Liban : la forêt sacrée des "Cèdres de Dieu" est menacée par le changement climatique

De jeunes cèdres plantés dans le cadre d'une initiative de reboisement (en bas à gauche) sont dispersés dans un terrain ouvert surplombant la vallée de la Kadisha, au nord-est du Liban, le 22 juillet 2023.
De jeunes cèdres plantés dans le cadre d'une initiative de reboisement (en bas à gauche) sont dispersés dans un terrain ouvert surplombant la vallée de la Kadisha, au nord-est du Liban, le 22 juillet 2023. Tous droits réservés AP Photo/Hassan Ammar
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Par Angela SymonsKareem Chehayeb avec AP
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Cet article a été initialement publié en anglais

Les cèdres sont un symbole du Liban, mais ils disparaissent à mesure que le pays se réchauffe.

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Pour les chrétiens du Liban, les cèdres sont sacrés. Ces arbres à aiguilles persistantes, qui survivent aux rudes hivers enneigés de la montagne, sont mentionnés 103 fois dans la Bible. Les cèdres sont un symbole du Liban, représentés au centre du drapeau national.

Les arbres emblématiques du nord du pays sont loin des affrontements entre les militants du Hezbollah et les troupes israéliennes le long de la frontière entre le Liban et Israël ces dernières semaines, sur fond de guerre entre Israël et le Hamas.

Le gouvernement libanais affirme que l'utilisation par Israël de phosphore blanc et d'autres armes incendiaires a brûlé des dizaines de milliers d'oliviers et d'autres cultures dans la zone frontalière, et les agriculteurs libanais appauvris craignent que les obus n'aient contaminé leur sol.

Mais la survie à long terme des forêts de cèdres est remise en question pour une autre raison. L'augmentation des températures due au changement climatique menace d'anéantir la biodiversité et de détruire l'un des sites du patrimoine les plus emblématiques du pays pour ses chrétiens.

Une jeune fille regarde le coucher de soleil sur la vallée pittoresque de la Kadisha, un lieu saint pour les chrétiens maronites du Liban, à Bcharre, au Liban, le 21/07/2023
Une jeune fille regarde le coucher de soleil sur la vallée pittoresque de la Kadisha, un lieu saint pour les chrétiens maronites du Liban, à Bcharre, au Liban, le 21/07/2023AP Photo/Hassan Ammar

Pourquoi les forêts de cèdres du Liban sont-elles considérées comme sacrées ?

La luxuriante forêt des "Cèdres de Dieu", située à quelque 2 000 mètres d'altitude près de la ville de Bcharre, dans le nord du pays, fait partie d'un paysage cher aux Chrétiens.

La réserve surplombe la vallée de la Kadisha - qui signifie "sacré" en araméen - où de nombreux chrétiens se sont réfugiés pour échapper aux persécutions, au cours de l'histoire tumultueuse du Liban. L'un des plus grands ensembles de monastères au monde reste caché parmi les arbres touffus, les grottes et les affleurements rocheux de cette vallée profonde de 35 kilomètres.

En 1998, l'UNESCO, l'agence culturelle des Nations unies, a inscrit la forêt de cèdres et la vallée au patrimoine mondial de l'humanité. Elles sont devenues des destinations populaires pour les randonneurs et les écologistes du monde entier. Un nombre croissant de Libanais de toutes confessions s'y rendent également, à la recherche d'air frais loin des villes.

"Des gens de toutes les religions viennent ici, pas seulement des chrétiens... même des musulmans et des athées", explique Hani Tawk, un prêtre chrétien maronite, alors qu'il fait visiter le monastère de Saint Elisha à une foule de touristes. "Mais nous, en tant que chrétiens, cela nous rappelle tous les saints qui ont vécu ici, et nous venons faire l'expérience de cette dimension sacrée".

