Le RN à Hénin-Beaumont : “Exemple de gouvernance” ou “vitrine de l’extrême-droite”?

Le RN à Hénin-Beaumont : “Exemple de gouvernance” ou “vitrine de l’extrême-droite”?
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Par Bryan Carter
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L’équipe d’Unreported Europe a voulu comprendre pourquoi le succès du Rassemblement National (RN) dans le commune d'Hénin-Beaumont fait l’objet d’un intérêt particulier en France.

Des centaines de personnes chantant la Marseillaise, dans la ville d’Hénin-Beaumont, au nord de la France. Sur scène se trouve Steeve Briois, le maire depuis 2014 et le vice-président du Rassemblement National (RN), le principal parti français d’extrême-droite.

"Il fait plein de belles choses, il passe même chez nous. Si on l’appelle pour des problèmes de voisinage ou quoi que ce soit il se déplace. En fait il visite tout, il fait des belles choses. On est franchement contents de lui", dit une femme présente à un rassemblement du parti.

Proche de Marine Le Pen, Steeve Briois fait campagne pour un deuxième mandat. Les élections municipales sont dans une semaine.

Il y a six ans, la moitié des électeurs de cette ville de 26 000 habitants avaient voté pour lui au premier tour des municipales.

L’équipe d’Unreported Europe a voulu comprendre comment la gestion d’Hénin-Beaumont illustre la vision du parti pour la France et pourquoi les Français de cette région se tournent vers le Rassemblement National.

Au-delà des militants du Rassemblement National, les citoyens en général se disent satisfaits de leur maire. Arnaud est un infirmier de 40 ans. Il n’aime pas le nationalisme affiché du parti mais trouve que la ville est bien gérée.

"Ils font de bonnes choses au niveau social, au niveau de l’encadrement, pour les enfants, même au niveau des hébergements, bien que ce ne soit pas un parti auquel j’adhère du tout", reconnaît-il.

La France est à quelques jours seulement du confinement lié au Coronavirus. Le gouvernement a décidé de maintenir le premier tour des élections municipales. La principale opposante au maire est Marine Tondelier, une membre écologiste du conseil municipal, à la tête d’une large coalition visant à renverser le RN.

"C’est assez difficile de prévoir ce qui va se passer, en plus avec le coronavirus, la campagne est un peu chamboulée", dit-elle.

Marine Tondelier fait face à un défi de taille. Steeve Briois, est considéré comme un maire amical, proche des gens. A 47 ans, il a déjà accumulé plus de trois décennies de militantisme de terrain à Hénin-Beaumont.

"Nous sommes en permanence, en permanence sur le terrain. On n’est pas à l’écoute des habitants deux mois avant les élections nous. Donc ce travail-là, forcément il paie un jour ou l’autre", estime Steeve Briois.

Un autre élément explique le succès du Rassemblement National. Hénin-Beaumont se trouve au cœur du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais. Pendant des siècles, les mines ont façonné l’identité locale, en fournissant des emplois et un sentiment de communauté. Il s’agit du bastion de la gauche. Puis, les mines ont fermé, les unes après les autres. Les industries comme l’acier ou le textile ont suivi le même chemin quelques décennies plus tard.

David Noël, un élu municipal communiste et professeur d’histoire, a été témoin de la transformation d’Hénin-Beaumont.

"Il y a d’abord eu la fermeture de plusieurs grandes usines dans la période 2008-2009, donc c’est beaucoup d’employés, d’ouvriers qui se sont retrouvés au chômage et qui se sont réfugié dans l’abstention ou dans un vote de colère, protestataire", explique-t-il.

La colère des habitants est encore alimentée par un taux de chômage de 20 % et une personne sur quatre vivant sous le seuil de pauvreté.

A cela s’ajoute un énorme scandale politique, en 2009, qui a mené à l’arrestation de l’ancien maire socialiste pour corruption et détournement de fonds.

