[En photos] Le G8 de Gênes 20 ans après, une plaie toujours vive

"Ne nettoyez pas le sang" demande ce panneau improvisé dans l'école Diaz après l'attaque des forces de l'ordre la veille, Gênes le 22 juillet 2001
"Ne nettoyez pas le sang" demande ce panneau improvisé dans l'école Diaz après l'attaque des forces de l'ordre la veille, Gênes le 22 juillet 2001 Tous droits réservés Gérad Julien / AFP
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Par Antonio Michele StortoAdaptation en français Marie Jamet
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📷 Retour en photos sur le G8 de Gênes, 20 ans après les violences policières qui avaient conduit à la mort d'un manifestant.

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C'était il y a 20 ans, le 19 juillet 2001 : une marée humaine de 200 000 manifestants se déverse dans les rues de Gênes en Italie en marge du G8. Ce qui aurait dû être une immense manifestation a fini en marathon de violence presque ininterrompu durant quatre jours, retransmis en direct sur les écrans de télévision de toute la planète.

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Manu Chao est tête d'affiche du concert qui inaugure les 3 jours du contre-sommet du G8 - Gênes, 18 juillet 2001Gabriel Bouys / AFP

Deux décennies plus tard, la plaie du G8 de Gênes est encore ouverte en Italie. Beaucoup de manifestants, pris dans le chaos des charges policières et des coups de matraques, ont définitivement perdu leur innocence lors de ces trois jours.

Ils étaient venus du monde entier pour participer au mouvement altermondialiste qui avait pris une ampleur sans précédent au cours des mois précédents. Délégations syndicales, organisations humanitaires de l'hémisphère sud, mouvements pacifistes et écologistes, associations catholiques et religieuses, opposants en tout genre, tous s'étaient ralliés à Gênes.

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Des militants britanniques du groupe "Globalize Resistance" quittent la gare de Calais le 19 juillet 2001 dans un train spécial à destination de GênesPhilippe Huguen / AFP

Ils arrivent alors dans une ville blindée, divisée en zones de sécurité à l'accès restreint même pour les résidents, la municipalité craignant une guérilla urbaine qui couve depuis des semaines.

La préfecture de police craint alors des jets de fruits "avec lames de rasoir à l'intérieur" ou de ballons "remplis de sang humain, collecté avec la complicité de médecins et d'infirmières", ainsi qu'une infiltration du mouvement par l'extrême droite.

Les jours précédant le sommet, les alertes à la bombe se multiplient, jusqu'à ce qu'un colis explosif blesse un policier dans une caserne. Des batteries de missiles sol-air sont aussi installées à l'aéroport Cristoforo Colombo par crainte d'attaques contre les dirigeants réunis au palais ducal.

Gabriel Bouys / AFP
Une barrière de quatre mètres érigée pour protéger la "zone rouge", près du Palais des Doges. Des barrières ont été installées dans toute la ville, Gênes le 17/07/2001Gabriel Bouys / AFP

Une première journée qui démarre dans le calme

Malgré tout, au matin du 19 juillet, les forces de sécurité assurent que tout se passera bien. Comme le rappelle Marco Imarisio dans le Corriere della Sera, le colonel des Carabinieri Giorgio Tesser a convoqué la presse, affirmant que hormis le Black block qui pourrait créer quelques désordres, il existe un accord "presqu'écrit" avec les organisateurs de la marche.

Et, de fait, cette première journée de manifestation se déroule sans encombre : 50 000 personnes défilent pour défendre les droits des migrants et des citoyens non européens, et les premières et timides velléités de désordre du Black bloc sont étouffées dans l'œuf par les manifestants eux-mêmes.

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La première journée de manifestation, dédiée aux migrants, se déroule sans incident, Gênes, 19 juillet 2001Gérard Julien / AFP
Gérard Julien ERARD JULIEN/AFP
Lors du G8 de Gênes, la première journée de manifestation, dédiée aux droits des migrants, se déroule sans incident, le 19 juillet 2001Gérard Julien ERARD JULIEN/AFP

Le 20 juillet 2001

Le 20 juillet marque le début des heurts. Dès le matin, les manifestants du black bloc se rassemblent massivement, alors même qu'ils sont minoritaires par rapport aux cortèges autorisés, dont ils sont expulsés à plusieurs reprises par les manifestants eux-mêmes.

Ce jour-là, les participants du Black block défilent dans le centre-ville d'un air martial, au rythme de tambours, entonnant un chant de guerre, avant de commencer à briser des vitrines et incendier des voitures.

La police n'intervient pas.

La charge déborde, au contraire, le cortège des "Tuniques blanches" (Tute bianche), les plus radicaux, à la hauteur de la Via Tolemaide, où les manifestants sont attaqués par environ 300 carabiniers soutenus par une colonne de camionnettes et de véhicules blindés. Lors de la reconstitution pour le procès, est évoquée une erreur d'itinéraire : la colonne aurait dû se diriger vers le quartier de Marassi, où convergeaient également les membres du Black block.

C'est à ce moment que le G8 de Gênes a dégénéré en ce qu'Amnesty International décrira plus tard comme "la plus grave suspension des droits démocratiques depuis l'après-guerre".

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Le chaos parmi les manifestants après la charge rue Tolemaide, Gêne le 20 juillet 2001Gabriel Bouys / AFP
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Affrontement entre les forces de l'ordre et les manifestants anti-mondialisation lors de la manifestation des Tuniques Blanches, Gênes le 20 juillet 2001Gabriel Bouys / AFP

Lors de la dispersion, plusieurs manifestants convergent alors vers la place Alimonda, à 90 mètres de la rue Tolemaide, où ils finissent par être pris pour cible par de nouveaux tirs de gaz lacrymogènes. Ils se retrouvent pris en nasse entre plusieurs brigades de policiers.

