Dans le cadre du débat « IA et avenir du travail : la Chine et l’Europe face à la révolution technologique », des experts discutent de l'impact de l’intelligence artificielle sur les métiers, les compétences, les politiques RH et la sécurité des données.
Le déploiement de l’intelligence artificielle (l’IA) dans le monde du travail progresse en Chine et en Europe, mais n’avance pas au même rythme ni dans les mêmes conditions. Un plan de développement de l’IA de nouvelle génération (NGAIDP) vise à positionner la Chine comme leader mondial de l’IA d’ici 20230.
La Chine ne dispose pas encore de réel cadre juridique concernant l’IA mais reste pionnier depuis 2022 dans la régulation de certains usages de l’intelligence artificielle (IA générative, encadrement des deepfakes) ou de certaines technologies (algorithmes).
En Europe, la priorité est donnée au cadre légal et à la sécurité des données avant de passer à l’implémentation, comme en témoigne l’adoption en mars 2024 de l’AI Act, premier cadre juridique européen visant à réglementer le développement et l’usage de l’intelligence artificielle en classant notamment les systèmes d’IA selon leur niveau de risque.
Dans le cadre de notre série Euronews Debates, Euronews et CGTN se sont associés afin de débattre de cette thématique. Pour ce faire, ils ont fait appel à un panel d’experts aux domaines variés, pour attester de l’impact de l’IA, soit à travers leurs recherches, soit en témoignant de l’impact sur leur propre vie professionnelle .
Pour représenter la Chine, M. Ding Yifan, économiste, professeur à l'Institut de gouvernance mondiale et de développement de l'Université Renmin en Chine et M. Alex Wang, directeur général Noosphere Culture & Technology. Et pour représenter l’Europe, Giseline Rondeaux, docteur en sciences de gestion, chercheuse à l’université de Liège en Belgique spécialisée dans la gestion du changement et de la digitalisation au travail et Aladin Farré, producteur et réalisateur.
L’IA transforme les missions mais ne remplace pas les métiers
Lors du débat, les experts ont souligné que l’IA modifie en profondeur les métiers des collaborateurs, mais également ceux des managers. Pour les collaborateurs, de nouveaux rôles apparaissent : entraîner les machines, identifier et corriger les biais, interpréter les résultats en les replaçant dans leur contexte, ou encore gérer les exceptions et les situations complexes que la machine ne peut traiter seule.
« Pour les managers, la priorité est d’accompagner leurs équipes avec pédagogie, de favoriser leur montée en compétence liée aux outils d’IA et de conserver un regard critique tout en orientant la prise de décision » indique Giseline Rondeaux.
D’autre part, selon une partie des experts, L’IA transforme certaines tâches des salariés mais contrairement à certaines idées reçues, elle ne remplace pas encore les métiers à proprement parler. À titre d’exemple, le métier de réalisateur qu’exerce Aladin Farré :
Certains panélistes ont également mis l’accent sur les besoins croissants en formation et en reconversion professionnelle sur l’automatisation de certaines tâches par l’IA et l’importance de déployer rapidement des stratégies de ressources humaines adaptées.
Comme le souligne Alex Wang, « il est indispensable de rendre l’IA accessible à tous pour éviter que les écarts ne se creusent entre travailleurs qualifiés et non qualifiés, ainsi qu’entre petites et grandes entreprises ».
La priorité actuelle des entreprises consiste à encadrer les pratiques de Shadow AI ; ces usages informels de l’IA par les salariés sans que l’entreprise en ait connaissance.
«L’objectif n’est pas de les interdire, car ils sont souvent source d’innovation, mais plutôt de les identifier afin de sensibiliser les collaborateurs aux enjeux de cybersécurité et de fuite des données» clarifie Giseline Rondeaux.
Au-delà du monde du travail, quels sont les dangers liés à l’IA ?
Une lettre ouverte a récemment été publiée dans laquelle des spécialistes de renom ont appelé à suspendre immédiatement les expérimentations de l'IA à grande échelle comme Chat-GPT, invoquant des risques majeurs pour l'humanité.
Pour Ding Yifan, malgré les incertitudes quant à la suite, l’IA est actuellement une machine à penser, dépourvue de moyens d’action. Elle reste donc « contrôlable ». « Tant que des robots humanoïdes pleinement autonomes n’entrent pas en scène, le danger reste limité ».
L’un des risques majeurs actuels concerne plutôt la désinformation de l’opinion publique sur la scène internationale, notamment à travers les « fake news » comme on l’a vu avec la guerre en Ukraine.
La notion de durabilité : un contraste entre les États-Unis et la Chine Aux États-Unis, les investissements massifs dans des modèles d’IA gigantesques, très gourmands en énergie et alimentés par des quantités colossales de données, pourraient, en l’absence de retombées rapides, engendrer une crise économique, selon M. Ding Yifan.
« Cette bulle d’investissement de l’IA va prochainement éclater et provoquer une crise probablement plus importante que celle de 2008 » , prévient M.Ding Yifan.
La Chine, elle, adopte une approche plus sobre, misant sur des modèles plus petits, moins énergivores et donc plus durables. Elle privilégie par ailleurs le recours à l’open source (modèle duplicable) plutôt qu’à des systèmes fermés.
Pour nos quatre experts, le challenge est de former les jeunes générations à utiliser l’IA avec le recul nécessaire (croisement des sources, sens critique, capacité cognitive) pour les préparer au marché du travail de demain.