Gaz à effet de serre : que fait le secteur aérien pour réduire ses émissions ?

Un avion passe devant le soleil lors de son décollage à Francfort, en Allemagne, (2019)
Un avion passe devant le soleil lors de son décollage à Francfort, en Allemagne, (2019) Tous droits réservés Michael Probst/Copyright 2019 The AP. All rights reserved
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Par Julien Pavy
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A l'arrêt durant la pandémie, le trafic aérien est de nouveau en plein essor. Cette tendance semble aller à contre-courant des efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre, même si le secteur a entamé sa mue vers la décarbonation. Mais la route s'annonce longue.

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Dans son dernier rapport, l'association du transport aérien international (IATA) table pour cette année sur 4,35 milliards de passagers, des chiffres proches des niveaux records d'avant pandémie.

Le trafic aérien s'est remis de la crise du Covid

S'il témoigne d'une bonne dynamique économique et d'une possibilité retrouvée des populations à voyager librement, ce fort rebond du trafic semble en revanche aller à rebours des ambitions de réduction des émissions de Co2 affichées par les pouvoirs publics européens et au-delà.

Car le secteur est souvent pointé du doigt pour sa responsabilité dans le réchauffement climatique.

Pour Alexis Chailloux, responsable voyage bas-carbone auprès de Greenpeace France, cette reprise accélérée est une mauvaise nouvelle : "Il faut rappeler que l'avion est le mode de transport le plus néfaste pour le climat (...) En 2018, avant le Covid, l'aérien représentait environ 6% du réchauffement climatique alors qu'il est pris par une minorité de personnes (...)Si vous êtes un cadre supérieur, vous allez prendre l'avion 17 fois plus que si vous êtes un ouvrier."

Avant le Covid, l'aérien représentait environ 6% du réchauffement climatique alors qu'il est pris par une minorité de personnes.
Alexis Chailloux
Responsable voyage bas carbone, Greenpeace France

L'explosion du trafic aérien est liée principalement aux vols de loisirs avec l'essor ces dernières décennies des compagnies low cost qui desservent de plus en plus de destinations européennes à des prix extrêmement bas. Ainsi en France, entre 2008 et 2018, le nombre de vols pour motif personnel a doublé tandis que les vols professionnels sont restés stables, rappelle Greenpeace.

Et cet essor devrait se poursuivre selon Jérôme Bouchard, expert en aéronautique pour la société de conseil Oliver Wyman : "Selon nos études, le trafic aérien va augmenter de plus de 5 % par an jusqu'au milieu de la décennie prochaine (...) C'est à l'industrie de trouver des solutions pour décarboner afin de continuer à voler tout en minimisant les rejets de gaz à effet de serre dans l'atmosphère."

euronews (Source : OACI : IATA)
L'évolution du trafic aérieneuronews (Source : OACI : IATA)

Des mesures jugées trop timides pour juguler le trafic aérien

Mais de manière générale, associations et ONG environnementales pointent le manque de mesures structurelles ambitieuses pour réduire les émissions de CO2 liées au trafic aérien.

La France, par exemple, a publié en mai un décret interdisant les vols intérieurs lorsque un trajet en train de moins de 2h30 est possible. Une mesure jugée "anecdotique" par les défenseurs du climat, car elle ne concerne qu'une poignée de lignes sur la centaine de liaisons intérieures.

Réseau Action Climat, la Fabrique écologique
Les lignes interdites quand un trajet en train de 2h30 est possibleRéseau Action Climat, la Fabrique écologique

Au niveau européen, certaines initiatives sont toutefois jugées intéressantes. Par exemple, l'aéroport d'Amsterdam-Schiphol a annoncé son intention de supprimer les vols de nuit d'ici à fin 2025 et de limiter les vols en jet privé, à la fois pour lutter contre la pollution sonore et contribuer à atteindre les objectifs climatiques.

Une fiscalité incohérente

Pour réduire davantage le trafic, les associations écologistes préconisent par ailleurs de mettre fin aux cadeaux fiscaux accordés à l'aérien.

Alexis Chailloux pointe certaines incohérences : "Les Français qui font un Paris-Barcelone en avion, non seulement ne payent pas de TVA, mais en plus sont exemptés de taxe sur le kérosène. S'ils font le même trajet en train, ils vont payer une taxe sur l'énergie, en l'occurrence sur l'électricité, et une TVA aux voyageurs. Ce deux poids, deux mesures est assez incompréhensible surtout quand on connaît les impacts climatiques de l'avion par rapport au train."

