Les esclaves modernes du Royaume-Uni

Les esclaves modernes du Royaume-Uni
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Par Damon Embling avec Stephanie Lafourcatere
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Le trafic d‘êtres humains connaît une expansion en Europe et en particulier au Royaume-Uni où le nombre de victimes présumées a augmenté de 40% sur un an.

Letrafic d‘êtres humainsconnaît une expansion en Europe et en particulier au Royaume-Uni où le nombre de victimes présumées a augmenté de 40% sur un an. Alors que ce pays est une destination pour de nombreux migrants, nous nous sommes rendus sur place pour rencontrer des personnes exploitées, marquées à vie par leur calvaire. Les autorités se disent mobilisées contre ce phénomène dont l’ampleur reste malgré tout difficile à évaluer.

Un jeune homme que nous appellerons Peter accepte de nous raconter ce qui lui est arrivé. Des passeurs l’ont kidnappé quand il avait 15 ans alors qu’il était en Grèce et qu’il tentait de rejoindre le Royaume-Uni depuis le Moyen-Orient. Sa famille n’ayant pas les moyens de payer de rançon, il a été forcé de se prostituer avec des hommes. “Ils nous ont frappés, puis nous ont mis le téléphone devant la bouche, dit-il, nous, on pleurait et on criait et ils ont dit à ma famille : ‘Si vous nous ne versez pas une rançon, on va le tuer et on pourra l’utiliser pour des tas de choses, comme lui prendre son rein par exemple.’ Comme ma famille n’a pas payé, ajoute-t-il, régulièrement ils m’ont obligé à avoir des relations sexuelles, il y avait d’autres gens qui venaient pour avoir des rapports avec nous et je pense qu’ils payaient pour cela.” “C‘était vraiment atroce, confie-t-il, je ne sais pas comment décrire les choses, c‘était très, très dur. Je me suis dit : “Je préfère mourir plutôt que de faire cela”, mais ils m’ont forcé à le faire,” regrette-t-il.

Comme le souligne notre reporter Damon Embling, “ce qui est arrivé à Peter est vraiment choquant : il a fini par arriver au Royaume-Uni, caché dans un camion et d’après la police de l’immigration, il aurait continué à être exploité sexuellement dans le pays si elle ne l’avait pas intercepté, ce n’est pas un cas isolé. Dans ce rapport sur les victimes de trafic d‘êtres humains au Royaume-Uni publié par l’Armée du Salut l’an dernier, poursuit-il, il y a le cas d’une femme qui a été amenée au Royaume-Uni depuis le Vietnam et forcée à se prostituer, les trafiquants menaçaient de tuer son père. Autre cas : un homme qui arrivait de Pologne devait travailler sept jours sur sept pour treize euros par semaine, il était enfermé et battu quand il tentait de s‘échapper. C’est un catalogue de l’exploitation au XXIème siècle,” insiste notre journaliste.

Forcés de se prostituer ou de travailler en étant exploités

Une femme que nous nommerons “Sara” explique elle avoir quitté l’Asie pour venir faire ses études au Royaume-Uni. Elle raconte avoir été forcée à travailler tous les jours dans un café pour un salaire très faible et sous la menace. “Je travaillais quinze heures par jour et je n’avais droit qu‘à deux pauses, seulement pour aller aux toilettes et on n’avait pas le droit de se parler entre collègues, ni de parler avec les clients, précise-t-elle avant d’ajouter : “Ma manager me disait que si je me rebellais, elle informerait les services de l’immigration et que je serais renvoyée en Asie et puis j’avais peur qu’elle contacte mes parents et qu’elle leur dise que je faisais quelque chose de mal, que je salissais le nom de ma famille, que par exemple, j’avais des aventures avec beaucoup d’hommes, de très mauvaises choses qui sont très mal vues dans la culture asiatique, c’est suffisant pour anéantir quelqu’un,” dit-elle.

Sara est restée prise au piège pendant près de deux ans avant que quelqu’un ne se rende compte de sa situation et n’alerte les autorités.

Plus de 3200 victimes présumées de trafic d‘êtres humains ont été identifiées dans le pays l’an dernier d’après les autorités britanniques. C’est 40% de plus que l’année précédente.

Plusieurs associations leur viennent en aide dont celle de Sadia Wain baptisée Hestia. Elle explique que souvent, ceux qui sont exploités ont peur d‘être secourus. “Il y a cet asservissement à la dette : le fait d’avoir été amenés au Royaume-Uni, qu’ils paient pour ce trajet et s’ils ne paient pas, il faut quand même rembourser, explique-t-elle. Mais la dette ne semble pas se réduire, elle semble ne faire qu’augmenter et s’ils refusent de travailler qu’il s’agisse d’exploitation sexuelle, d’un emploi de domestique ou de travail forcé, on les menace de s’en prendre à leur famille dans leur pays et donc à cause de cela, ils continuent de faire ce qu’ils font,” regrette-t-elle.

“Une offre spéciale pour des êtres humains !”