Révoltés, les électeurs se tournent alors vers ce qui semble être la meilleure alternative. Jean-Robert, un ancien travailleur d’usine et militant du Rassemblement National, incarne parfaitement ce changement radical.

"Mon grand-père Voltaire Havet était un ancien résistant, ancien déporté, antifasciste. Mon père était militaire et ancien mineur. Ils ont tous les deux été décorés pour faits de résistance. Moi je me suis engagé au front national parce j’en ai eu marre d’être trahis par des gens de gauche, soi-disant ouvrier mais qu’on voit à la télé parce qu’ils passent au tribunal pour des histoires d’argent. Ils ne sont pas là pour les ouvriers mais seulement pour eux-mêmes, point barre. La ville était morte, il n’y avait plus rien dans Hénin, plus rien. Tout était mort. Maintenant ça revit", raconte Jean Robert.

Le Rassemblement National a mis en place un management de la peur
Habitant d'Hénin-Beaumont - Anonyme

Mais tout le monde ne fait pas l’éloge du Rassemblement National à Hénin-Beaumont. Certains condamnent les mesures qui ont été prises contre les migrants, les communautés Roms et les organisations des droits humains. La critique la plus fréquente s’attache au climat de peur et d’intimidation qui s’abat sur tous ceux qui ne se rangent pas derrière le parti d’extrême-droite. Journalistes, opposants politiques, militants et même fonctionnaires sont concernés. L’un deux a accepté de nous parler, sous couvert d’anonymat.

"Le Rassemblement National a mis en place un management de la peur. C’est vraiment un management de la peur. Tous les jours il y a des menaces des intimidations, des brimades, des ordres, des contre-ordres. A partir du moment où ils estiment que vous n’êtes pas avec eux, vous êtes fini, c’est comme ça", dénonce notre interlocuteur.

Plusieurs articles de presse corroborent ces accusations et indiquent un taux élevé d’absentéisme parmi les employés municipaux. Le maire lui, nie tout en bloc.

"C’est de la dinguerie, ça ne marche pas comme ça à Hénin-Beaumont. Ça, c’est la version militante, bolcho, de la rédaction du journal Libération qui parle, au service de la campagne adverse. Mais la réalité c’est que 90 % des agents à la Mairie se sentent très bien avec nous.

- Euronew : Comment vous le savez ?

- Parce qu’on les voit tous les jours Monsieur", rétorque Steeve Briois.

Avec les élections qui approchent, l’opposition accélère sa campagne, alliant porte à porte et placardage des dernières affiches. Pour la tête de liste, Marine Tondelier, l’objectif n’est pas seulement de gagner les élections ; il faut contrer le récit du Rassemblement National.

"Ici c’est leur vitrine, ils veulent montrer qu’ils sont le FN dé-diabolisé, qu’ils sont gentils, que tout va bien. La vérité c’est que le naturel revient rapidement au galop. Quand on est avec eux, là, il n’y a pas de problème, mais tous ceux qui ne sont pas de leur côté sont forcément contre eux dans leur tête et ils en paient le prix fort. Et ça ce n’est pas possible. Un maire doit travailler pour tous ses habitants", assume marine Tondelier.

Jour d’élections. A travers la France, le Coronavirus a entraîné une abstention encore plus importante que d’habitude. A Hénin-Beaumont, 44 % des électeurs se sont rendus aux urnes. Les résultats sont incontestables.

Avec 74,2 % des voix, Steeve Briois l’emporte à une écrasante majorité.

Le succès du Rassemblement National à Hénin-Beaumont fait l’objet d’un intérêt particulier en France. Alors que le pays fait face à des inégalités sociales et que la colère grandit à l’égard des politiciens traditionnels, le parti de Marine Le Pen continue de promouvoir cette ville comme un exemple de gouvernance qui devrait être étendu à tout le pays.

Pour les autres partis, à Hénin-Beaumont et dans le reste de la France, le défi reste celui de mettre en lumière ce qu’ils estiment être les faiblesses de l’extrême-droite, tout en proposant une alternative crédible capable de séduire les électeurs désabusés.

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