30 ans après la chute du Mur de Berlin, toujours plus de barrières en Europe

Ancienne clôture datant de la RDA, photographiée sur le "Sentier de la frontière interallemande" près de Teistungen, en Allemagne, le 4 août 2019.
Ancienne clôture datant de la RDA, photographiée sur le "Sentier de la frontière interallemande" près de Teistungen, en Allemagne, le 4 août 2019. Tous droits réservés REUTERS/Michael Dalder
Par Vincent Coste
Partager cet articleDiscussion
Partager cet articleClose Button

L'heure n'est plus à l'ouverture, trois décennies après le 9 novembre 1989. Les nouveaux remparts de l'Europe ont remplacé, et durablement, le mur et le rideau d'antan.

PUBLICITÉ

Après la chute du Mur de Berlin et la fin du rideau de fer, l'Europe a rêvé d'un monde ouvert, où les citoyens pourraient circuler libres, sans entraves. Mais trente ans plus tard, le constat est malheureusement tout autre, car l'Europe érige de nouvelles barrières à ses frontières. Plus de 1 000 kilomètres de murs, de clôtures ont été ainsi construits depuis 1989. Soit l'équivalent de six fois la longueur du Mur de Berlin.

Aujourd'hui, il ne s'agit plus de séparer des régimes politiques. Ces nouveaux murs sont la traduction de la montée du populisme observée dans de nombreux pays européens, où l'autre, le migrant est pratiquement partout stigmatisé. En effet, selon un nouveau rapport du think tank Transnational Institute (TNI), basé à Amsterdam, l'Europe s'est surtout parée de nouvelles "protections" depuis 2015, lorsque la situation en Syrie a contraint à l'exil des millions de personnes, avec l'Europe comme espoir de vie meilleure. Les politiques sécuritaires de plus en plus répressives sont également pointées du doigt par le rapport du TNI.

Ces dispositifs (murs, barrières, clôtures, barbelés) ont été ainsi déployés par plus d'une dizaine de pays en Europe, comme en Hongrie, en Autriche ou en Bulgarie. Le TNI note que depuis la fin de la Guerre froide, leur mise en place a nécessité un investissement compris entre 900 millions et un milliard d'euros. De plus, les entreprises présentes sur ce "marché" ont pu bénéficier de financements de l'Union européenne, comme le fonds pour les frontières extérieures (doté de 1,7 milliard d’euros, sur la période 2007-2013) ou le fonds pour la sécurité intérieure-Frontières (2,76 milliards d’euros sur la période 2014-2020).

Si ces murs physiques sont l'aspect le plus visible et symbolique de la "forteresse Europe" qui se dresse, ils sont complétés par des murs maritimes et des murs virtuels. Ces derniers sont bien plus efficaces, avance le TNI, pour empêcher l'entrée en Europe.

Des opérations maritimes, pour la plupart sous l'égide de Frontex (Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures) et organisées en Méditerranée, ont couvert ou continuent de couvrir des milliers de miles nautiques (le TNI avance le chiffre de 4 750 km). Des bateaux, des hélicoptères ont été déployés dans le cadre d'opérations pour scruter les flots et traquer les embarcations illégales. Les dépenses liées à ces murs maritimes, toujours selon le TNI, ont représenté au moins 676,4 millions d’euros entre 2006 et 2017, dont 534 millions par Frontex (opérations Poseidon, Hermes, Minerva, etc.) 28,4 millions directement par l’UE dans le cadre de l’opération Sophia et 114 millions par l’Italie dans l’opération Mare Nostrum.

Les pays européens, et plus spécifiquement ceux de l'espace Schengen, se sont dotés de systèmes à l'image du SIS II (Schengen Information System) et du EES (Entry/Exit Scheme, système d'entrée/sortie), pour contrôler les mouvements des individus. Les investissements dans ces murs virtuels s'élèvent à un milliard d'euros.

Le rapport du TNI liste les entreprises impliquées dans l'édification de ces murs, comme Thalès, Leonardo ou Airbus. La société française Thalès spécialisée dans l’armement a notamment fourni les systèmes de surveillance embarqués sur les navires de Frontex. Leonardo, entreprise italienne d'armement, a ,elle, livré des hélicoptères et des drones utilisés dans le cadre des opérations maritimes et est impliquée dans le système EES. Enfin, la branche armement du géant européen Airbus a largement bénéficié des opérations de surveillance des frontières en décrochant de nombreux contrats pour ses hélicoptères.

En outre, l'entreprise espagnole European Security Fencing a également été identifiée comme l'un des acteurs principaux du secteur des murs physiques. Elle a fourni ses fils barbelés (baptisés "Concertina") pour les clôtures de Ceuta et Melilla (enclaves espagnoles au Maroc). Cette société a été aussi mise a contribution pour produire les barbelés déployés en Autriche, en Bulgarie et en France, à Calais.

Les investissements consentis à la protection des frontières ne risque pas de se tarir, note enfin le TNI. La Commission européenne, dans le cadre de son budget 2021/2027, a ainsi alloué 11,27 milliards d'euros à Frontex, 8,02 milliards au fonds de gestion intégré des frontières. Les bases de données d’identification de l'UE et le système européen de surveillance des frontières Eurosur ont bénéficié, sur une période comprise entre 2000 et 2027, d'un financement d'au moins 1,9 milliard d’euros.

Trente ans après le 9 novembre 1989, l'heure n'est donc plus à l'ouverture. Les nouveaux remparts de l'Europe ont remplacé, et durablement, le mur et le rideau d'antan.

Partager cet articleDiscussion

À découvrir également

L'Ukraine n'est pas entièrement satisfaite du nouvel accord européen sur les céréales, selon le ministre de l'agriculture

L'UE doit-elle continuer à soutenir l'Ukraine ? Notre sondage révèle que les Européens y sont favorables

"Le destin de l'Europe est lié à celui de l'Ukraine", déclare la cheffe des libéraux de l'UE à Kiev