Jan Fabre, un performer à la Biennale de la Danse de Lyon

Jan Fabre, un performer à la Biennale de la Danse de Lyon
Par Vicenç Batalla
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L’artiste flamand fût protagoniste de la manifestation internationale avec une action au vélodrome et une exposition de ses quarante ans d’interventions solo

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L’artiste flamand fût protagoniste de la manifestation internationale avec une action au vélodrome et une exposition de ses quarante ans d’interventions solo.

La danse contemporaine est très difficile à cerner. Depuis qu’on a aboli les frontières des arts de la scène, et que la danse s’est incorporée à ce brassage, on peine à identifier le genre de certains spectacles. Ce que propose le Flamand Jan Fabre est-il du théâtre, de la danse, de la performance, de la politique ? Quand il a commencé à Anvers en 1976, il avait 18 ans et pour tout référence le punk et les peintres primitifs de son pays (Van Eyck, Bosch ou Bruegel). Ses premiers solos dans les vitrines de sa ville, où il s’exposait déjà soumettant son corps à divers types d’épreuves, constituent un acte fondateur qui préfigure ses représentations collectives de 24 heures non-stop.

Dans l’idée de présenter dans un même espace-temps l’intégralité de son parcours solo, le théoricien de l’art italien Germano Celant – inventeur du terme art povera – avait organisé en 2013 au Museo Nazionale Delle Arti De XXI Secolo ([MAXXI](http://www.fondazionemaxxi.it<span class=>)) de Rome l’exposition Stigmata-actions & performances. Aujourd’hui, cette dernière débarque, jusqu’au 15 janvier 2017, au Musée d’Art Contemporain (MAC) de Lyon, qui abritre déjà la collection la plus importante de ses films. Il s’agit d’une version réactualisée qui conserve pourtant la scénographie horizontale de petites tables de verre à Rome avec huit-cents objets de Fabre, les sculptures-costumes et les murs recouverts de films et écrits issus de son Journal de nuit. De quoi immerger le spectateur dans l’univers du flamand, aussi perméable qu’acide.

Vue de l’exposition Jan Fabre Stigmata – Actions & Performances 1976–2013 au MAC Lyon (30 septembre 2016 – 15 janvier 2017), © Adagp, Paris 2016, © Photo : Blaise Adilon

« Mon impression, après ces quarante ans, c’est (d’assister à) une découverte » nous racontait Fabre fin septembre à l’ouverture de l’expo à Lyon. « Il y a trois ans, le commissaire Celant avait trouvé en Amérique films et dessins, mais aussi dans des collections suisses et italiennes, des choses que je n’avais pas vues depuis trente ans ! Quand l’exposition a été présentée à Rome, c’était pour moi une grande surprise parce que je me suis rendu compte que beaucoup de mes projets n’avaient pas été oubliés dans les collections, musées ou universités. C’était très excitant ». Le performer avait arrêté ses solos au milieu des années 80 pour diriger sa compagnie Troubleyn et jouer avec les autres à base de répétitions et de chocs visuels et corporels. Sa pièce fondatrice de huit heures ‘C’est du théatre comme c’était à espérer et à prévoir’ avait d’ailleurs été rejouée lors de la Biennale en 2014. À la fin des années 80, il reprend les solos et duos. Quelle est son impression en voyant réuni tout ce travail éphémère ? « La sensation de voir un jeune artiste en lutte, en doute, à la recherche de nos besoins. Et, aujourd’hui, je suis encore mu par cette quête. Je doute encore, je continue de chercher, d’essayer… ». Lors de la clôture de cette 17e Biennale de la Danse, Fabre a présenté une performance au vélodrome de Lyon intitulée Une tentative de ne pas battre le record du monde de l’heure établi par Eddy Merckx à Mexico en 1972. Avec la présence du vrai Merckx, cinq fois vainqueur du Tour de France et considéré comme le meilleur cycliste de tous les temps, mais aussi d’autres monuments de ce sport comme Raymond Poulidor ou Daniel Mangeas, le speaker officiel du Tour. © Photo : Gilles Reboisson« Quand le directeur du MAC, Thierry Raspail, m’a proposé d’emmener l’exposition ici, il m’a demandé de faire un performance solo. On s’est promené dans différents endroits de Lyon. Et je n’en aimais aucun. Quand on est retourné au parc de la Tête d’Or, j’ai vu le vélodrome. Et je lui ai dit que s’il m’offrait le vélodrome, j’en ferai un hommage à Merckx ». Pourquoi ?

