L’UE veut protéger quatre secteurs critiques pour faire face à ses concurrents

La Commission européenne a lancé une série d'évaluations des risques concernant les technologies sensibles, notamment les semi-conducteurs avancés.
La Commission européenne a lancé une série d'évaluations des risques concernant les technologies sensibles, notamment les semi-conducteurs avancés. Tous droits réservés JOSEP LAGO/AFP or licensors
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Par Jorge Liboreiro
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Cet article a été initialement publié en anglais

La Commission européenne a dévoilé, mardi, une liste préliminaire de quatre domaines technologiques qui pourraient être utilisés à mauvais escient pour soutenir des régimes autocratiques et violer les droits de l'homme.

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Les semi-conducteurs, les systèmes d'intelligence artificielle, l'informatique quantique et la biotechnologie seront passés au crible afin de déterminer si leurs exportations et importations représentent un danger pour la sécurité de l'Union européenne dans son ensemble.

L'analyse interne donnera lieu à des consultations étroites et intenses avec les 27 États membres et le secteur privé afin de présenter au printemps une liste finale de technologies à haut risque.

Cette désignation pourrait ouvrir la voie à d'éventuelles restrictions, y compris des interdictions commerciales et un filtrage des investissements, même si une telle mesure sera certainement contestée par certaines capitales réticentes à voir l’UE s'immiscer dans des questions de sécurité nationale.

La sélection présentée mardi est le premier résultat tangible de la stratégie de "réduction des risques" lancée par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, dans le but de diminuer les vulnérabilités et les dépendances que l'Union européenne a accumulées au cours de plusieurs décennies au nom du libre-échange.

La responsable allemande a proposé à l'origine  ce plan dans le contexte des relations entre l'UE et Pékin, qui se sont fortement dégradées en raison de la répression des Ouïghours dans la région du Xinjiang, des origines de la pandémie de Covid-19, de la guerre de la Russie contre l'Ukraine et des tensions persistantes dans le détroit de Taïwan.

La Chine n'est pas citée nommément dans le document présenté mardi, même si son ombre plane sur ce dossier dont l'objectif est d'examiner les technologies sous l'angle de la sécurité nationale et économique.

L'UE et ses alliés du G7 accusent Pékin de redoubler la répression de ses propres citoyens et d'adopter un comportement plus affirmé dans ses relations internationales, recourant souvent à la coercition, aux représailles et à la désinformation.

Mais traiter avec la Chine est un chemin semé d'embûches, car le pays contrôle une part importante de matières premières critiques et des produits manufacturés indispensables à la décarbonation de l'économie, comme les panneaux solaires, les batteries et les voitures électriques. Pékin n'hésite pas à utiliser ses chaînes d'approvisionnement pour punir ses détracteurs.

Un acteur, pas un terrain de jeu

La Commission européenne souhaite mettre en place des garde-fous au cas où l'UE serait victime de ce type de représailles, où des dépendances bien ancrées se retournent contre la sécurité nationale, causant des ravages dans des secteurs entiers et mettant en péril des milliers d'emplois.

"La technologie est actuellement au cœur de la compétition géopolitique. Et l'UE veut être un acteur, pas un terrain de jeu", a précisé Věra Jourová, vice-présidente de la Commission européenne chargée des Valeurs et de la Transparence, lors de la présentation mardi de la proposition.

"Ce n'est pas contre un pays en particulier. Nous faisons ce que nous pensons être dans l'intérêt général de nos concitoyens", a ajouté à ses côtés Thierry Breton, Commissaire européen en charge du Marché intérieur. "Lorsque nous voyons qu'il y a un risque de dépendance excessive, un risque de rupture d'une chaîne d'approvisionnement qui pourrait être critique pour nous, nous prenons des mesures, nous n'attendons pas".

Les évaluations des risques lancées mardi visent à mieux comprendre quatre domaines technologiques clés, qui ont été sélectionnés en raison de leur évolution constante, de leur nature transformatrice et de leur potentiel imminent d'utilisation abusive à des fins militaires et de violation des droits de l'homme, comme la surveillance de masse. La Commission classe ces éléments en quatre catégories :

• Les semi-conducteurs avancés, y compris la microélectronique, la photonique, les puces à haute fréquence et les équipements de fabrication de semi-conducteurs.