Greenpeace propose également une taxe progressive qui ciblerait les voyageurs les plus actifs :"L'idée, c'est que plus vous prenez l'avion, plus la taxe sera élevée ce qui permettrait de faire peser l'effort sur les personnes qui prennent régulièrement l'avion et non pas sur un individu qui aimerait, par exemple, rendre visite à sa famille dans les Antilles qu'il n'a pas vue depuis trois ans."

Investir dans le ferroviaire

Le développement du réseau ferroviaire est l'autre levier mis en avant par les défenseurs du climat.

"En Europe, les grandes villes ne sont pas encore parfaitement connectées, que ce soit en TGV ou en train de nuit. Par ailleurs, en raison du Covid, certaines lignes de nuit emblématiques comme Paris-Venise ou Hendaye-Lisbonne, ont disparu", déplore Alexis Chailloux.

En Europe,les grandes villes ne sont pas encore parfaitement connectées, que ce soit en TGV ou en train de nuit.
Alexis Chailloux
Responsable voyage bas carbone auprès de Greenpeace France

D'autres sont favorables à des mesures plus radicales pour plafonner le trafic aérien comme Jean-Marc Jancovici, président de "The Shift project, qui a proposé un quota de 4 vols par vie.

Dans cette lignée, une tendance née en Suède, le "flygskam", ou la honte de prendre l'avion, semble faire son chemin petit à petit sur le continent européen et incite de plus en plus de voyageurs à se détourner des aéroports pour venir prendre le train.

Les leviers pour verdir le secteur aérien

Conscient de son emprunte carbone, le secteur aérien a entrepris un vaste chantier pour prendre le virage de la transition écologique et réduire ses émissions. Mais la route s'annonce longue.

Jérôme Bouchard identifie plusieurs leviers à commencer par l'optimisation de la performance des moteurs :"Un A320 de dernière génération qui sort de l'usine Airbus aujourd'hui émet 20% de moins que le même A320 qui sortait de la même usine Airbus il y a 20 ans", souligne l'expert aéronautique de la société Oliver Wyman qui pointe également d'autres solutions possibles dans l'immédiat comme l'amélioration des trajectoires de vols et une meilleur gestion du trafic afin d'éviter par exemple "que les avions attendent dans le ciel en tournant au dessus des aéroports parce qu'il est saturé."

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Le troisième levier, "le plus important en termes de décarbonation dans les trente prochaines années", sera le carburant durable d'aviation (Sustainable aviation fuel), en l’occurrence des carburants de synthèse moins polluants que le kérosène produits à partir de sources non fossiles comme la biomasse, les algues, les déchets agricoles ou alimentaires.

Enfin le dernier levier, à l'horizon 2035-2040 : l'hybridation électrique ou les avions fonctionnant à hydrogène.

"En combinant ces différents leviers, on arrivera à l'horizon 2050 à une quasi neutralité carbone", résume Jérôme Bouchard. "Il restera toujours une partie d'émissions marginales qu'il faudra arriver à effacer, grâce à des technologies de captage direct de l'air qui consistent à aller chercher le carbone directement dans le ciel avec d'énormes séchoirs à cheveux pour au final, éventuellement le recycler en carburant pour l'industrie aéronautique."

En combinant ces différents leviers, on arrivera à l'horizon 2050 à une quasi neutralité carbone.
Jérôme Bouchard
Expert en aéronautique - Cabinet de conseil Oliver Wyman

Une révolution technologique trop longue face à l'urgence climatique ?

Si Greenpeace salue les efforts de l'industrie pour se décarboner, elle pointe en revanche les délais trop longs de cette révolution technologique face à l'urgence climatique : "L'avion du futur, c'est dans le futur, pour l'instant ça n'existe pas. Le seul levier efficace à court terme pour réduire les émissions d'ici 2030, c'est la réduction du trafic", explique Alexis Chailloux.

L'avion du futur, c'est dans le futur, pour l'instant ça n'existe pas.
Alexis Chailloux
Greenpeace France

D'autant qu'une grande partie de la flotte actuelle devrait encore voler longtemps, reconnaît Jérôme Bouchard : "En 2050, on peut considérer que l'immense majorité des avions sera encore sur des technologies telles qu'on les connaît aujourd'hui et que la part des nouveaux avions hybrides, électriques ou hydrogènes, sera, certes en forte croissance, mais malgré tout marginale par rapport aux technologies actuelles."

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