« Pour moi, il représente la souffrance. Quand je voyais Merckx, je voyais quelqu’un qui souffrait d’une manière extrême. Dans un restaurant hier soir quand je l’ai rencontré, il m’a raconté qu’il sentait toujours un manque de sécurité, qu’il avait toujours peur. Et c’est peut-être pour cela qu’il a été toujours un type fantastique en sport. C’est la beauté de la souffrance extrême. Donc, c’est un hommage à lui et, évidemment, c’est l’occasion de rappeler que je suis né dans un pays de géants: Merckx, Rubens, Van Eyck, Van Dyck… ». Mais de quelle manière a-t-il fait sien cet hommage? En proposant, une heure durant, des tours de piste du vélodrome en costume-cravate et avec pour tout ravitaillement des biftecks crus. Un clin d’œil à Merckx, surnommé le cannibale pour sa soif de victoire.

« Je ne crois pas que Merckx prenait des substances interdites, mais ce soir je prendrai des drogues… je mangerais beaucoup de viande ! En hommage au cannibale, je mangerai beaucoup de viande, avec de la drogue à l’intérieur (rires)”. Résultat: 22,949 kilomètres au compteur. Pas de record au vu des 49,431 kilomètres de Merckx en 1972. Mais une intention politique ». Le nouveau projet de Fabre est une exposition à grande échelle à l’Ermitage de Saint-Pétersbourg, la première d’un artiste vivant dans cette légendaire institution. Elle s’intitule Khnight of despair/Warrior of beauty et a été inaugurée le 21 octobre avec ses œuvres datant de ces trois dernières années. ### Les corps rebelles contemporains

L’épisode du vélodrome clôturait la Biennale de la Danse. Mais, pendant plus de deux semaines, 35 spectacles de tous horizons étaient au programme dont la moitié de créations ou de premières françaises. Parallèlement a ouvert une autre exposition sur la danse contemporaine : Corps rebelles. En coproduction avec le Musée de la Civilisation de Québec, le nouveau Musée des Confluences lyonnais accueille jusqu’à mars 2017 un parcours audiovisuel sur les quarante dernières années de la danse contemporaine. Avec un itinéraire thématique, des enregistrements de chorégraphes et danseurs et de nombreux extraits vidéo de pièces qui ont le plus marqué son évolution. On peut aussi y apprécier huit versions différentes du Sacre du printemps dont une réplique de l’original, qui avait créé un scandale retentissant en 1913 au Théâtre des Champs-Elysées de Paris avec, sur scène, un Nijinski bondissant aux portes de la folie. L’exposition est aussi une revendication de Lyon comme terre de danse. D’abord, avec la création de la Maison de la Danse en 1980. Et, ensuite, avec le début de la Biennale en 1984. L’actuelle directrice de la Maison, la chorégraphe Dominique Hervieu, a désormais pris les rênes de la Biennale. La programmation reflète ses goûts hétérodoxes et hybrides. Durant cette édition, l’accent a été mis sur le rapprochement entre danse populaire et danse savante.

On a assisté à une dizaine de représentations. Et on a surtout apprécié la dernière production du flamand Alain Platel Nicht schlafen. Sur une musique de Gustav Mahler, il a réussi la transposition d’époques entre les symphonies prémonitoires du début du XXe siècle et un XXIe siècle qui invoque les vieux monstres de l’intolérance et du nationalisme. Les mouvements et rencontres des corps des danseurs en sont la preuve, tout comme l’introduction des chants africains au beau milieu des symphonies.

