Analyse : Le pari audacieux de Pedro Sánchez risque de gâcher le grand moment européen de l'Espagne

Le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez a passé les derniers mois à rencontrer ses homologues pour préparer la présidence espagnole du Conseil de l'UE.
Le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez a passé les derniers mois à rencontrer ses homologues pour préparer la présidence espagnole du Conseil de l'UE. Tous droits réservés Geert Vanden Wijngaert/Copyright 2022 The AP. All rights reserved
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Par Jorge LiboreiroYolaine de Kerchove (traduction)
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L'Espagne est censée assurer la présidence tournante du Conseil de l'UE de juillet à fin décembre.

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Pedro Sánchez sait comment jouer.

Au cours de ses cinq années à la tête du gouvernement espagnol, le premier ministre socialiste s'est forgé une réputation en prenant des décisions audacieuses et ambitieuses, sans autre contribution que son propre instinct politique.

Cette façon de diriger a suscité l'admiration de ses partisans, qui voient en lui un champion inébranlable des causes progressistes, et le profond mépris de ses adversaires, qui ont baptisé le terme "Sanchismo" pour décrire sa façon de gouverner, marquée par l'affirmation de soi et la personnalité.

Bien que surprenante à première vue, la décision de Pedro Sánchez de convoquer des élections générales anticipées après les mauvais résultats de son parti aux élections locales et régionales de la semaine dernière s'inscrit parfaitement dans le cadre de la politique de défi qui caractérise depuis longtemps son mandat de premier ministre.

Ce faisant, le Premier ministre demande directement à ses concitoyens de choisir entre sa coalition de gauche et un éventuel exécutif conservateur soutenu par l'extrême droite, un dilemme binaire dont il espère qu'il galvanisera l'électorat.

Cette fois-ci, cependant, son pari risque de se répercuter à Bruxelles, avec des conséquences pour les 27 membres de l'Union européenne.

Les élections législatives, initialement prévues pour la fin du mois de décembre, ont été avancées au 23 juillet, soit trois semaines seulement après que l'Espagne aura pris la présidence tournante du Conseil de l'Union européenne pour une durée de six mois.

La présidence du Conseil de l'UE confère à un pays la prérogative de fixer l'ordre du jour, d'accueillir les réunions ministérielles, de diriger les négociations, de rédiger des textes de compromis, de programmer les votes sur les dossiers clés et de s'exprimer au nom de tous les États membres vis-à-vis du Parlement européen et de la Commission européenne.

Ces pouvoirs accrus ont traditionnellement représenté une opportunité lucrative pour le pays sélectionné de prouver sa dextérité diplomatique, d'influencer le débat politique et de montrer sa richesse culturelle et sa beauté naturelle au reste de l'Union.

Homme politique pro-européen, Pedro Sánchez tenait à profiter pleinement de la grande scène européenne pour assurer une présidence productive, propice aux accords, qui renforcerait le profil de son pays et, par extension, ses références en tant qu'homme d'État international.

Le Premier ministre espagnol a passé les derniers mois à parcourir l'Europe et à rencontrer ses homologues afin de jeter les bases d'un mandat de six mois qui s'annonçait, jusqu'à ce lundi, très chargé à la tête du Conseil de l'UE.

Les attentes élevées ne découlent pas uniquement de la tournée promotionnelle de Pedro Sánchez, mais de la réalité sur le terrain : avant la fin de l'année, les institutions de l'UE sont censées mettre la dernière main à une série de textes législatifs importants qui se sont accumulés sur la liste des tâches à accomplir à Bruxelles.

Ce catalogue comprend, entre autres, une révision post-crise du marché de l'électricité, une tentative inédite de réglementation de l'intelligence artificielle, une stratégie ambitieuse visant à empêcher l'exode des industries vertes, un plan de 500 millions d'euros visant à augmenter la production de munitions pour l'Ukraine, un programme sans précédent de confiscation des avoirs russes gelés et la réforme tant attendue et âprement disputée des règles fiscales de l'Union européenne.

