La Commission européenne fait l'objet d'une plainte concernant des publicités microciblées sur le projet de loi relatif aux abus sexuels commis sur des enfants

Le bâtiment Beralymont de la Commission européenne à Bruxelles
Le bâtiment Beralymont de la Commission européenne à Bruxelles Tous droits réservés Francisco Seco/Copyright 2019 The AP. All rights reserved.
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Par Mared Gwyn Jones
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Cet article a été initialement publié en anglais

La Commission européenne fait l'objet d'une plainte en justice pour son utilisation présumée de publicités microciblées "illégales" sur la plateforme de médias sociaux X, visant à influencer l'opinion publique en faveur de son projet de loi controversé sur les abus sexuels commis sur les enfants.

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Le Centre européen pour les droits numériques (NOYB), basé à Vienne et dirigé par l'avocat et activiste Max Schrems, a déposé jeudi une plainte auprès du Contrôleur européen de la protection des données à propos d’une campagne publicitaire qu'il considère comme étant en violation du RGPD, le règlement de l'UE sur la protection des données.

Selon NOYB, la direction générale (DG) des affaires intérieures de la Commission européenne a ciblé en septembre les utilisateurs des médias sociaux sur X (ex-Twitter) en fonction de leurs opinions politiques et de leurs croyances religieuses, dans le but d'obtenir le soutien du public pour son projet de loi controversé pour lutter contre les abus sexuels sur les enfants.

Le dossier soumis à l'organisme de surveillance de la protection des données présente des preuves suggérant que la Commission a utilisé la "fonction de ciblage par mot-clé" - qui vise les utilisateurs de X en fonction des mots-clés qu'ils recherchent ou utilisent dans leurs messages - pour atteindre des personnes qui n'étaient pas intéressées par les mots-clés : Qatargate, Brexit, Marine Le Pen, Alternative für Deutschland, Vox, Christian, Christian-phobia ou Giorgia Meloni.

De telles pratiques seraient contraires à la politique de X, qui interdit de cibler les utilisateurs en fonction de catégories "sensibles" telles que la religion et l'appartenance politique. La pression exercée par la Commission, préoccupée par la manipulation de l'information et l'ingérence étrangère dans les élections, a contraint X à renforcer cette politique.

"Bien que les opinions politiques et les croyances religieuses des personnes soient spécifiquement protégées par le RGPD de l'UE, ces mêmes catégories de données ont été utilisées pour la campagne publicitaire", estime NYOB dans un communiqué de presse.

En réponse à la plainte, Johannes Bahrke, porte-parole de la Commission européenne, explique que l’institution est "au courant de la plainte et des rapports concernant une campagne menée par les services de la Commission sur X et nous procédons actuellement à un examen approfondi de cette campagne".

"En tant que régulateur, la Commission est chargée de prendre les mesures nécessaires pour garantir le respect des règles applicables à toutes les plateformes", ajoute-t-il.

"Et en interne, je peux dire que nous fournissons des conseils régulièrement mis à jour pour garantir que nos responsables des médias sociaux connaissent les nouvelles règles et que les sous-traitants externes les appliquent également dans leur intégralité".

Felix Mikolasch, avocat spécialisé dans la protection des données chez NOYB, assure que "la Commission européenne n'a aucune base légale pour traiter des données sensibles à des fins de publicité ciblée sur X. Personne n'est au-dessus de la loi, et la Commission européenne ne fait pas exception".

L'organisation à but non lucratif indique également qu'elle envisageait de déposer une plainte similaire contre X pour avoir "permis l'utilisation illégale de données sensibles à des fins de microciblage politique".

Les archives de Meta suggèrent que des publicités ciblées similaires publiées par la direction générale des affaires intérieures de la Commission sur Facebook et Instagram en tchèque, italien et portugais ont été retirées en juin 2022 parce que l’institution n'avait pas inclus la clause de non-responsabilité : "payé par", nécessaire sur les publicités relatives aux questions sociales, aux élections ou à la politique.

La Commission est également accusée d'avoir utilisé des statistiques trompeuses pour tenter d'influencer l'opinion publique sur sa proposition de loi visant à lutter contre les abus sexuels sur les enfants, présentée pour la première fois en mai 2022.

Un message sur X ciblant les personnes de plus de 18 ans aux Pays-Bas affirme que 95% des Néerlandais disent que la détection de matériel pédopornographique en ligne est plus importante que la vie privée en ligne, citant des données basées sur des sondages récents menés par la Commission.

Cependant, NOYB affirme que les messages utilisés dans les publicités sont "trompeurs", car ils ne soulignent pas les "effets négatifs" des nouvelles règles prévues par l’institution pour lutter contre les abus sexuels sur les enfants.

Un projet de loi qui divise profondément

Le texte au centre de la plainte suscite la controverse. Il oppose les défenseurs de la vie privée aux défenseurs des droits de l'enfant.

La commissaire européenne en charge des Affaires intérieures, Ylva Johansson, a revendiqué à plusieurs reprises la responsabilité personnelle du contenu de la proposition de loi de la Commission. Le projet prévoit l'utilisation de technologies émergentes pour détecter les contenus nouveaux et existants relatifs aux abus sexuels sur les enfants et les activités de pédopornographie, en donnant aux autorités nationales le pouvoir d'obliger les services numériques à analyser les communications des utilisateurs, y compris les messages cryptés.

Mais les groupes de pression qui défendent les droits numériques affirment que ce texte instaurerait un régime de surveillance de masse et sonnerait le glas de la vie privée numérique actuelle.

La commission de la justice du Parlement européen a également édulcoré la proposition initiale de la Commission dans son projet de position adopté mardi, demandant que les communications cryptées soient protégées et que l'analyse du contenu numérique soit une option de "dernier recours" utilisée uniquement lorsqu'il existe des "motifs raisonnables de suspicion".

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La controverse autour de ce dossier a donné lieu à des allégations d'intérêts économiques et d'influence indue sur le processus décisionnel de la Commission, auxquelles la commissaire, Ylva Johansson, a été contrainte de répondre.

Ce n'est pas la première fois que la Commission européenne est impliquée dans cette bataille politique autour de la proposition de règlement. Les déclarations d’Ylva Johansson sur X, où elle défend son projet de loi comme nécessaire pour protéger les victimes de crimes sexuels, sont souvent suivies d'une série de "notes de la communauté", conçues pour signaler les contenus trompeurs sur la plateforme.

Le Contrôleur européen de la protection des données a lui-même adopté une position critique sur le projet de loi dans un avis conjoint adopté en juillet de l'année dernière, citant de "sérieuses préoccupations" concernant la violation potentielle du droit fondamental à la vie privée et à la protection des données personnelles.

NOYB demande au contrôleur européen d'imposer des amendes à la Commission pour avoir enfreint ses propres règles du RGPD, et d'interdire à l’institution de mener des campagnes similaires.

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