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La bataille la plus difficile de Zelensky : les Ukrainiens vent debout contre une loi anticorruption

DOSSIER : L'ombre du président ukrainien Volodymyr Zelenskyy est projetée sur un mur du centre de convention La Nuvola à Rome, jeudi 10 juillet 2025.
DOSSIER : L'ombre du président ukrainien Volodymyr Zelenskyy est projetée sur un mur du centre de convention La Nuvola à Rome, jeudi 10 juillet 2025. Tous droits réservés  Gregorio Borgia/Copyright 2025 The AP. All rights reserved
Tous droits réservés Gregorio Borgia/Copyright 2025 The AP. All rights reserved
Par Sasha Vakulina
Publié le Mis à jour
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Des milliers de manifestants se sont rassemblés à Kyiv, Lviv, Odessa et Dnipro pour protester contre une réforme express, voulue par le président, qui torpille l’indépendance des deux principales agences anticorruption.

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Le parlement ukrainien a adopté mardi un projet de loi controversé qui supprime de fait l'indépendance des instances anticorruption du pays, les plaçant sous la tutelle d'un procureur général, lui-même soumis au président.

Le projet de loi 12414 subordonne le Bureau national anti-corruption (NABU) et le Bureau du procureur spécial anticorruption (SAP ou SAPO) au procureur général de l'Ukraine.

Avant le vote, les activistes avaient exhorté les législateurs ukrainiens à voter contre le projet de loi, les avertissant qu'il serait impossible pour les deux principales agences anticorruption d'enquêter sur les hauts fonctionnaires sans l'approbation de l'administration du président Volodymyr Zelensky.

Malgré les pressions de la société civile, la Rada a adopté le projet de loi, ce qui a déclenché les premières manifestations en Ukraine depuis le début de l'invasion russe.

Des milliers de personnes sont descendues dans les rues de Kyiv, Lviv, Odessa et Dnipro pour protester contre le projet de loi 12414 et demander au chef de l'État d'y opposer son veto même après le feu vert du Parlement.

Mais selon le site officiel de la Rada, le président ukrainien a promulgué la loi dans la journée de mardi.

Quel est le rôle des deux agences anticorruption visées ?

Les deux structures ont été créées en 2015 dans le cadre des réformes pro-occidentales qui ont suivi la "révolution de la dignité" de 2014, qui a chassé l'ancien président ukrainien pro-russe Viktor Ianoukovitch.

Le NABU enquête sur la corruption de haut niveau et ses dossiers sont supervisés et poursuivis par le SAP. Ces affaires sont ensuite jugées par la Haute Cour anticorruption d'Ukraine.

Les deux institutions ont été créées dans le but de pouvoir enquêter et poursuivre en toute indépendance les hauts fonctionnaires ukrainiens soupçonnés de corruption, sans subir d'influence ou d'interférence politique.

Volodymyr Zelensky assiste à une session parlementaire à Kyiv, le jeudi 17 juillet 2025.
Volodymyr Zelensky assiste à une session parlementaire à Kyiv, le jeudi 17 juillet 2025. Vadym Sarakhan/Copyright 2025 The AP. All rights reserved

Les affaires de corruption étaient supervisées par le procureur général anti-corruption, qui était indépendant du parquet national.

La nouvelle loi supprime cette indépendance et place le NABU et le SAP sous la supervision directe du procureur général du pays.

Dans son adresse du soir, Zelensky a déclaré que "l'infrastructure anti-corruption fonctionnera, mais sans l'influence de la Russie".

"Nous devons tout nettoyer. Et il devrait y avoir plus de justice. Bien sûr, le NABU et le SAP fonctionneront. L'Ukraine a vraiment veillé à ce que ceux qui enfreignent la loi soient inévitablement punis. Et c'est ce dont l'Ukraine a vraiment besoin. Les affaires non résolues doivent faire l'objet d'une enquête", a-t-il ajouté.

Raids contre le NABU

Alors que Volodymyr Zelensky prononce habituellement son discours quotidien sur Telegram vers 20 heures, heure locale (19 heures CET), la dernière vidéo n'a été publiée qu'à environ 1 heure du matin, après que le parlement a adopté le projet de loi dans la précipitation et que les manifestants se sont rassemblés pour exprimer leur mécontentement.

"Depuis des années, des fonctionnaires qui ont fui l'Ukraine vivent à l'étranger, pour une raison ou une autre, dans des pays très agréables et sans conséquences juridiques", a-t-il déclaré dans son adresse.

"Ce n'est pas normal. Il n'y a pas d'explication rationnelle au fait que des procédures pénales valant des milliards traînent depuis des années. Et il n'y a pas d'explication au fait que les Russes puissent encore obtenir les informations dont ils ont besoin", a-t-il poursuivi.

Lundi, le service de sécurité de l'État ukrainien (SBU) a déclaré qu'il avait lancé une série de raids sur le NABU et effectué plus de 70 perquisitions dans le cadre d'une enquête sur des allégations selon lesquelles des fonctionnaires de l'agence auraient coopéré avec la Russie.

Des agents du SBU lors d'une opération visant à arrêter des collaborateurs russes présumés à Kharkiv, le 14 avril 2022.
Des agents du SBU lors d'une opération visant à arrêter des collaborateurs russes présumés à Kharkiv, le 14 avril 2022. Felipe Dana/Copyright 2022 The AP. All rights reserved.