Compte tenu de leur poids et de leur portée, ces dossiers nécessiteront une impulsion forte et cohérente pour avancer et parvenir à un consensus entre les 27 capitales, une tâche ardue qui repose avant tout sur les épaules de la présidence tournante.

Un vide politique

Pour l'Espagne, la convergence opportune de toutes ces lois cruciales - en particulier dans les domaines de l'énergie et de la politique fiscale - a offert une plate-forme inestimable pour faire valoir ses points de vue nationaux et jouer un rôle de premier plan dans l'élaboration des accords politiques.

Mais l'émergence soudaine d'une élection éclair au tout début de la présidence menace d'entraver sérieusement la marge de manœuvre de l'Espagne au sein du Conseil et de drainer les ressources de Bruxelles vers Madrid, alors qu'une campagne ardue se déroule au beau milieu de la saison estivale.

Alors que la guerre russe en Ukraine est loin d'être terminée, l'UE peut difficilement se permettre six mois d'atrophie législative qui augmenteraient encore l'arriéré des dossiers législatifs et repousseraient les discussions indispensables à l'ordre du jour.

Pour rendre les choses encore plus urgentes, la prochaine présidence du Conseil de l'UE, assurée par la Belgique au premier semestre 2024, devrait être invariablement paralysée par les élections au Parlement européen, qui mettront Bruxelles en mode campagne et redémarreront l'horloge politique.

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Ce n'est certes pas la première fois qu'une présidence tournante coïncide avec des élections nationales - l'année dernière, le président français Emmanuel Macron a conservé le mandat dans son pays alors qu'il se battait pour sa réélection -, mais la nature polarisée de la politique espagnole augmente les chances d'un virage du canard boiteux.

Les précédentes élections générales, qui ont eu lieu en avril 2019, ont dû être reconduites en novembre après l'échec des pourparlers de coalition menés par le parti socialiste de M. Sánchez. Cette année, l'attention se tourne vers la droite, avec une alliance entre le Partido Popular (PP) conservateur et le parti d'extrême droite Vox comme principale alternative.

Cela signifie que, dans l'un des scénarios les plus probables, la présidence espagnole pourrait démarrer sous un gouvernement socialiste, subir les bouleversements d'une campagne de juillet, ralentir pendant les vacances d'août, puis reprendre ses activités sous un tout nouvel exécutif de droite avec des priorités politiques très différentes.

Ces montagnes russes seront "particulièrement problématiques" pour le Conseil à un moment où des accords clés doivent être conclus avant la fin de la législature actuelle, explique Johannes Greubel, analyste principal au European Policy Centre.

"Pour l'UE et en particulier pour le Conseil, ces élections arrivent certainement à un moment plus que malheureux, car elles auront un impact fondamental sur le fonctionnement de la présidence espagnole, en particulier au niveau politique", a déclaré M. Greubel à Euronews.

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"Avec l'imminence d'un vide politique en Espagne et donc à la tête du Conseil, de nombreuses négociations sur ces questions politiques sensibles risquent maintenant d'échouer par simple manque de temps".

Alors que les doutes s'accumulent sur la capacité de l'Espagne à protéger les activités quotidiennes du Conseil de l'UE de la campagne électorale, les députés de M. Sánchez se sont manifestés pour apaiser les craintes et dissiper les rumeurs selon lesquelles la présidence pourrait être victime d'une annulation de dernière minute.

"La présidence sera maintenue en tant que telle, avec toutes ses activités", a déclaré Luis Planas, ministre espagnol de l'agriculture et de la pêche, lors d'une récente visite à Bruxelles.

"Nous rassurons ceux qui, d'une manière ou d'une autre, veulent voir la situation sous un angle négatif. Nous allons garantir toutes nos responsabilités institutionnelles et politiques en tant que présidence du Conseil de l'UE."

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