De grands immeubles, des mœurs légères : le mouvement Art déco fête son centenaire
Issu d'un salon parisien du design organisé il y a 100 ans, l'"Art déco" a surgi des cendres de la Première Guerre mondiale, apportant la confiance, la prospérité, de très grandes fêtes et de nouveaux bâtiments audacieux, immédiatement reconnaissables.
PUBLICITÉ
La capitale française a connu la première émergence du phénomène de l'art et du design, appelé plus tard Art déco, dans les années 1910, mais qui ne s'est véritablement épanoui qu'à l'occasion de l'exposition universelle de Paris en 1925.
Une réponse artistique et philosophique au mouvement Art nouveau de la fin du XIXe siècle signifiait qu'après la brutalité de la guerre et les destructions de la Première Guerre mondiale, la complexité, la fantaisie et le romantisme avaient rapidement cédé la place à des lignes épurées et à un design géométrique. Mais il y avait aussi le sentiment qu'il fallait s'amuser avec style, maintenant que c'était à nouveau possible. C'est pourquoi, 100 ans plus tard, cette semaine même, nous vous proposons d'en savoir plus.
Comment l'Art déco a-t-il vu le jour ?
L'Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de 1925 a inspiré ce qui est devenu le nom plus accrocheur d'Art déco dans un texte de Bevis Hillier publié en 1968. Cette exposition, qui se tenait dans la capitale française, présentait les dernières nouveautés en matière de design moderne. Le nouveau mouvement est ainsi devenu l'incarnation des principes modernistes dans le domaine de l'art et du design. Ayant de nombreux éléments en commun avec le cubisme et le constructivisme russe, l'Art déco a déplacé l'attention de l'éphémère vers le pratique et le technique. Un désir d'ordre après le chaos, pourrait-on dire. Mais cela ne veut pas dire que l'Art déco était banal ou qu'il n'avait pas le vent en poupe. Bien au contraire.
Où puis-je voir de l'Art déco ?
L'hôtel Savoy de Londres a commencé sa vie en tant qu'entité Art nouveau, mais l'un des membres de l'entreprise a participé à la foire de Paris en 1925 et en est revenu avec des idées très différentes en matière de design.
Le remaniement de la salle à manger privée "Pinafore" par le designer britannique Basil Ionides en 1926 a incarné le changement de style vers l'Art déco et n'a pas été modifié jusqu'à aujourd'hui. En 1929, l'architecte Howard Robertson a dévoilé l'emblématique enseigne en acier inoxydable "Savoy" qui s'étend sur toute la largeur de Savoy Court, ci-dessus.
Bruxelles ne manque pas non plus d'Art déco. Et pas seulement dans ses célèbres bâtiments municipaux tels que la Villa Empain, la Basilique de Koekelberg et des éléments du Palais Stoclet, mais aussi dans certains quartiers résidentiels du centre de la ville belge.
Et bien sûr, la ville qui a donné le coup d'envoi, Paris, est un paradis pour les amateurs d'Art déco. Le Palais de Tokyo et le Théâtre des Champs-Élysées sont deux emblèmes notables de ce style.
Mais le mouvement a survécu à sa genèse européenne pour prendre d'assaut les États-Unis, comme en témoigne l'imposant édifice ci-dessous. Le Merchandise Mart de Chicago a ouvert ses portes en 1930 avec une superficie stupéfiante de quatre millions de pieds carrés.
Qu'est-ce qui définit l'Art déco ?
Un mouvement artistique est souvent difficile à définir, car, même s'il a un manifeste, celui-ci n'est généralement écrit que par une poignée de personnes tout au plus, et plus tard, d'autres développent ou même renient la première forme.
Emma Bastin, historienne et trésorière de l'Art Deco Society au Royaume-Uni, explique que c'est l'une des raisons pour lesquelles il est difficile d'établir une définition.
"L'Art déco a subi de nombreuses influences, des plus anciennes, comme l'Égypte et la Grèce antiques, aux plus modernes, comme l'art le plus avant-gardiste du début du XXe siècle. Il s'inspire également de la commercialisation de masse, du travail des artisans et de l'utilisation de nouveaux matériaux artificiels. Enfin, il est apparu dans de nombreux pays européens différents à la même époque, ce qui a contribué à son éclectisme".
L'Égypte ancienne peut sembler bien loin des années folles, mais la découverte du tombeau de Toutânkhamon (lien en anglais) par Howard Carter en 1922 a remis l'antiquité au goût du jour. À quelques encablures de la rivière Chicago, le Riverside Plaza (achevé en 1929) arbore une image faisant référence au pharaon sous le cadran de l'horloge.
Mais toutes ces influences ne rendent-elles pas ces lieux impossibles à reconnaître comme faisant partie d'un mouvement spécifique ?
"Il y a quelque chose qui rend l'Art déco immédiatement reconnaissable", insiste M. Bastin.
"Les formes géométriques, les lignes pures et les couleurs vives sont souvent utilisées. On retrouve également des motifs répétés dans de nombreuses formes d'art déco, tels que des zigzags, des rayons de soleil ou des figures humaines. Tout ce qui est décoratif est généralement très simple et dépouillé, plutôt que photoréaliste. Le résultat de cette simplicité est que les objets, les bâtiments et l'art ont souvent un aspect très moderne et glamour, ce qui explique leur attrait durable - pensez au glamour de Gatsby, à l'utilisation d'intérieurs inspirés de l'art déco dans les hôtels de luxe, ou à l'attrait durable des affiches qui sont maintenant populaires en tant qu'art à part entière".
Les références aux formes géométriques et aux lignes épurées ne s'appliquent pas seulement à l'architecture, bien sûr. On pense tout de suite à la mode.
La sortie au cinéma, il y a plus de dix ans, du film "Gatsby le Magnifique" avec Leonardo DiCaprio, qui est tiré de, peut-être, le texte phare de l'Art déco, a été une excellente occasion pour les costumiers de revisiter les styles de l'époque faste de F. Scott Fitzgerald.
Comment le mouvement s'est-il développé ?
L'Art déco s'est transformé en un style plus épuré au fur et à mesure que les années 1930 avançaient. Les éléments excessifs ont été tempérés et rendus moins évidents. L'accent est désormais mis sur les lignes horizontales plutôt que sur les lignes verticales.
Le style s'inspire des progrès technologiques, en particulier des aspects de la technologie qui améliorent la vie des personnes les plus glamour. Les paquebots, les avions et les trains de plus en plus élégants. Les "nouveaux matériaux artificiels" dont parle Bastin sont le chromage et la possibilité de construire beaucoup plus haut grâce à l'utilisation croissante de l'acier. La verticalité du gratte-ciel américain en est le témoignage le plus évident, mais plus près de nous, l'utilisation de la pierre de Portland et des lettres dorées, comme à la St Olaf's House de Londres, sont également des caractéristiques de l'Art déco et du Streamline Moderne.
Dans le même temps, le développement urbain a créé le besoin d'un plus grand nombre de bâtiments municipaux dans les banlieues en expansion et il y a donc eu de plus en plus d'occasions de construire en utilisant ce style et ces éléments.
D'une certaine manière, l'Art déco et son développement rationalisé peuvent donc être considérés moins comme un mouvement artistique que comme le résultat d'une société en mutation, en raison des changements économiques et du besoin d'un nouvel environnement offrant davantage de services.