Le SBU a déclaré avoir arrêté un fonctionnaire du NABU soupçonné d'être un espion russe et un autre soupçonné d'avoir des liens commerciaux avec Moscou. D'autres fonctionnaires de l'agence avaient des connexions avec le parti interdit d'un politicien ukrainien en fuite, selon les autorités.

Le NABU a critiqué les perquisitions et a déclaré qu'elles allaient trop loin.

"Dans la plupart des cas, les motifs invoqués pour justifier ces actions sont l'implication présumée de certaines personnes dans des accidents de la circulation", peut-on lire dans un communiqué. "Toutefois, certains employés sont accusés d'avoir des liens possibles avec l'État agresseur [la Russie]".

Selon le NABU, il n'y a aucune preuve que son agent détenu par le SBU ait été impliqué dans des activités anti-étatiques.

"Un sérieux recul"

La branche ukrainienne de Transparency International a déclaré que le projet de loi compromettait l'une des réformes les plus importantes depuis la "révolution de la dignité" et qu'il nuirait à la confiance des partenaires internationaux.

L'organisme de surveillance a également condamné les descentes du SBU dans les locaux du NABU, déclarant que les autorités exerçaient une "pression massive" sur ceux qui luttent contre la corruption.

Le NABU et le SAP ont exprimé leur inquiétude concernant la nouvelle loi dans une déclaration commune.

"Le chef du SAP deviendra une figure nominale, tandis que le NABU perdra son indépendance et se transformera en une sous-division du bureau du procureur général", ont déploré les deux agences.

Dans un message publié sur X, la commissaire européenne à l'élargissement, Marta Kos, s'est déclarée "gravement préoccupée" par l'initiative législative.

"Le démantèlement de garanties essentielles protégeant l'indépendance du NABU est un sérieux pas en arrière", a-t-elle regretté. "Des organismes indépendants tels que le NABU et le SAP sont essentiels pour permettre à l'Ukraine de s'engager sur la voie de l'UE. L'État de droit reste au cœur des négociations d'adhésion à l'UE", a-t-elle ajouté.

Une manifestation contre la réforme des agences anti-corruption dans le centre de Kyiv, le 22 juillet 2025.
Une manifestation contre la réforme des agences anti-corruption dans le centre de Kyiv, le 22 juillet 2025. Alex Babenko/Copyright 2023 The AP. All rights reserved.

Zelensky sous le feu des critiques

Pourtant, les critiques les plus sévères à l'encontre du président au sujet de la réforme controversée émanent de la société ukrainienne plutôt que de l'étranger.

Dans toute l'Ukraine, les manifestants ont brandi des pancartes sur lesquelles on pouvait lire : "Un véto", "Protégez le système anticorruption, protégez l'avenir de l'Ukraine", ou simplement "Nous sommes contre".

Des vétérans de guerre, des soldats en service actif, des civils et des militants anticorruption ont participé aux rassemblements qui demandaient à Zelensky d'opposer son veto au projet de loi.

Des manifestants scandent des slogans tout en brandissant des banderoles lors d'une manifestation à Kyiv, le 22 juillet 2025.
Des manifestants scandent des slogans tout en brandissant des banderoles lors d'une manifestation à Kyiv, le 22 juillet 2025. AP Photo

Le NABU et le SAP ont tous deux exprimé leur gratitude et leur soutien aux manifestations.

"Nous percevons ce soutien comme un signe de confiance dans notre institution. Et nous ferons tout pour le justifier", a déclaré le NABU dans un message sur les réseaux sociaux.

"Nous avons été particulièrement impressionnés par la position décisive des jeunes, l'avenir du pays pour lequel nous travaillons. Nous continuerons à travailler et à défendre l'indépendance de nos enquêtes contre toute ingérence", dit le message.

Le SAP a également remercié les manifestants pour leur soutien.

"Malgré d'immenses pressions et des décisions scandaleuses, nous continuons à nous battre pour la justice, l'intégrité et la dignité", peut-on lire dans le message de l'agence.

Pour de nombreux manifestants et critiques, l'importance de ce projet de loi est comparable à la décision prise en 2013 par Ianoukovitch de revenir sur l'intégration européenne de l'Ukraine, qui a déclenché la "révolution de la dignité", également connue sous le nom de l'Euromaïdan, conduisant à l'éviction du président pro-russe.

Lors des manifestations de mardi, de nombreux Ukrainiens brandissaient des pancartes faisant référence au soulèvement de 2014, appelant Zelensky à ne pas répéter les erreurs de son prédécesseur.

Beaucoup tenaient la photo de Zelensky de 2019, lorsque peu après son élection, il exhortait les gens à ne pas tolérer les cas de corruption et à contacter immédiatement le NABU.

"Nous ne vaincrons jamais la corruption si vous continuez à fermer les yeux. Vous demande-t-on un pot-de-vin ? Ne restez pas silencieux ! Contactez le service d'assistance téléphonique du NABU : 0 800 503 200. Chacun d'entre vous peut commencer à changer le pays dès aujourd'hui", avait déclaré Zelensky à l'époque.

Les manifestants, qui ont appris la promulgation de la loi entre-temps, se disent déterminés à rester dans la rue.

Sources additionnelles • version française : Alexander KAZAKEVICH

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