Manuela, 13 ans, de la communauté indigène Wayuu, prend une photo.
Manuela, 13 ans, de la communauté indigène Wayuu, prend une photo. Tous droits réservés Maria Puyol/Save the Children
Tous droits réservés Maria Puyol/Save the Children
Tous droits réservés Maria Puyol/Save the Children

Voici comment des enfants indigènes colombiens ont immortalisé le changement climatique

Par Lottie Limb
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Les jeunes Wayuu souffrent de la sécheresse due au climat. Ces photos montrent au monde les défis auxquels ils sont confrontés.

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Un bassin d'eau asséché. Des seaux vides. Le soleil implacable. Voilà quelques-uns des éléments sur lesquels les enfants autochtones du nord de la Colombie ont choisi de se concentrer, lorsqu'on leur a tendu un appareil photo pour immortaliser le changement climatique.

La tribu Wayuu vit de la terre depuis des siècles mais une série de sécheresses paralysantes, des précipitations irrégulières et des températures extrêmement élevées mettent à l'épreuve leur capacité à survivre dans la région de La Guajira.

Et, comme dans de nombreuses régions du monde, ce sont les enfants qui subissent de plein fouet cette crise climatique locale.

"Seul un enfant Wayuu sur dix a accès à de l'eau potable", explique Felipe Cortes, responsable du plaidoyer chez "Save the Children", en Colombie. "À La Guajira, le taux officiel de mortalité infantile due à la malnutrition est six fois supérieur à la moyenne nationale."

Dans les coulisses : Edgardo, 13 ans, prend une photo avec un appareil photo argentique sous la direction de la photographe Angela Ponce, lauréate d'un Sony Award
Dans les coulisses : Edgardo, 13 ans, prend une photo avec un appareil photo argentique sous la direction de la photographe Angela Ponce, lauréate d'un Sony AwardMaria Puyol/Save the Children

Pour permettre à ces jeunes de raconter leur propre histoire sur le changement climatique et leur enseigner de nouvelles compétences, l'organisation caritative a récemment organisé un atelier dans une petite communauté Wayuu avec la photographe Angela Ponce. Une douzaine d'enfants ont ensuite reçu de simples appareils photos pour documenter leur vie pendant une semaine.

À l'occasion de la Journée de l'enfance et de la jeunesse à la COP28, les images qui en résultent rappellent avec force la nécessité de centrer l'action climatique sur les expériences et les droits des enfants. Avec leur mise au point douce et leur choix de sujets humains et non humains, elles constituent également un portail unique sur la communauté Wayuu, vue à travers les yeux de ses plus jeunes membres.

Il n'y a plus de saisons : pénurie d'eau

Manuela, 13 ans, a pris une photo de sa sœur en train de chercher de l'eau dans le Jauwei (étang)
Manuela, 13 ans, a pris une photo de sa sœur en train de chercher de l'eau dans le Jauwei (étang)Manuela/Save the Children

Dans l'environnement aride de La Guajira, la crise climatique se manifeste principalement par une crise de l'eau.

Après des années de sécheresse, les niveaux d'eau sont historiquement bas. L'eau disponible est souvent puisée dans un "jaguey", un aquifère naturel dépendant de l'eau de pluie et partagé avec le bétail.

Il en résulte des cas réguliers de diarrhée et d'autres maladies d'origine hydrique chez les enfants qui sont obligés de boire l'eau.

"Il n'a pas plu depuis longtemps et je pense que nous avons besoin d'eau, tout comme les animaux", explique Ismael, 14 ans. "Nous buvons l'eau de l'étang du bétail".

Ismael a photographié un bassin d'eau asséché dans sa communauté, à l'extrémité nord de la Colombie
Ismael a photographié un bassin d'eau asséché dans sa communauté, à l'extrémité nord de la ColombieIsmael/Save the Children
"J'ai pris une photo du soleil parce qu'il faisait trop chaud et que c'est nocif pour les arbres et que cela nous donne soif", a déclaré Ismael
"J'ai pris une photo du soleil parce qu'il faisait trop chaud et que c'est nocif pour les arbres et que cela nous donne soif", a déclaré IsmaelIsmael/Save the Children

Ismael a également pris une photo directe du soleil. "J'ai pris une photo du soleil parce qu'il faisait trop chaud et que c'est nocif pour les arbres et que cela nous donne soif", explique-t-il. "La chaleur nous donne soif et l'étang à bestiaux est loin. Parfois, il est vide et nous avons besoin de quelque chose à boire".

L'eau - ou son absence - est le fil conducteur des photographies des enfants Wayuu, révélant leur préoccupation pour cette ressource vitale qui se raréfie à mesure que les températures mondiales augmentent.

Les enfants Wayuu participant au projet de photographie, posant pour Iveth, 16 ans
Les enfants Wayuu participant au projet de photographie, posant pour Iveth, 16 ansIveth/Save the Children

"Ici, les Wayuu souffrent du manque d'eau. Elle est introuvable, car le temps change. Il n'y a plus de saisons", explique Iveth, 16 ans.

"Avant, nous avions des vergers, il pleuvait, les plantes poussaient. Nous n'arrosions pas les plantes, c'était la pluie qui le faisait. Maintenant, il n'y a plus de pluie, le temps a changé, on ne peut plus semer. Les feuilles de la plante se dessèchent à cause de la température et meurent", confie Iveth. 