Le prêtre libanais Hani Tawk, au centre, prie avec des touristes français et sa famille devant le monastère Saint Elisha dans la vallée de Kadisha, 22 juillet 2023
Le prêtre libanais Hani Tawk, au centre, prie avec des touristes français et sa famille devant le monastère Saint Elisha dans la vallée de Kadisha, 22 juillet 2023AP Photo/Hassan Ammar

Les forêts de cèdres du Liban sont menacées par le changement climatique

Les écologistes et les habitants affirment que les effets du changement climatique, exacerbés par la mauvaise gestion du gouvernement, constituent une menace pour l'écosystème de la vallée et la forêt de cèdres.

"D'ici 30 ou 40 ans, il est tout à fait possible que la biodiversité de la vallée de la Kadisha, qui est l'une des plus riches au monde, s'appauvrisse considérablement", affirme Charbel Tawk, ingénieur en environnement et militant à Bcharre.

Depuis des années, le Liban ressent les effets du changement climatique : les agriculteurs déplorent le manque de pluie et les incendies de forêt font des ravages dans les forêts de pins du nord du pays, à l'instar des feux qui ont ravagé les forêts de la Syrie voisine et de la Grèce. Les habitants d'une grande partie du pays, confrontés à des coupures d'électricité généralisées, ont eu du mal à supporter les fortes chaleurs de l'été.

Les températures ont dépassé les 30 degrés Celsius à Bcharre, ce qui n'est pas rare dans les villes côtières du Liban, mais inhabituel dans cette ville montagneuse du nord du pays.

Les religieuses du monastère médiéval de Qannoubin, perché sur le flanc d'une colline dans la vallée de la Kadisha, s'éventent et boivent de l'eau à l'ombre de la cour du monastère. Elles se souviennent de l'époque où elles pouvaient dormir confortablement les nuits d'été sans avoir besoin de beaucoup d'électricité.

D'ores et déjà, on observe des signes inquiétants de l'impact sur les cèdres et la vallée de la Kadisha.

Charbel Tawk s'occupe d'un cèdre dans le cadre d'une initiative de reboisement dans la ville de Bcharre, au nord-est du Liban, le 22 juillet 2023
Charbel Tawk s'occupe d'un cèdre dans le cadre d'une initiative de reboisement dans la ville de Bcharre, au nord-est du Liban, le 22 juillet 2023AP Photo/Hassan Ammar

Les températures élevées perturbent l'écosystème délicat de la vallée de la Kadisha

Les températures plus élevées ont entraîné l'apparition de plus grandes colonies de pucerons qui se nourrissent de l'écorce des cèdres et laissent une sécrétion qui peut provoquer des moisissures, explique Charbel Tawk. Les abeilles éliminent normalement cette sécrétion, mais elles sont devenues moins actives. Les pucerons et autres ravageurs durent également plus longtemps dans la saison et atteignent des altitudes plus élevées en raison du temps plus chaud.

Ces ravageurs menacent de freiner ou d'endommager la croissance des cèdres.

Charbel Tawk craint que si les températures continuent à évoluer de la sorte, les cèdres situés à plus basse altitude ne puissent pas survivre. Les incendies représentent un danger potentiel de plus en plus important.

Les cèdres poussent généralement à une altitude comprise entre 700 et 1 800 mètres au-dessus du niveau de la mer. L'organisation de Charbel Tawk a planté quelque 200 000 cèdres au fil des ans à des altitudes plus élevées et dans des zones où ils n'étaient pas présents. Quelque 180 000 ont survécu.

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"Est-ce le changement climatique ou tout autre phénomène naturel qui permet à ces cèdres de survivre entre 2 100 et 2 400 mètres d'altitude ?" s'interroge Charbel Tawk, tout en vérifiant un bosquet de cèdres au sommet d'une colline isolée.

Des prêtres locaux et des défenseurs de l'environnement ont exhorté le gouvernement libanais à collaborer avec des universités pour mener une vaste étude sur les changements de température et leur impact sur la biodiversité.

