La Commission européenne veut faire passer l’UE en "mode économie de guerre"

Les Occidentaux s'empressent d'augmenter la production d'obus d'artillerie de 155 mm dont l'Ukraine a besoin pour résister à l'avancée des forces russes
Les Occidentaux s'empressent d'augmenter la production d'obus d'artillerie de 155 mm dont l'Ukraine a besoin pour résister à l'avancée des forces russes Tous droits réservés Matt Rourke/ AP
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Par Jorge Liboreiro
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La Commission européenne propose un plan de 500 millions d'euros pour répondre aux goulets d'étranglement qui entravent la production de munitions.

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La Commission européenne a dévoilé mercredi un plan de 500 millions d'euros pour stimuler l'industrie européenne de la défense. Ce projet veut aussi garantir la livraison en temps voulu de munitions à l'Ukraine, une demande urgente de Kyiv qui se prépare à lancer sa contre-offensive contre les troupes d'invasion russes.

L'initiative de l’institution vise à remédier aux goulets d'étranglement et aux insuffisances qui entravent la fabrication d'obus d'artillerie de 155 mm, un type d'arme spécifique utilisé par les forces armées ukrainiennes. L'Union européenne a promis de fournir ces munitions dans un délai accéléré.

Les obstacles actuels découlent de la paix dont jouit l'Europe depuis la fin de la Guerre froide qui a entraîné une diminution de la capacité de production, un ralentissement des investissements, une faible demande de la part des pouvoirs publics, un manque de personnel qualifié, une lenteur du processus d'autorisation et un manque d'accès aux matières premières.

Tous ces problèmes latents sont apparus au grand jour lors de l'invasion de l'Ukraine par la Russie. L'UE se retrouve coincée entre les appels répétés de Kyiv pour un soutien militaire et la dure réalité économique sur le terrain. Les estimations actuelles suggèrent qu'il faut jusqu'à un an à l'industrie de la défense pour livrer une commande soumise par un gouvernement.

Consciente de ces obstacles, la Commission a préparé une enveloppe spéciale de 500 millions d'euros pour faire face à un double dilemme : comment accélérer la fabrication de munitions dont l'Ukraine a désespérément besoin et comment faire en sorte que les États membres puissent reconstituer leurs stocks nationaux.

"Le fait est qu'il s'agit d'une guerre de haute intensité que personne n'avait prévue", a expliqué Thierry Breton, Commissaire européen chargé du Marché intérieur, lors de l'annonce de l'initiative.

"Il est vrai que nous manquons de ce type de munitions pour soutenir l'Ukraine, mais partout, pas seulement en Europe, y compris chez nos alliés, les États-Unis, nous en manquons. Tout le monde en manque".

Thierry Breton estime que l'invasion nécessite un "changement de paradigme" afin de faire passer l'Union en "mode économie de guerre". Il s’agit d'augmenter rapidement la production d'armes pour répondre à la fois aux attentes à court terme de Kyiv et aux défis sécuritaires à long terme de l'UE.

"L'architecture de sécurité de l'Union a radicalement changé depuis la guerre russe en Ukraine. Nous devons en tenir compte", insiste le responsable français.

"Nous ne pouvons pas être naïfs. C'est un fait. Il est de notre responsabilité de nous assurer que nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour continuer à protéger, ensemble, nos concitoyens et ensuite nous adapter à cette nouvelle réalité géopolitique".

Les 500 millions d'euros proviendront de deux programmes européens distincts :

  • 260 millions d'euros du Fonds européen de défense

  • 240 millions d'euros de l'instrument visant à renforcer l'industrie européenne de la défense au moyen d'acquisitions conjointes (EDIRPA), un outil proposé l'année dernière et qui fait encore l'objet de négociations.

Ces fonds européens financeront une série de mesures industrielles destinées à stimuler la production de munitions, telles que la modernisation des chaînes d'assemblage, la mise en place de partenariats transfrontaliers, la sécurisation des matières premières, la modernisation des stocks obsolètes ou la requalification de la main-d'œuvre.

