà entre ses mains.

L’attitude des pouvoirs à ce sujet a non seulement ému les plus éminents juristes polonais, qui ont parlé d’un « viol de la Constitution », mais elle a également poussé quinze anciens chefs d’Etats et de gouvernement polonais et des ex-présidents des deux chambres du parlement à déclarer ensemble leur opposition à « la remise en doute de l’autorité et de l’indépendance du Tribunal constitutionnel » par le PiS. Parmi les signataires figurent, entre autres, Bronislaw Komorowski et Aleksander Kwasniewski, anciens présidents de la République polonaise.

Mais la crise du Tribunal n’est pas le seul signe de dérive autoritaire des nouveaux gouvernants. Ainsi, après avoir obtenu la confiance du parlement, la Première ministre Beata Szydlo a remplacé immédiatement les chefs des services secrets. Dans le même temps, le président Duda a gracié l’ancien chef du Bureau central anticorruption (CBA), Mariusz Kaminski, pourtant condamné à trois ans de prison pour avoir outrepassé ses compétences. Ayant fait appel de cette condamnation, ce dernier avait entretemps été nommé ministre coordinateur des services spéciaux dans le gouvernement PiS.

Liberté d’expression en danger

Parallèlement, les annonces de réformes dans les médias publics ne devraient pas tarder à être réalisées. Le gouvernement s’apprête en effet à faire adopter une nouvelle loi sur l’audio-visuel public qui serait désormais “national” et où des purges massives seraient envisagées.

La séance d’exorcisme effectuée dimanche par un prêtre dans le cadre de la manifestation pro gouvernementale devant le siège du quotidien laïc et pro-européen Gazeta Wyborcza (symbole de la victoire de la démocratie en Pologne, le journal a été fondé par Adam Michnik, grande figure de l’ancienne dissidence polonaise) est probablement le signe annonciateur du traitement que le gouvernement PiS veut réserver au médias qui ne suivent pas sa ligne directrice. L’incident, dont ce quotidien polonais au renom international a été victime, pourrait être qualifié d’anecdotique si les autorités en place n’avaient pas entrepris d’annuler les abonnements à Gazeta des ministères et grandes administrations, d’interdire aux sociétés publiques toute publicité dans les pages du journal et si une grande partie de son capital n’était pas détenue par des entreprises nationales.

La détermination des journalistes de Gazeta à reprendre la bataille de la liberté est perceptible dans la déclaration faite par son rédacteur en chef adjoint Jaroslaw Kurski. «La réponse à cette arrogance est le Concert pour la liberté d’expression [qui se tenait dans les locaux du journal au moment de la séance d’exorcisme, ndlr]. Il est également la traduction de notre solidarité avec les journalistes des médias publics, qui seront bientôt licenciés. Je crains que le mot « vérification », apparu avec l’état de siège [années 1981-1984, ndlr], ne vive une nouvelle jeunesse (…). Ils doivent savoir qu’ici il y aura de la résistance et que nous sommes un bastion de la liberté d’expression», a-t-il déclaré dimanche.

A l’instar du Fidesz en Hongrie de Viktor Orban, en Pologne le parti conservateur et eurosceptique Droit et Justice est en train de s’emparer de tous les leviers du pouvoir. La société civile polonaise saura-t-elle résister à cette déferlante autoritaire ? Etant donné qu’aucun nouveau scrutin n’est prévu avant longtemps, l’attente d’une alternance risque d’être longue et douloureuse. Plus d’un quart de siècle après la chute du communisme, la Pologne entame une période pour le moins préoccupante.

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