• L'intelligence artificielle, y compris le calcul à haute performance, le cloud, l'analyse de données, la vision par ordinateur, le traitement du langage et la reconnaissance d'objets.

• La technologie quantique, y compris l'informatique quantique, la cryptographie quantique, les communications quantiques, la détection quantique et le radar quantique.

• La biotechnologie, y compris les techniques de modification génétique, les nouvelles techniques génomiques, le guidage génétique et la biologie synthétique.

Les États membres, les experts et les représentants du secteur privé participeront à cette analyse et soumettront leurs commentaires et, idéalement, des informations confidentielles susceptibles d'apporter une vision plus riche des pièges et des effets secondaires de ces technologies.

Sur la base de ces consultations, la Commission présentera au printemps une liste finale des technologies les plus sensibles, qui pourrait être plus courte que la sélection présentée.

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Parallèlement, des discussions auront lieu sur six autres domaines technologiques critiques qui pourraient également faire l'objet d'une évaluation des risques à l'avenir. Ce groupe comprend de nombreux produits connus du grand public, tels que la réalité virtuelle, la cybersécurité, les capteurs, la navigation spatiale, les réacteurs nucléaires, l'hydrogène, les batteries, les drones et la robotique.

"Soyez certains que nous continuerons, en visant tout le reste", insiste Thierry Breton.

Contrôle et sélection

Ce qui se passera après la publication de la liste finale n'est qu'un jeu de devinettes.

Les hauts fonctionnaires de la Commission évoquent trois possibilités : promouvoir des alternatives locales, établir des partenariats avec des pays partageant les mêmes idées et se protéger contre les menaces économiques. C'est dans le cadre de cette dernière option - la protection - que l'Union européenne pourrait imposer des restrictions commerciales.

Les Pays-Bas ont ouvert la voie en début d'année en bloquant les exportations de micropuces de pointe destinées à la Chine, arguant qu'elles pourraient être utilisées à des fins "indésirables". La décision néerlandaise a influencé la Commission dans l'élaboration de sa toute première stratégie de sécurité économique, adoptée en juin.

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Dans le cadre de ce plan, l’institution travaille sur un mécanisme permettant de contrôler les flux d'investissements sortants, c'est-à-dire les projets d'investissement que les entreprises européennes réalisent en dehors des frontières de l'Union. Cet outil, qui devrait être dévoilé avant la fin de l'année ne s'appliquera qu'aux investissements qui représentent un risque élevé de fuite de savoir-faire et de menaces pour la sécurité.

Ces deux voies - contrôles plus stricts des exportations et vérification des investissements sortants - ne manqueront pas de se heurter à la résistance de certains États membres, peu enclins à s'aliéner Pékin par crainte de perdre l'accès au marché chinois.

Une enquête antisubventions récemment lancée par la Commission sur les voitures électriques fabriquées en Chine a par exemple reçu un accueil mitigé à Berlin : "Notre modèle économique ne devrait pas être basé ou reposer sur le protectionnisme, mais sur l'attractivité de nos produits", a déclaré la semaine dernière le chancelier allemand Olaf Scholz.

Néanmoins, le simple fait que la Commission parle ouvertement des flux commerciaux en termes de sécurité nationale témoigne d'un changement profond de mentalité sur le continent, où les marchés ouverts et les droits de douane peu élevés étaient autrefois considérés comme le prélude à la propagation de la démocratie.

Cette naïveté semble avoir disparu, presque entièrement, et a été remplacée par une vision d'un monde où la technologie définit les leaders et les retardataires.

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"Dans l'ensemble, ces politiques montrent que les pays occidentaux sont prêts à appliquer des mesures intrusives qui étaient impensables il y a seulement quelques années", constate Agathe Demarais, analyste au European Council on Foreign Relations. "Toutefois, il sera probablement difficile d'obtenir l'adhésion des entreprises aux efforts de réduction des risques. Malgré le débat autour de la réduction des risques, deux tiers des entreprises européennes n'ont pas l'intention de se détourner de la Chine".

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