C'est là que Carlo Giuliani perd la vie, tué par un coup de feu tiré par Mario Placanica, un jeune carabinier qui se trouvait à l'intérieur d'une jeep de la police encerclée par les manifestants.

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Des soignants auscultent Carlo Giuliani entouré de policiers, Gênes le 20 juillet 2001Gérard Julien / AFP
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Une fresque représentant le visage de Carlo Giuliani à Milan, novembre 2007 :Damien Meyer / AFP

Le 21 juillet 2001

Le jour suivant, la dynamique se répète. Un groupe important de manifestants du Black bloc s'infiltre dans le cortège autorisé, déclenchant de nombreux épisodes de vandalisme et de destruction. Les manifestants eux-mêmes tentent de nouveau, et sans succès, de les neutraliser après avoir demandé à plusieurs reprises aux forces de l'ordre d'intervenir.

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Des manifestants incendient une voiture lors de violents heurts avec les forces de l'ordre, le 21 juillet 2001Philippe Desmazes / AFP
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Des manifestants du Black block cassent une vitrine, Gênes le 21 juillet 2001PHILIPPE DESMAZES/AFP

Mais alors que les émeutiers du Black block se sont facilement échappés, la situation se détériore pour le reste des manifestants. Gênes s'est transformée en champ de bataille ; les manifestants restés immobiles, les mains levées – y compris des personnes âgées et des jeunes femmes – sont frappés par les forces de l'ordre. Toutes les personnes encore debout parmi les blessés sont arrachées aux secouristes et arrêtées.

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Charge des forces de l'ordre sur un cortège de manifestants, Gênes le 21 juillet 2001Gabriel Bouys / AFP
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Un manifestant blessé est évacué, Gênes le 21 juillet 2001Gabriel Bouys / AFP
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Un manifestant renvoie une grenade lacrymogène, Gênes le 21 juillet 2001Gabriel Bouys / AFP
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Des manifestants fuient, sous un nuage de gaz lacrymogènes, une charge des forces de l'ordre, Gênes le 21 juillet 2001Associated Press / AP2001

L'assaut de l'école Diaz

Mais le pire est encore à venir. Dans la soirée du 21 juillet, lors d'une réunion à laquelle assistent des officiers supérieurs de la police, un assaut est ordonné sur l'école Diaz, où une centaine de militants se sont installés pour dormir.

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Selon la reconstitution ultérieure des forces de sécurité, qui comporte toutefois encore plusieurs versions divergentes, l'opération aurait été ordonnée à la suite du jet de pierres contre une voiture de police devant le bâtiment dans l'après-midi. Lors du procès pour les événements de cette nuit-là, le directeur Ansoino Andreassi a avancé la nécessité "de procéder à de nombreuses arrestations, pour redorer l'image des forces de police".

LUCA BRUNO/AP2003
Des manifestants arrêtés lors de l'assaut sur l'école Diaz, Gênes 22 juillet 2001LUCA BRUNO/AP2003

L'opération dégénère. Six ans plus tard, le commissaire adjoint Michelangelo Fournier qualifie l'opération de "boucherie" dans une déclaration faite aux enquêteurs.

Lors de l'assaut, les militants restent immobiles et lèvent les mains. Ils sont, malgré tout implacablement matraqués lors de leur sortie du bâtiment. L'école Pascoli adjacente – où 93 journalistes, presque tous accrédités, dormaient – a également été attaquée.

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Après l'assaut de police sur les lieux, une femme regarde les dégâts dans l'école où s'étaient installés des militants altermondialistes du Forum social de Gênes le 22/07/2001Gérard Julien / AFP

Sur la centaine d'occupants, plus de quatre-vingts ont été blessés ; l'un d'entre eux est sorti du bâtiment déjà dans le coma. Il a souffert par la suite de problèmes permanents. Le journaliste britannique Mark Covell finit avec huit côtes cassées, un poumon perforé, une blessure à la tête et cinq dents perdues.

Toute la chaîne de commandement de l'opération sera plus tard condamnée pour falsification, à l'issue d'un procès qui aura duré une décennie. Parmi les preuves collectées localement et présentées pour justifier le carnage, principalement des outils trouvés dans les placards d'entretien de l'école, figurait également une bouteille de cocktail Molotov ramassée plus tôt par la police, dans un autre quartier de la ville.

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Domenico Stinellis / AP
La police exhibe ce qui est présenté comme preuve contre les occupants de l'école Diaz, Gênes le 22 juillet 2001Domenico Stinellis / AP

Peu de personnes ont été condamnées pour les violences qui se sont produites cette nuit-là ou celles de la caserne de Bolzaneto. Les personnes arrêtées à Diaz et les jours précédents y avaient été soumises à des actes de torture continus et arbitraires dans les jours qui avaient suivis. En effet, jusqu'en 2017, le crime de torture était absent du code pénal italien.

La même année, en 2017, en réponse à l'appel des victimes, la Cour européenne des droits de l'homme a condamné l'Italie pour n'avoir pas mené d'enquête efficace sur les actions de ses agents de police lors du G8 de Gênes en 2001 : selon l'arrêt, Diaz et Bolzaneto représentaient un trou noir dans la loi, où les droits les plus fondamentaux avaient été suspendues.

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