La semaine qui a fait basculer l’Union européenne

A Pampelune, en Espagne, manifestation contre à la guerre ce lundi
A Pampelune, en Espagne, manifestation contre à la guerre ce lundi Tous droits réservés Alvaro Barrientos/Copyright 2022 The Associated Press. All rights reserved.
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Par Jorge LiboreiroEuronews
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Les événements des derniers jours ont propulsé l'Union européenne dans une nouvelle étape de son projet, une étape jugée impensable il y a peu.

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"L'Europe se forgera dans les crises, et sera la somme des solutions adoptées pour ces crises." Les propos en 1976 de l’un des pères fondateurs de l’UE, Jean Monnet, résonnent particulièrement aujourd’hui.

L’avertissement de celui qui fut président de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) est prémonitoire.

De l'effondrement de l'Union soviétique au Brexit, de la crise financière de 2008 à la pandémie de covid-19, l'Union européenne semble avoir développé cette capacité à se renforcer exclusivement face à des circonstances défavorables et imprévues.

La prophétie de Jean Monnet connaît toutefois depuis le 24 février un nouveau sens, impensable il y a encore un mois. L'invasion de l'Ukraine par la Russie semble avoir insufflé à l'UE une nouvelle détermination pour faire face à environnement géopolitique hostile. En quelques jours les 27 ont mis de côté tous leurs tabous et leurs lignes rouges.

Pour la première fois de son histoire, l'Union va financer l'achat d'armes en faveur d’un pays attaqué. Ce choix marque un véritablement tournant stratégique pour une union créée à l'origine pour défendre la paix.

Preuve supplémentaire, l'Allemagne a effectué un revirement complet. Berlin enverra aussi des armes dans les zones de conflit.

"L'invasion russe de l'Ukraine marque un tournant dans l'histoire", estime le chancelier allemand Olaf Scholz. "Elle menace l'ensemble de notre ordre d'après-guerre."

Les réfugiés ukrainiens qui fuient la guerre sont accueillis par les mêmes États membres qui ont passé les dernières années à se diviser sur une politique migratoire commune fondée sur une solidarité partagée.

Les outils de propagande russes sont bannis, des milliards d’euros actifs financiers de la Russie sont gelés, les avions russes sont interdits de survol du territoire de l'UE et l’adhésion de l’Ukraine à l'UE semble même un objectif à portée de main.

Un moment critique

La vitesse de ce revirement peut surprendre. Tout commence le 21 février, lorsque le ministre ukrainien des Affaires étrangères se déplace à Bruxelles. Dmytro Kuleba tente de convaincre homologues européens d'imposer des sanctions préventives contre Moscou, avant que le président russe, Vladimir Poutine, ne donne l'ordre d'envahir le pays.

AP
L'UE a changé de ton avec l'invasion de l'Ukraine par la RussieAP

Toutefois ces propos ne provoquent pas la réaction espérée. "Nous continuerons à soutenir l'Ukraine au moment le plus critique, si cela se produit", déclarait Josep Borrell, le chef de la diplomatie de l’UE.

Ce moment critique devait se produire quelques heures plus tard lorsque Vladimir Poutine finissait par reconnaître l'indépendance des deux régions séparatistes dans l'est de l'Ukraine.

Le lendemain, Josep Borrell change de ton. Le diplomate propose une série de sanctions à l'encontre de 27 personnes et entités proches de Vladimir Poutine, ainsi qu’aux 351 députés de la Douma qui ont voté en faveur de la reconnaissance des "républiques populaires" de Donetsk et de Lougansk. Des sanctions financières et commerciales sont également sur la table.

Le même jour, le chancelier allemand prend la décision de suspendre la certification de Nord Stream 2. Le gazoduc qui relie la Russie et l'Allemagne est un point de discorde entre Berlin et ses alliés. Olaf Scholz a défendu pendant des années l’infrastructure mettant en avant un "projet commercial" sans lien avec la géopolitique.