La Commission pense pouvoir mobiliser 500 millions d'euros supplémentaires auprès du secteur privé, pour un montant total pouvant atteindre un milliard d'euros.

De plus, la Commission autorisera les États membres à "compléter" ces enveloppes en canalisant une partie des fonds de cohésion et des subventions prévues dans le plan relance du covid-19 vers leur industrie nationale d'armement. Toutefois, la Commission n’est pas en mesure de dire combien de pays membres décideront de faire cette bascule budgétaire.

Contrairement aux fonds de cohésion, les fonds issus du plan de relance sont financés par un système unique d'emprunts conjoints et sont assortis de conditions strictes quant à leur décaissement.

Ces deux enveloppes ont été réaffectés par le passé, notamment dans le cadre d'un plan d'investissement de 300 milliards d'euros pour s’assurer l'indépendance énergétique à l’égard de la Russie. Mais utiliser de l'argent lié à la pandémie pour finalement renforcer l'industrie de l'armement représente un bond en avant dans l'architecture budgétaire.

Interrogé sur la légalité de cette démarche, Thierry Breton a fait valoir que l'un des principaux objectifs du plan de relance était de renforcer la capacité de résistance de l'UE, ce qui, selon lui, inclut "évidemment" le financement de projets industriels tels que la production de munitions.

"Nous devons agir très rapidement en termes de financement", a-t-il noté.

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Le troisième pilier

Le plan de 500 millions d'euros présenté mercredi est le troisième et dernier pilier d'une nouvelle stratégie de l'UE adoptée fin mars pour renforcer le soutien militaire de l'UE à l'Ukraine.

L'objectif principal de cette stratégie est de fournir un million d'obus d'artillerie au cours des 12 prochains mois. La tâche s’annonce difficile mais le Commissaire se dit "confiant".

Le premier pilier, une tranche d'un milliard d'euros destinée à rembourser partiellement les États membres pour la livraison immédiate d'armes à Kyiv, est déjà opérationnel. Le second, un milliard d'euros supplémentaire pour acheter conjointement des obus d'artillerie et des missiles, a fait l'objet de négociations prolongées. Les ambassadeurs ont négocié longuement la définition du "Made In Europe".

Les discussions ont porté sur la manière de donner la priorité aux entreprises basées dans l'UE pour l'achat de munitions et de délimiter les contours d'une chaîne de valeur européenne. Par coïncidence, l'impasse a été résolue mercredi après-midi, trois heures après la présentation de la Commission.

Sur cette question Thierry Breton, fervent partisan du concept d'"autonomie stratégique", souligne que les règles d'éligibilité respectaient les circonstances existantes de l'industrie européenne de la défense, qui s'approvisionne souvent dans des pays comme l'Australie et l'Afrique du Sud.

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"Nous prenons la chaîne d'approvisionnement telle qu'elle est, c'est extrêmement important. Bien sûr, nous soutenons les entreprises européennes, mais avec l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement. De cette manière, les choses seront simples".

"Nous voulons, bien sûr, des projets qui produisent en Europe. C'est une exigence légale. Mais par rapport à d'autres outils récents, nous n'avons pas imposé d'exigences à la chaîne d'approvisionnement".

Lukasz Kobus/ EC - Audiovisual Service
Le Commissaire européen en charge du Marché intérieur, Thierry Breton, présente le plan pour augmenter la production de munitionsLukasz Kobus/ EC - Audiovisual Service

Le plan industriel de 500 millions d'euros doit encore être approuvé par le Parlement européen et les États membres, dont beaucoup réclament une approche pragmatique pour livrer des armes à l'Ukraine dès que possible, quelle que soit leur dénomination d'origine.

L'initiative de la Commission a été baptisée ASAP, ce qui signifie "Act in Support of Ammunition Production" (Acte de soutien à la production de munitions).

Le déploiement des 500 millions d'euros devrait être progressif, jusqu'en juin 2025, et bénéficiera principalement aux 11 États membres qui ont la capacité de produire des obus d'artillerie de 155 mm.

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