L’autre grande première fût Auguri du français Olivier Dubois, présenté quelques semaines pout tôt à Hambourg. On y voit 22 danseurs pris dans une course frénétique et éperdue : entrées de scène, sorties de scène, collisions, quête d’absolu par exténuation… Le tout sur fond de musique électronique bruitiste qui monte en intensité.

La musique électronique a d’ailleurs été un protagoniste récurent de cette biennale, avec quelques trouvailles. Lors de la soirée d’inauguration à l’Opéra de Lyon, l’Italien Alessandro Sciarroni accompagnait le ballet en résidence avec un hypnotique Turning (motion sickness version). Les danseurs tournaient pendant une demi-heure à la fois sur eux-mêmes et autour des autres suscitant une atmosphère psychédélique. L’Espagnole Marina Mascarell assurait la première partie avec une délicate création documentée sur la théorie du genre.

Turning_Motion Sickness Version, Alessandro Sciarroni, © Photo : Michel Cavalca

Le Français Christian Rizzo et ses danseurs de Montpellier ont quant à eux créé à l’opéra Le syndrome de Ian, inspiré du personnage d’Ian Curtis de Joy Division et la scène clubbing britannique qui est survenue après sa mort avec le groupe New Order. La composition musicale était originale et la chorégraphie vibrante et sensuelle, même s’il manquait parfois quelques moments de tension.

Le syndrome ian, Christian Rizzo, © Photo : Marc Coudrais

Yuval Pick, directeur du Centre Chorégraphique National de Rillieux-la-Pape près de Lyon, a choisi lui la musique de Kraftwek comme fil conducteur – avec le romanticisme de Schubert – pour son spectacle Are friend electric?. Ses danseurs y alternent mouvements robotiques et d’autres en silence.

Mais pour une vraie démonstration robotique il fallait aller voir la Canadienne Louise Lecavalier, ancien collaboratrice de David Bowie de la période Fame. À 57 ans, elle danse plus d’une heure durant en solo et en duo sur une bande son machines-guitare en live, avec une énergie qui laisse pantois. Une leçon de danse savante et populaire. De son côté, le chorégraphe suisse Yann Duyvendak explose avec Sound of music les codes de la comédie musicale de Broadway pour en faire une satire de la crise financière aux accents disco. Côté à côté, des chanteurs professionnels et danseurs étudiants.

On attendait beaucoup du New-Yorkais Jonah Bokaer et de ses collaborations avec des compositeurs actuels. Ses pièces plus anciennes avec Daniel Arsham, Recess et Why patterns, étaient délicates. Surtout la première où il se met en scène avec une curieuse scénographie de papier. Mais la nouvelle Rules of the game, avec partition du célèbre Pharell Williams et enregistrement de l’Orchestre Symphonique de Dallas, était prévisible et trop classique.


Rules of the Game, Jonah Bokaer, © Photo : Christian Ganet

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Plus sympathique était l’Italienne Cristiana Morganti, égérie de Pina Bausch du Tanztheater de Wuppertal, qui dans Jessica and me, raconte avec humeur et sans pudeur sa trajectoire.

L’ironie et la démythification du flamenco sont les marques de fabrique de l’Espagnol Israel Galván. Avec Fla.Co.Men, il se moque ainsi, avec élégance, de la partie la plus réac de ce style et en propose une nouvelle lecture avec chanteurs classiques et musiciens free-jazz.


FLA.CO.MEN, Israel Galván, © Photo : Hugo Gumiel

La seule vraie déception provint du Français François Chaignaud et l’Argentine Cecilia Bengolea. Son mix entre chant polyphonique médiéval et chorégraphies de dancehall jamaïcain ne prenait pas. Trop démonstratif, même si les danseurs étaient à la hauteur. Au bout du compte, le plus palpitant reste cette façon de décloisonner la danse contemporaine.

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