David O'Sullivan : "Le pronostic n'est pas bon pour l'économie russe"

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Par Shona Murray
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David O'Sullivan, l'envoyé de l'UE pour les sanctions, estime sur Euronews que les contournements de ce régime sont limités et que l'économie russe souffre. Il répond également aux critiques concernant la réponse de l'UE à la guerre au Proche-Orient.

Alors que les Occidentaux continuent de sanctionner la Russie pour son invasion illégale de l'Ukraine, des entreprises étrangères sont entrées dans la partie et fournissent à l'armée russe, des technologies essentielles interdites par l'Union européenne, les États-Unis et le Royaume-Uni.

L'envoyé spécial international de l'UE pour la mise en œuvre des sanctions, David O'Sullivan, s'est rendu dans des pays tiers dans l'objectif de limiter le contournement des sanctions. Il nous a accordé une interview dans nos studios de Bruxelles.

Shona Murray, Euronews :

"Vous êtes donc envoyé pour les sanctions, mais essentiellement, vous essayez de veiller à ce que le potentiel des sanctions soit maximisé pour que d'autres pays dans le monde ou des entités privées ne réduisent pas la portée des sanctions mises en place par les États-Unis, l'Union européenne et le Royaume-Uni. Décrivez-nous votre rôle."

David O'Sullivan, envoyé spécial international de l'UE pour la mise en œuvre des sanctions :

"C'est exactement ce que nous essayons de faire. Nous avons mis en place une batterie de sanctions sans précédent à l'encontre de la Russie, plus que nous n'avons jamais sanctionné aucun autre pays. Elles concernent 60% de nos importations. Les importations passées en provenance de la Russie sont placées sous un régime de sanctions, de même que 55% de nos exportations. Il est évident qu'il est très important d'assurer une mise en œuvre efficace. Et l'un des éléments de cela - ce qui relève de ma responsabilité -, c'est de chercher à convaincre les pays qui ne sont pas alignés avec nos sanctions."

"L'accès aux produits critiques est plus difficile, plus lent et plus coûteux pour la Russie"

Shona Murray :

"Que diriez-vous de vos objectifs de réussite pour l'année prochaine ? Espérez-vous faire en sorte que ces biens et infrastructures critiques ne se retrouvent pas sur le champ de bataille en Ukraine ?"

David O'Sullivan :

"Nous constatons déjà qu'il est de plus en plus difficile pour la Russie d'acquérir cela. Je pense que nous devons être réalistes. Il y aura toujours un certain degré de contournement. Il y a de l'argent à gagner. Bon nombre de ces produits ont déjà été vendus, précédemment, à d'autres pays et se trouvent en quelque sorte sur le marché libre. Si quelqu'un veut essayer de les acheter, ils sont toujours disponibles. Mais notre principal objectif, et je pense que nous y parvenons, c'est de rendre l'accès à ces produits plus difficile, plus lent et plus coûteux pour la Russie."

Shona Murray :

"Craignez-vous cependant que la Russie réoriente totalement son économie et soit en mesure de s'approvisionner auprès d'immenses pays comme la Chine ?"

David O'Sullivan :

"Il faut rappeler ce qui est en jeu : la plupart de ces produits sont typiquement des semi-conducteurs, des circuits intégrés et des lecteurs à fibre optique, des cartes mémoire flash. Des produits qui ont une application civile parfaitement innocente dans des circonstances normales. Mais ils sont aussi fabriqués en grande partie avec des technologies américaines ou européennes. Ils ne sont pas faciles à reproduire dans d'autres pays. Il est donc difficile pour la Russie de se les procurer puisque nous avons cessé de les exporter et que nous persuadons les autres pays, les pays intermédiaires, de ne plus les exporter vers la Russie. Et je pense que, oui, nous avons des preuves que c'est de plus en plus difficile. Les Russes utilisent des produits de substitution, parfois d'origine chinoise, mais qui sont de qualité inférieure, pour être franc. Cela donne donc à l'armée ukrainienne, un certain avantage technologique sur le champ de bataille."

Ukraine et Proche-Orient : "Nous pouvons gérer plus d'une crise à la fois"

Shona Murray :

"Les choses ont-elles changé pour vous ou sont-elles devenues plus difficiles depuis l'effroyable attaque terroriste perpétrée par le Hamas le 7 octobre ? Nous avons vu des critiques de la part de personnalités comme le roi Abdallah de Jordanie, par exemple, qui s'inquiétait du fait que la position de l'UE concernant le droit humanitaire international protégeant les civils en Palestine n'était pas la même - ou qu'il ne suscitait pas les mêmes préoccupations - que pour les civils en Ukraine."

