[En photos] Le G8 de Gênes 20 ans après, une plaie toujours vive

C'était il y a 20 ans, le 19 juillet 2001 : une marée humaine de 200 000 manifestants se déverse dans les rues de Gênes en Italie en marge du G8. Ce qui aurait dû être une immense manifestation a fini en marathon de violence presque ininterrompu durant quatre jours, retransmis en direct sur les écrans de télévision de toute la planète.
Deux décennies plus tard, la plaie du G8 de Gênes est encore ouverte en Italie. Beaucoup de manifestants, pris dans le chaos des charges policières et des coups de matraques, ont définitivement perdu leur innocence lors de ces trois jours.
Ils étaient venus du monde entier pour participer au mouvement altermondialiste qui avait pris une ampleur sans précédent au cours des mois précédents. Délégations syndicales, organisations humanitaires de l'hémisphère sud, mouvements pacifistes et écologistes, associations catholiques et religieuses, opposants en tout genre, tous s'étaient ralliés à Gênes.
Ils arrivent alors dans une ville blindée, divisée en zones de sécurité à l'accès restreint même pour les résidents, la municipalité craignant une guérilla urbaine qui couve depuis des semaines.
La préfecture de police craint alors des jets de fruits "avec lames de rasoir à l'intérieur" ou de ballons "remplis de sang humain, collecté avec la complicité de médecins et d'infirmières", ainsi qu'une infiltration du mouvement par l'extrême droite.
Les jours précédant le sommet, les alertes à la bombe se multiplient, jusqu'à ce qu'un colis explosif blesse un policier dans une caserne. Des batteries de missiles sol-air sont aussi installées à l'aéroport Cristoforo Colombo par crainte d'attaques contre les dirigeants réunis au palais ducal.
Une première journée qui démarre dans le calme
Malgré tout, au matin du 19 juillet, les forces de sécurité assurent que tout se passera bien. Comme le rappelle Marco Imarisio dans le Corriere della Sera, le colonel des Carabinieri Giorgio Tesser a convoqué la presse, affirmant que hormis le Black block qui pourrait créer quelques désordres, il existe un accord "presqu'écrit" avec les organisateurs de la marche.
Et, de fait, cette première journée de manifestation se déroule sans encombre : 50 000 personnes défilent pour défendre les droits des migrants et des citoyens non européens, et les premières et timides velléités de désordre du Black bloc sont étouffées dans l'œuf par les manifestants eux-mêmes.
Le 20 juillet 2001
Le 20 juillet marque le début des heurts. Dès le matin, les manifestants du black bloc se rassemblent massivement, alors même qu'ils sont minoritaires par rapport aux cortèges autorisés, dont ils sont expulsés à plusieurs reprises par les manifestants eux-mêmes.
Ce jour-là, les participants du Black block défilent dans le centre-ville d'un air martial, au rythme de tambours, entonnant un chant de guerre, avant de commencer à briser des vitrines et incendier des voitures.
La police n'intervient pas.
La charge déborde, au contraire, le cortège des "Tuniques blanches" (Tute bianche), les plus radicaux, à la hauteur de la Via Tolemaide, où les manifestants sont attaqués par environ 300 carabiniers soutenus par une colonne de camionnettes et de véhicules blindés. Lors de la reconstitution pour le procès, est évoquée une erreur d'itinéraire : la colonne aurait dû se diriger vers le quartier de Marassi, où convergeaient également les membres du Black block.
C'est à ce moment que le G8 de Gênes a dégénéré en ce qu'Amnesty International décrira plus tard comme "la plus grave suspension des droits démocratiques depuis l'après-guerre".
Lors de la dispersion, plusieurs manifestants convergent alors vers la place Alimonda, à 90 mètres de la rue Tolemaide, où ils finissent par être pris pour cible par de nouveaux tirs de gaz lacrymogènes. Ils se retrouvent pris en nasse entre plusieurs brigades de policiers.
C'est là que Carlo Giuliani perd la vie, tué par un coup de feu tiré par Mario Placanica, un jeune carabinier qui se trouvait à l'intérieur d'une jeep de la police encerclée par les manifestants.
Le 21 juillet 2001
Le jour suivant, la dynamique se répète. Un groupe important de manifestants du Black bloc s'infiltre dans le cortège autorisé, déclenchant de nombreux épisodes de vandalisme et de destruction. Les manifestants eux-mêmes tentent de nouveau, et sans succès, de les neutraliser après avoir demandé à plusieurs reprises aux forces de l'ordre d'intervenir.
Mais alors que les émeutiers du Black block se sont facilement échappés, la situation se détériore pour le reste des manifestants. Gênes s'est transformée en champ de bataille ; les manifestants restés immobiles, les mains levées – y compris des personnes âgées et des jeunes femmes – sont frappés par les forces de l'ordre. Toutes les personnes encore debout parmi les blessés sont arrachées aux secouristes et arrêtées.
L'assaut de l'école Diaz
Mais le pire est encore à venir. Dans la soirée du 21 juillet, lors d'une réunion à laquelle assistent des officiers supérieurs de la police, un assaut est ordonné sur l'école Diaz, où une centaine de militants se sont installés pour dormir.
Selon la reconstitution ultérieure des forces de sécurité, qui comporte toutefois encore plusieurs versions divergentes, l'opération aurait été ordonnée à la suite du jet de pierres contre une voiture de police devant le bâtiment dans l'après-midi. Lors du procès pour les événements de cette nuit-là, le directeur Ansoino Andreassi a avancé la nécessité "de procéder à de nombreuses arrestations, pour redorer l'image des forces de police".
L'opération dégénère. Six ans plus tard, le commissaire adjoint Michelangelo Fournier qualifie l'opération de "boucherie" dans une déclaration faite aux enquêteurs.
Lors de l'assaut, les militants restent immobiles et lèvent les mains. Ils sont, malgré tout implacablement matraqués lors de leur sortie du bâtiment. L'école Pascoli adjacente – où 93 journalistes, presque tous accrédités, dormaient – a également été attaquée.
Sur la centaine d'occupants, plus de quatre-vingts ont été blessés ; l'un d'entre eux est sorti du bâtiment déjà dans le coma. Il a souffert par la suite de problèmes permanents. Le journaliste britannique Mark Covell finit avec huit côtes cassées, un poumon perforé, une blessure à la tête et cinq dents perdues.
Toute la chaîne de commandement de l'opération sera plus tard condamnée pour falsification, à l'issue d'un procès qui aura duré une décennie. Parmi les preuves collectées localement et présentées pour justifier le carnage, principalement des outils trouvés dans les placards d'entretien de l'école, figurait également une bouteille de cocktail Molotov ramassée plus tôt par la police, dans un autre quartier de la ville.
Peu de personnes ont été condamnées pour les violences qui se sont produites cette nuit-là ou celles de la caserne de Bolzaneto. Les personnes arrêtées à Diaz et les jours précédents y avaient été soumises à des actes de torture continus et arbitraires dans les jours qui avaient suivis. En effet, jusqu'en 2017, le crime de torture était absent du code pénal italien.
La même année, en 2017, en réponse à l'appel des victimes, la Cour européenne des droits de l'homme a condamné l'Italie pour n'avoir pas mené d'enquête efficace sur les actions de ses agents de police lors du G8 de Gênes en 2001 : selon l'arrêt, Diaz et Bolzaneto représentaient un trou noir dans la loi, où les droits les plus fondamentaux avaient été suspendues.