Mayotte : l'opération "Wuambushu" entre dans le vif avec la démolition d'un vaste bidonville

Les pelleteuses sont entrées en action à Mayotte pour démolir les cases en tôle de Talus 2, l'un des plus importants bidonvilles de l'île, le 22 mai 2023.
Les pelleteuses sont entrées en action à Mayotte pour démolir les cases en tôle de Talus 2, l'un des plus importants bidonvilles de l'île, le 22 mai 2023. Tous droits réservés AFP
Par euronews avec AFP
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Les pelleteuses sont entrées en action lundi à Mayotte pour démolir les cases en tôle de Talus 2, l'un des plus importants bidonvilles de ce territoire français de l'océan Indien, marquant le vrai départ de l'opération sécuritaire contestée "Wuambushu".

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Le "décasage" a commencé vers 07H30 locales (06H30 à Paris) dans le quartier de Majicavo, sur la commune de Koungou, dans le nord de Grande-Terre, principale île du département le plus pauvre de France.

Les autorités françaises ont déployé depuis avril des centaines de policiers et gendarmes à Mayotte pour mener une série d'interventions des services sécuritaires et sociaux regroupées sous le nom de "Wuambushu" ("reprise" en mahorais).

Cette opération, qui vise à réduire l'habitat insalubre, lutter contre la délinquance et expulser les migrants en situation irrégulière, pour la plupart venus de l'archipel des Comores voisines, était quasiment au point mort depuis son lancement il y a près d'un mois.

Prévue initialement le 25 avril, la démolition de Talus 2 avait été suspendue par le tribunal administratif de Mayotte à Mamoudzou, avant que deux nouvelles décisions de justice ne donnent raison à l'État, la dernière datant de mercredi.

Tôt lundi matin, des gendarmes équipés de pieds de biche et de masses sont entrés dans les habitations pour vérifier que personne ne s'y trouvait, selon des journalistes de l'AFP.

Puis les pelleteuses ont commencé à détruire le bidonville, fracassant les murs en dur et écrasant la tôle dans un bruit métallique sourd.

Derrière les portes, personne : les derniers habitants ont quitté Talus 2 à l'aube.

"Pour l'instant, je n'ai pas de logement,
je dors dans mon restaurant, avec ma famille.
Fatima Youssouf
Résidente de Talus 2

Fatima Youssouf, l'une des doyennes du quartier, a attendu le dernier moment pour quitter sa maison en dur, dans laquelle elle a "investi toutes ses économies". Dans la précipitation, elle n'a pas pu enlever toutes ses affaires. "Pour l'instant, je n'ai pas de logement", confie la femme de 55 ans. "Je dors dans mon restaurant, avec ma famille".

Zenabou Souffou, qui vit à Talus 2 depuis 25 ans, raconte à l'AFP avoir vu grandir ses sept enfants dans ce quartier. Elle est en larmes devant les engins de chantier qui détruisent les structures en bois des "bangas", les cases locales.

Son mari, Mahorais, qui travaille pour la société de démolition Tetrama, a été mobilisé pour l'opération. Devant la maison de sa mère, il a perdu connaissance avant d'être évacué vers l'hôpital.

Politique "équilibrée"

La démolition de Talus 2, qui mobilisait lundi environ 200 personnes dont 150 gendarmes, "devrait durer toute la semaine", selon Psylvia Dewas, chargée de la résorption de l'habitat illégal à la préfecture de Mayotte.

Les services de l'Etat ont dénombré "162 cases à démolir" dans ce bidonville, a précisé sur place le préfet, Thierry Suquet. "On peut considérer aujourd'hui qu'il y a la moitié des familles qui vivaient dans ce quartier qui ont été relogées", a-t-il assuré.

"Le volontarisme politique paye : nous continuons la destruction des bidonvilles, dans lesquels habitaient de nombreuses familles dans des conditions indignes, en proposant des relogements", s'est félicité dans un tweet le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin.

Au total, les autorités prévoient de détruire un millier de logements insalubres à Mayotte sur plusieurs mois, dans une quinzaine de périmètres.

Le préfet a défendu une politique "équilibrée" qui, selon lui, permettra "aux Français qui vivent dans ces conditions-là et aux étrangers en situation régulière" d'avoir "un hébergement adapté".

Sur les 350 000 habitants estimés de Mayotte, la moitié n'a pas la nationalité française. Seul un tiers des habitants des quartiers insalubres la possède.

A la permanence sociale située en haut de Talus 2, dans une mairie annexe, six familles sont venues lundi porter une demande de relogement pour une vingtaine de personnes, selon la préfecture.

Un homme montre sa nouvelle habitation. Il vivait à Talus 2 et est arrivé samedi dans les structures de relogement de Talus 1, qui surplombe le bidonville en démolition.

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"Je l'ai pris mais Ce n'est pas un logement, il n'y a pas de pièces, regardez ! Comment je vis ici avec ma femme et mes enfants ? Où est-ce qu'on dort ?", s'emporte Abderrahmane Daoud devant la porte.

"Wuambushu" est dénoncée comme "brutale", "anti-pauvres" et violant les droits des migrants par des associations, mais soutenue par les élus et de nombreux habitants mahorais.

L'opération a fait l'objet d'un bras de fer entre Paris et Moroni, qui avait entraîné la suspension de la liaison maritime entre Mayotte et la proche île comorienne d'Anjouan pendant près de trois semaines.

Les expulsions de sans-papiers comoriens ont pu reprendre mercredi dernier à la faveur du redémarrage des rotations.

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