Des ouvriers installent un censeur sur un cèdre libanais qui alerte les autorités en cas d'incendie potentiel dans la forêt des Cèdres de Dieu, le 5 août 2023
Des ouvriers installent un censeur sur un cèdre libanais qui alerte les autorités en cas d'incendie potentiel dans la forêt des Cèdres de Dieu, le 5 août 2023AP Photo/Hassan Ammar

L'Église maronite du Liban se charge de la gestion des forêts

Depuis des années, le Liban est en proie à une crise économique dévastatrice. Les caisses de l'État sont à sec et nombre des meilleurs experts du pays cherchent rapidement des opportunités de travail à l'étranger.

"Les ministères concernés, même s'ils sont animés des meilleures intentions, n'ont plus les capacités financières nécessaires", précise Freddy Keyrouz, maire de Bcharre. Il explique que lui-même et les maires des villes voisines ont demandé aux habitants de participer aux initiatives de conservation et à la diaspora libanaise à l'étranger de contribuer au financement.

L'Église maronite a mis en place des règles strictes pour protéger la forêt des Cèdres de Dieu, notamment en empêchant tout développement. Des kiosques, des boutiques pour touristes et un grand parking ont été installés loin de la forêt.

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"Nous n'autorisons l'introduction d'aucun combustible dans la forêt sacrée", explique Charbel Makhlouf, prêtre de la cathédrale Saint Saba de Bcharré.

Le Comité des amis de la forêt de cèdres, auquel appartient Charbel Tawk, s'occupe des cèdres depuis près de trente ans, avec le soutien de l'église. Il a installé des capteurs sur les cèdres pour mesurer la température, le vent et l'humidité, afin de détecter toute détérioration des conditions susceptibles de provoquer des incendies de forêt.

La réglementation sur les sites patrimoniaux a nui à la vallée de la Kadisha

Au sein même de la forêt de la vallée de la Kadisha, Charbel Tawk signale d'autres problèmes.

En particulier, la propagation des cyprès menace d'évincer les autres espèces, "rompant l'équilibre que nous avions dans la vallée", dit-il.

"Nous les avons vus s'étendre et dominer les autres espèces, qu'il s'agisse de la lumière du soleil, du vent ou de l'expansion de leurs racines", confie-t-il, "ce qui aura un impact sur les autres plantes, les oiseaux, les insectes et toutes les espèces de reptiles de la vallée".

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Selon Charbel Tawk, les mesures prises pour protéger la vallée ont en fait nui à sa biodiversité en supprimant des pratiques humaines qui lui étaient bénéfiques.

Des randonneurs marchent le long d'une falaise pour admirer le coucher de soleil sur la vallée de la Kadisha, un lieu saint pour les chrétiens maronites du Liban, le 21/07/23
Des randonneurs marchent le long d'une falaise pour admirer le coucher de soleil sur la vallée de la Kadisha, un lieu saint pour les chrétiens maronites du Liban, le 21/07/23AP Photo/Hassan Ammar

Autrefois, les bergers qui faisaient paître leurs chèvres et d'autres animaux d'élevage dans la vallée contribuaient à empêcher la propagation d'espèces envahissantes. Ils réduisaient également les risques d'incendie, tout comme les familles locales qui ramassaient du bois mort pour le brûler en hiver.

Mais les habitants ont quitté la vallée lorsqu'elle est devenue un site du patrimoine et que le gouvernement libanais a mis en place des réglementations strictes. Peu de gens y vivent aujourd'hui, à l'exception d'une poignée de prêtres et de religieuses.

"Les arbres ont envahi les endroits où les gens vivaient et cultivaient", explique Charbel Tawk. "Aujourd'hui, un incendie peut se propager d'un bout à l'autre de la vallée".

Assis dans une grotte près du monastère de Qannoubine, le père, Hani Tawk, écoute la variété des oiseaux qui gazouillent dans la vallée. Il dit croire en la foi de la communauté et en sa conscience de la nature, enracinées depuis que leurs ancêtres se sont réfugiés ici.

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"Lorsque vous violez cet arbre, vous portez atteinte à une longue histoire et, peut-être, à l'avenir de vos enfants", confie-t-il.

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