Utiliser la lumière du soleil pour capturer les plantes indigènes

Les enfants Wayuu ont également appris à développer leurs propres images en s'appuyant uniquement sur la puissance du soleil, grâce à un procédé connu sous le nom d'impression "cyanotype".

La teinte bleue de ces œuvres d'art illustre le besoin désespéré d'eau de la communauté, tout en encadrant les plantes indigènes qui sont essentielles à leur survie.

"Le manque d'eau nous affecte beaucoup", explique Belkis. "Parfois, nous n'en trouvons pas et cela nous affecte, car nous pouvons mourir de soif, surtout les enfants"
"Le manque d'eau nous affecte beaucoup", explique Belkis. "Parfois, nous n'en trouvons pas et cela nous affecte, car nous pouvons mourir de soif, surtout les enfants"Belkis/Save the Children

Belkis, 14 ans, a choisi des gousses d'un arbre, le trupillo, qui est lié à l'identité du peuple Wayuu, le plus grand groupe indigène de Colombie.

Il pousse dans des conditions de sécheresse extrême et est donc traditionnellement utilisé comme nourriture pour les hommes et les animaux. Pendant les pires périodes de sécheresse, les fruits du trupillo sont récoltés et consommés tels quels ou transformés en farine.

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"Il est important que les animaux soient nourris de trupillo pour qu'ils ne meurent pas", confie Belkis.

"Je veux continuer à apprendre à prendre des photos", déclare Manuela, qui est actuellement au lycée
"Je veux continuer à apprendre à prendre des photos", déclare Manuela, qui est actuellement au lycéeManuela/Save the Children

Manuela, 16 ans, a photographié une feuille de Yaichuaa, une plante utilisée pour traiter les infections et les calculs rénaux, ainsi que des feuilles d'Apia, dont les Wayuu cueillent les fruits pour purifier le sang en cas d'anémie.

"J'ai mis une feuille des arbres qui sont à l'école et qui sont beaux", raconte Manuela, qui vit avec sa mère, ses cinq sœurs et son frère aîné et qui tricote des sacs à dos qu'elle vend au marché.

La réalisation de cyanotypes a été un moment fort pour Yolibeth
La réalisation de cyanotypes a été un moment fort pour YolibethYolibeth/Save the Children

Le choix de Yolibeth, 17 ans, a une valeur plus spirituelle : "j'ai mis des feuilles d'un arbre très connu et j'aime ses feuilles parce qu'elles sont en forme de cœur", explique-t-elle. "C'est très important pour nous, car nous nous baignons avec ces feuilles lorsque nous rêvons".

"Les rêves jouent un rôle crucial dans la culture Wayuu, car ils annoncent les événements à venir", ajoute-t-elle. "Nous prenons ces rêves au sérieux et utilisons la plante dans un bain de minuit pour interpréter leur signification et y répondre".

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Comment la communauté Wayuu est-elle aidée à faire face au changement climatique ?

Le gouvernement colombien a déclaré une situation d'urgence économique et sociale à La Guajira, où vivent quelque 400 000 Wayuu, en raison de la sécheresse sans précédent et de l'impact imminent d'El Niño.

La région est déjà touchée de manière disproportionnée par le changement climatique, et les températures devraient augmenter de plus de 4 degrés d'ici à 2050, soit trois fois plus que l'augmentation à l'échelle mondiale. Les précipitations devraient diminuer d'un cinquième. La Guajira est également la région la plus pauvre du pays, où plus de 60 % de la population vit dans la pauvreté.

Ismael, 14 ans, prend une photo de sa mère en train de cuisiner dans la communauté
Ismael, 14 ans, prend une photo de sa mère en train de cuisiner dans la communautéIsmael/Save the Children

"La crise climatique, causée par les adultes, rend les aliments nutritifs de plus en plus inaccessibles, et ce sont les enfants qui en pâtissent le plus", affirme Felipe Cortes. "Les enfants Wayuu, comme tous les autres enfants du monde, seront affectés par les décisions prises lors de la COP28 - et leurs droits et leurs besoins doivent être au premier plan de ces décisions".

Save the Children demande aux pays à hauts revenus d'augmenter le financement de la lutte contre le changement climatique afin de soutenir les pays à faibles revenus, qui sont les plus touchés par la crise.

"Ma nièce et ma petite sœur dansaient la yonna à la maison. Mes grands-parents et les professeurs nous enseignent la yonna et notre culture, que nous ne pouvons oublier"
"Ma nièce et ma petite sœur dansaient la yonna à la maison. Mes grands-parents et les professeurs nous enseignent la yonna et notre culture, que nous ne pouvons oublier"Luz/Save the Children

"La crise climatique frappe le plus durement les plus vulnérables, et il est déchirant de voir des enfants supporter le poids d'un problème qu'ils n'ont pas créé", confie Angela Ponce.

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"En remettant aux enfants Wayuu leur propre appareil photo, nous leur donnons la possibilité de montrer au monde les défis auxquels ils sont confrontés. Leurs photos racontent une histoire puissante de force et de résilience, soulignant le besoin urgent pour nous tous de protéger notre planète et de soutenir les personnes les plus touchées", témoigne-t-elle.

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