Alors que les troupes russes se préparaient à envahir le Donbass, les pays occidentaux ont menacé de prendre de nouvelles mesures de rétorsion, décrites tour à tour comme "massives" et "sans précédent".

Le 24 février l’UE s'est réveillée avec à ses frontières le bruit des sirènes annonçant la plus grande attaque militaire depuis la Seconde Guerre mondiale sur le continent. Choc, confusion, indignation et tristesse marquent les premières heures de l’invasion de l'Ukraine. Mais une nouvelle résolution apparaît aussi.

Parler ne coûte rien

Conscients de la situation sans précédent, les dirigeants de l’UE ont abandonné le ton diplomatique pour adopter une rhétorique plus affirmée.

Geert Vanden Wijngaert/AP
Sommet européen extraordinaire le 24 févrierGeert Vanden Wijngaert/AP

"Nous ne permettrons pas au président Vladimir Poutine de remplacer la règle de droit par la règle de la force", déclarait la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen.

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"Ce n'est pas seulement contre l'Ukraine, c'est une guerre contre l'Europe, contre la démocratie", répondait le président lituanien Gitanas Nausėda.

"Les discussions ne valent rien. Assez de paroles faciles", insiste le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki.

Le soir même, les dirigeants de l’UE se retrouvaient à Bruxelles pour un sommet en urgence. En peu de temps ils sont convenus d'imposer un autre train de sanctions contre Moscou, le deuxième en à peine 48 heures.

Ces mesures élargies visent directement les secteurs de la finance, de l'énergie et des transports. Elles renforcent le contrôle des exportations. L’UE veut paralyser 70 % du système bancaire russe afin de couper les fonds nécessaires au financement de l'invasion.

Si toutes les options sont sur la table les chefs d’Etat et de gouvernement ne semblent pas vouloir encore viser directement Vladimir Poutine. Les dirigeants ne veulent pas non plus exclure dans l’immédiat la Russie du système de paiements interbancaires international SWIFT.

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Mais la situation sur le terrain se dégrade. Les troupes russes encerclent Kiev et menacent de renverser le président ukrainien.

Le 25 février les Européens franchissent un nouveau pas. Ils sanctionnent le président russe et l’exclusion des banques russes de SWIFT se retrouve sur la table. L'Italie, la Hongrie et l'Allemagne, opposées à l’origine à cette option, changent finalement leur fusil d’épaule.

L'un des nôtres

La réponse s’accélère encore le 26 février. A 23 heures la présidente de la Commission européenne annonce une troisième série de sanctions, en coordination avec les États-Unis, le Royaume-Uni et le Canada.

Ces mesures permettent de retirer certaines banques russes du réseau SWIFT, elles empêchent la Banque centrale russe d'utiliser la majeure partie de ses 630 milliards de dollars de réserves de change.

"Nous ferons en sorte qu'il soit aussi difficile que possible pour le Kremlin de poursuivre ses politiques agressives", explique Ursula von der Leyen.

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Le 27 février, l’UE annonce un nouveau train de sanctions, le quatrième en moins d'une semaine. Les Etats membres vont envoyer des armes létales en Ukraine, interdire aux avions russes l'accès à son espace aérien et bannir les médias d’Etat russes Russia Today (RT) et Sputnik. Le Belarus, considéré comme complice de l'acte de guerre de Vladimir Poutine, est également sanctionné.

Stephanie Lecocq/AP
Le chef de la diplomatie européenne précise les sanctions prises par l'UEStephanie Lecocq/AP

Ursula von der Leyen va un pas plus loin et estime sur Euronews que l'Ukraine est "l'un des nôtres". Elle semble ainsi soutenir la demande d'adhésion à l'UE pour laquelle le président Volodymyr Zelensky a publiquement fait campagne.

Quel que soit le sens de la guerre, la succession de décisions prises en quelques jours auront un impact durable sur l'UE dans son ensemble et, en particulier, sur son positionnement géopolitique.

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