Dans une rue de Londres, l’Armée du Salut interpelle les passants en organisant une fausse vente d’esclaves. Un comédien lance : “Bonjour, il y a des affaires à faire aujourd’hui : une offre spéciale pour des êtres humains ! Alors, vous allez me demander : ‘Mais qu’est-ce que je peux bien faire avec un être humain ?’ On peut les utiliser de tout un tas de manières !” lance le militant.

D’après la police, une victime de trafic peut être vendue jusqu‘à 13.000 euros.

Il y a environ un mois, la police a mené sur une semaine, une vaste opération de lutte contre le trafic d‘êtres humains et l’exploitation dans tout le Royaume-Uni. A la clé, plus d’une centaine de victimes présumées découvertes et au moins 25 personnes arrêtées. Mais ce ne serait que la partie émergée de l’iceberg.

Jusqu‘à 80.000 victimes au Royaume-Uni d’après Stop The Traffik

D’après le groupe militant Stop The Traffik, le nombre de victimes pourrait atteindre les 80.000 en Grande-Bretagne. En tout cas, du côté de l’autorité britannique dédiée au trafic d‘êtres humains, on reconnaît que le phénomène pourrait avoir pris de l’ampleur avec la crise migratoire en Europe.

“Avec toutes ces personnes qui traversent l’Europe, le Royaume-Uni risque certainement d‘être davantage confronté à ce problème, estime Martin French qui dirige le centre dédié au trafic d‘êtres humains au sein de l’Agence britannique contre le crime. Certains parmi ces individus sont déterminés à rejoindre le Royaume-Uni et les conditions dans lesquelles ils arrivent peuvent expliquer qu’ils soient désespérés dans leur quête d’un emploi légitime ou non et donc ils sont susceptibles d‘être vulnérables à des formes d’exploitation, souligne-t-il. C’est un crime caché et il s’accompagne souvent de problématiques culturelles auxquelles la police a beaucoup de mal à répondre, on ne peut répondre que si on constate les choses et qu’on a des cas sur lesquels enquêter,” assure-t-il.

Human traffickers 'using migration crisis' to force more people into slavery > https://t.co/a3HB2IpCvmpic.twitter.com/pAwqPqEhRA

— STOP THE TRAFFIK (@STOPTHETRAFFIK) 22 mai 2016

Inquiétude sur le sort des enfants

Les victimes de trafic au Royaume-Uni viennent de partout dans le monde, notamment d’Albanie, du Nigeria, de l’Erythrée et d’Afghanistan. Des Etats membres de l’Union européenne comme la Hongrie, la Lituanie, la Pologne et la Roumanie figurent aussi dans les pays d’origine les plus fréquents.

En février, le propriétaire d’une entreprise anglaise de fabrication de lit a été placé en détention après avoir exploité des travailleurs hongrois. Ils étaient payés 13 euros par semaine et hébergés dans des logements exigus et sales.

Mais il n’y a pas que les adultes qui font l’objet de trafic en Europe, les enfants aussi.

“D’après les données publiées en mai par la Commission européenne, le trafic d’enfants est en nette augmentation, nous explique notre reporter Damon Embling, et ce alors que des milliers de mineurs non accompagnés ont disparu – semble-t-il – pendant cette crise migratoire.”

“Des enfants non accompagnés originaires de pays lointains arrivent au Royaume-Uni, ils sont pris en charge par le système de soins quand on découvre leur situation, mais ensuite, ils disparaissent, indique Neil Giles du groupe Stop the Traffik. Il est clair que beaucoup d’entre eux sont sous le contrôle de trafiquants peut-être parce qu’on menace leur famille ou pour d’autres raisons, poursuit-il avant de préciser : Je dis souvent que les enfants ou les personnes exploitées ont noué un lien avec leurs trafiquants qui est difficile à rompre au bout d’un moment.
Ce pays répond à ces crimes en se concentrant sur les crimes qui sont signalés, on n’a pas une vision claire de l’ampleur de ces trafics – ou en tout cas pas assez – et on doit faire plus pour avoir une vision qui soit plus proche de la réalité,” lance-t-il.

“Je ne fais confiance à personne”

Le gouvernement britannique affirme être mobilisé sur la question. L’an dernier, une nouvelle législation a été adoptée pour mieux combattre ces formes d’esclavage moderne, alourdir les peines encourues par les trafiquants et mieux soutenir les victimes.

Revenons aux victimes qui ont accepté de nous parler. Demandons-leur comment ils se sentent aujourd’hui : “Cela me paraît loin, mais encore aujourd’hui quand je me retrouve seule, je repense à tout cela, indique Sara. Je n’ai plus à supporter cela, ces menaces qui étaient une torture à entendre, je n’ai plus à m’inquiéter si je vais plus de deux fois par jour aux toilettes, je peux totalement prendre soin de moi,” dit-elle.

Peter quant-à-lui reconnaît que son expérience “a eu des conséquences très, très graves sur [sa] vie. Encore aujourd’hui, je dors très mal, je fais des rêves et j’ai peur, confie-t-il, tous les soirs, quand je vais me coucher, je dois être certain que toutes les portes sont bien fermées, je vérifie plusieurs fois, je ne fais confiance à personne,” lance-t-il.

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