Piroska (à gauche) et Tibor dans leur logement à la résidence Kolping Tordasi Otthona pour personnes handicapées en Hongrie
Piroska (à gauche) et Tibor dans leur logement à la résidence Kolping Tordasi Otthona pour personnes handicapées en Hongrie Tous droits réservés Euronews
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Stérilisation de personnes handicapées : le vide juridique hongrois (épisode 3/5)

Par Laura Llach / Lucía Riera / Flora Garamvolgyi
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Cette semaine Euronews s'intéresse aux stérilisations forcées visant les femmes handicapées en Europe. Dans ce troisième article, zoom sur la Hongrie où la loi reste floue et ne condamne pas ces pratiques.

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À l'intérieur des murs gris de l'institution, Tibor et Piroska vivent ensemble depuis 23 ans dans une petite pièce. Ils se sont rencontrés pour la première fois dans cette résidence pour personnes en situation de handicap à Tordas, à une heure de route de la capitale hongroise Budapest, où ils vivent toujours.

C'est la seule institution du pays qui a accepté d'ouvrir ses portes à Euronews et l'un des rares endroits qui permet aux couples handicapés de partager une chambre.

Bien qu'heureux et amoureux, Tibor et Piroska n'ont jamais envisagé d'avoir des enfants. Non pas à cause de leur déficience intellectuelle, mais ils le savent, ils ne vivent pas au bon endroit pour fonder une famille.

"Si nous ne vivions pas ici, notre choix n'aurait pas été le même, mais dans une institution, ce n'est pas possible parce qu'un enfant a besoin de sécurité", dit Tibor.

L'infirmière en chef de Tordas, Melinda Bartók, partage son avis. "Je ne peux pas imaginer qu'un enfant de trois ans aille à la maternelle et qu'on lui demande où il habite. Un bébé en bonne santé qui grandit dans un établissement psychiatrique ne peut commencer sa vie dans ce genre de contexte".

"La contraception forcée est la règle"

Sur les 200 résidents, 50 couples vivent ensemble et seules cinq femmes sont sous contraception à Tordas, selon Melinda Bartók. Malgré cela, dit-elle, "au cours des 20 dernières années, il n'y a eu ni naissance ni avortement".

Il est simplement étrange que dans les institutions où vivent 200 ou 300 personnes handicapées, il n'y ait absolument aucune grossesse
Sándor Gurbai
porte-parole de la Fondation Validity

"Il est simplement étrange que dans les institutions où vivent 200 ou 300 personnes handicapées, il n'y ait absolument aucune grossesse", déclare Sándor Gurbai, porte-parole de la Fondation Validity.

"La contraception forcée est la règle. Ce n'est pas écrit dans le contrat signé par les stagiaires, mais il y a un accord verbal. Sinon, vous ne serez pas admis", ajoute-t-il.

À 58 ans, Piroska n'a plus besoin de contraceptifs, auparavant si. "J'avais l'habitude de prendre Ovral, des pilules roses et des pilules blanches", dit-elle. Parfois, elle recevait aussi des injections, ajoute-t-elle, et ce n'était pas par choix. "Ils ont été prescrits par le neurologue".

L'institution est vigilante et chaque fois qu'un garçon et une fille se fréquentent, un protocole est activé. 

"Nous ne pouvons pas prétendre que nous ne l'avons pas remarqué. Alors on informe les parents et il suffit d'un hochement de tête pour qu'on sache ce qu'on a à faire", raconte l'infirmière.

"Puis un examen gynécologique s'impose et enfin on leur prescrit des contraceptifs", ajoute-t-elle.

La question de savoir si les personnes handicapées doivent avoir des familles ne se pose même pas, car elles sont elles-mêmes traitées comme des enfants
Tasz Kristoff Kornyei
Avocat hongrois et militant d'une ONG

Les lacunes de la loi

"La vie dans les institutions pour personnes handicapées est répressive", déclare l'avocat hongrois et militant d'une ONG Tasz Kristoff Kornyei. "La question de savoir si les personnes handicapées doivent avoir des familles ne se pose même pas, car elles sont elles-mêmes traitées comme des enfants", ajoute-t-il.

Lorsque la contraception n'est pas adaptée à la patiente, les établissements ont recours à la stérilisation.

À Tordas, 15 femmes ont dû subir une ligature des trompes, une pratique autorisée par la loi en Hongrie, l'un des trois seuls pays de l'UE - avec le Portugal et la République tchèque - qui ne criminalise pas la stérilisation des mineurs.

La loi dit que dans les cas de stérilisation, le juge doit écouter la patiente et ses tuteurs, mais lorsque le handicap de la femme l'empêche de l'exprimer oralement, "la décision du tuteur est celle qui sert de guide", dit l'infirmière.

Les médecins disent que les stérilisations sont faites pour protéger ces femmes, mais les protéger de quoi ? De la grossesse en cas de viol ?
Marie Rabatel
présidente de l'Association française des femmes autistes

Bien que sur le papier la loi hongroise semble très restrictive, les experts se plaignent qu'en pratique les choses soient moins claires.

"Le juge doit écouter mais il n'est pas précisé comment cela doit être fait", déclare Sándor Gurbai, porte-parole de la Fondation Validity.

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De plus, dans certains cas, le texte n'exige pas le consentement du patient, mais précise que le patient ne peut pas s'y opposer. "Si la personne handicapée s'assoit sans rien dire, le consentement est pris pour acquis", ajoute-t-il.

Sándor Gurbai souligne qu'il existe également une lacune dans la loi, car dans les cas où la grossesse est considérée comme présentant un risque pour la vie de la personne, le juge n'est pas obligé de demander l'approbation, donc une stérilisation forcée a lieu.

D'autres articles de loi sont "incroyablement subjectifs et préjudiciables", selon le Forum européen des personnes handicapées.

"Le système judiciaire prend en considération un certain nombre de facteurs, notamment si quelqu'un est considéré comme incapable d'élever un enfant ou l'hypothèse qu'un enfant né d'une personne qu'ils décrivent comme 'incapable' serait probablement 'gravement handicapé'" eux-mêmes, dit Catherine Naughton, directrice de l'organisation européenne.

"Ce sont eux qui analysent si la personne serait capable d'élever l'enfant et si son enfant serait handicapé et ils décident à leur place, ce qui est évidemment très préjudiciable", ajoute-t-elle.

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Les stérilisations entraînent des abus

Les abus sexuels sont une réalité dans les institutions pour personnes en situation de handicap. Et la grossesse est souvent le seul moyen de les détecter. C'est pourquoi les organisations s'interrogent sur la finalité de la stérilisation.

"Les médecins disent que les stérilisations sont faites pour protéger ces femmes, mais les protéger de quoi ? De la grossesse en cas de viol ?", déclare Marie Rabatel, présidente de l'Association française des femmes autistes.

"Le traumatisme pour ces femmes, ce n'est pas le viol, mais la grossesse", réfute la responsable du service de gynécologie d'un hôpital espagnol qui préfère ne pas divulguer son identité.

Les associations ne comprennent pas pourquoi les gouvernements n'investissent pas d'avantage de ressources pour protéger ce groupe, considéré comme "l'un des plus vulnérables".

Ce reportage a été réalisé avec le soutien de Journalismfund Europe.

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