David O'Sullivan :

"Je pense qu'ils comprennent que, pour les Européens, la situation est différente. La Russie a attaqué l'Ukraine sans aucune provocation. L'Ukraine ne représentait absolument aucune menace pour la Russie. Il s'agit donc d'une invasion non provoquée et à grande échelle d'un pays souverain. Je pense que les gens comprennent pourquoi, nous en Europe, nous devons réagir très fermement. L'ambition de Vladimir Poutine de rétablir l'hégémonie de la Russie dans son voisinage immédiat est une chose que nous ne pouvons pas accepter. Je pense donc que les gens comprennent que la situation est différente. C'est pourquoi, en tant qu'Européens, nous avons une obligation particulière dans ce contexte. Bien entendu, je dirais que nous avons également adopté une position ferme par rapport à ce qui se passe au Moyen-Orient. Mais je n'ai pas l'impression que les gens voient cela comme une sorte de choix binaire. J'explique souvent que nous pouvons gérer plus d'une crise à la fois."

"L'État russe a probablement 400 milliards d'euros de moins à dépenser"

Shona Murray :

"Mais certains États membres affirment que ces sanctions sont inutiles et qu'elles ne font que peser sur l'économie européenne. Les citoyens en subissent les répercussions à un moment de crise du coût de la vie. Et pourtant, l'économie russe connaît la croissance, même si elle s'annonce plus faible : 1,1 % en 2024 selon le FMI. Que répondez-vous à ceux qui affirment que les sanctions ne servent à rien et que les Européens ne font que souffrir ?"

David O'Sullivan :

"Soyons honnêtes : cela a un coût pour nous car nous avons traditionnellement eu beaucoup d'échanges commerciaux avec la Russie. Ce n'est pas, pour autant, un élément majeur de notre positionnement commercial. Et je pense que les entreprises sont en mesure de trouver d'autres marchés. Concernant notre efficacité, honnêtement, nous avions trois objectifs : le premier était de priver la Russie - l'armée russe -, de la technologie. Le deuxième était de priver l'État russe de revenus. Et le troisième était d'imposer un coût élevé au complexe militaro-industriel russe. Concernant ces trois objectifs, je pense que nous avons eu beaucoup de succès. Nous constatons que la Russie a du mal à se procurer la technologie dont elle a besoin et qu'elle se tourne désormais vers l'Iran ou la Corée du Nord. Nous constatons également que les Russes sont contraints de déployer des armes et des chars plus anciens pour maintenir l'équipement de leurs forces armées. Au niveau des revenus, nous estimons que l'État russe a probablement 400 milliards d'euros de moins à dépenser. Il était traditionnellement en excédent budgétaire, au niveau de ses dépenses publiques. Aujourd'hui, il accuse un déficit de 2 à 3%. Certes, l'économie russe connaît une légère croissance. Mais il faut regarder de près pourquoi c'est le cas. C'est parce que l'État russe investit massivement dans son armée. 30% des dépenses publiques russes sont aujourd'hui consacrées à l'armée, soit près de 10% du PIB. Si vous mettez votre économie sur le pied de guerre, vous pouvez bien sûr tout réorienter vers l'armée, mais vous cannibalisez l'économie. Il n'y a pas d'investissement dans la protection sociale, l'éducation, la santé, la recherche. Donc le pronostic pour l'économie russe - et c'est là, le troisième objectif, à savoir de réduire sa capacité industrielle - n'est pas bon."

Pétrole russe : "L'argument des Indiens, c'est que ce sont eux qui font des bénéfices, pas les Russes"

Shona Murray :

"L'Inde achète beaucoup de pétrole russe, le raffine et le renvoie dans les pays occidentaux. Cela semble contre-productif. Quelle est votre position à ce sujet et quelle semble être l'ampleur de cette faille (dans le régime de sanctions) ?"

David O'Sullivan :

"Nous avons décidé dès le départ de ne pas imposer d'embargo sur les exportations de pétrole russe comme nous l'avons fait, par exemple, avec l'Iran, et ce parce que de nombreux pays du Sud dépendent de la poursuite des livraisons du pétrole russe. Et nous avons pris comme position, de permettre à ces flux de continuer à circuler. C'est donc parfaitement légal pour les autres pays. Nous n'achetons plus de pétrole russe, mais d'autres pays peuvent l'acheter en toute légalité."

Shona Murray :

"Et le vendre ensuite aux Occidentaux ?"

David O'Sullivan :

"Et nous avons imposé un plafonnement de prix auquel le pétrole peut normalement être acheté, de manière à continuer de réduire les revenus de la Russie. Nous estimons qu'au cours du premier semestre de cette année, les revenus pétroliers ont baissé de 50% en Russie. Mais oui, la Russie est toujours en mesure d'exporter. Et oui, dans certains cas comme celui de l'Inde, ces autres pays le raffinent et nous le renvoient. L'argument des Indiens, c'est que ce sont eux qui font des bénéfices, pas les Russes. Je pense que notre principal objectif est de faire en sorte que les revenus russes soient sévèrement touchés par le plafonnement des prix du pétrole et je pense que nous avons de nombreuses preuves que c'est le cas."

Journaliste • Shona Murray

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