La vie et la mort dans les escaliers du World Trade Center

La vie et la mort dans les escaliers du World Trade Center
Par AFP
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Dans les escaliers de la tour en flammes, Ciara Linnane a croisé les premiers pompiers montant vers le brasier. Elle a compris qu'ils montaient vers la mort et, dans leurs yeux, a lu qu'ils le savaient aussi.

Les bureaux de cette journaliste de l'agence financière AFX, filiale de l'Agence France Presse, étaient au 52ème étage de la tour Un du World Trade Center. Mardi matin, quelques secondes après l'impact de l'avion au 90ème étage, elle se rue avec deux collègues dans l'issue de secours.

"Vers le 25ème étage, nous avons vu monter les premiers pompiers. Ces gars costauds, avec leurs grosses têtes d'Irlandais rougis par l'effort. Il nous disaient : +Tout va bien tout le monde, c'est bien. Vous allez pouvoir sortir. Quand vous arrivez en bas, suivez les flèches+. Cela nous a vraiment calmés".

"Ils avaient l'air terrifiés, si effrayés. Jésus ! On lisait la peur dans leurs regards. Ils nous regardaient dans les yeux, disaient +OK, c'est bien+. L'un d'entre eux s'est arrêté quelques secondes, m'a fixée et a dit: +Vous vous en sortez très bien. Assurez-vous que tout le monde continue à descendre, restez sur la droite, allez aussi vite que possible. Vous parviendrez à sortir, ne vous retournez pas, descendez !"

Environ trois cents pompiers ont été ensevelis sous les décombres des deux tours de 110 étages, qui se sont effondrées en quelques secondes, une heure après avoir été percutées par deux avions de ligne détournés.

"Je savais depuis la première seconde que le building allait s'écrouler. Ils avaient si peur: je ne peux m'empêcher de penser qu'ils le savaient aussi. C'est ce que je lisais dans leurs yeux. Je n'arrêtais pas de leur dire +Merci ! Merci!+ et je ne pouvais m'empêcher de penser: +s'il vous plaît, ne faites pas çà ! S'il vous plaît, faites demi-tour, descendez avec nous+ Mais je n'ai rien dit, bien sûr".

"Quand vous pensez à cette scène: nous qui marchions pour sortir du building, pour vivre, et ces gars qui montaient vers la mort. Les gens dans l'escalier les applaudissaient, les remerciaient, leur tapaient dans le dos, leur disaient: +Vous êtes nos héros+. On entendait crier: + Pompiers ! pompiers !+ et tout le monde se poussait vers la droite pour leur libérer le passage".

"J'en ai vu passer une cinquantaine. Certains partaient dans les étages, d'autres continuaient à monter. Ils étaient très chargés, en sueur, avec des haches, des tuyaux, des bouteilles d'oxygènes. Ils se criaient des ordres les uns aux autres. Ils n'étaient pas tous jeunes, il y avait des vieux aussi".

"Ils sont au-delà de l'héroïsme. On devrait décréter un jour de deuil uniquement pour eux et un autre jour pour les autres victimes".

Quatre jours après le drame, cette belle jeune femme brune de 38 ans sursaute à la moindre sirène dans la rue, allume ses cigarettes d'une main tremblante, interrompt son récit quand des jets de l'armée de l'air rugissent dans le ciel de New York.

"J'étais arrivée au bureau à 07H00. J'étais en ligne avec Londres et soudain il y a eu un énorme bruit. Deux explosions. Ce n'était pas tellement le bruit, surtout l'impact: l'ensemble du bâtiment a tremblé. On a pensé que c'était une bombe. Des débris tombaient par les fenêtres, il y avait de la fumée. On s'est regardés, Laura a commencé à hurler et Rudy a dit: +Vite, l'escalier ! On a tout laissé".

"Les escaliers étaient déjà pleins de monde, mais tout le monde était calme et très gentil. Il y avait des gens qui étaient là lors de l'attentat de 93, ils disaient: +Ca va, on connait la procédure, il faut juste descendre et sortir+. Laura a enlevé ses haut-talons. On marchait, il n'y avait pas moyen de courir. C'était OK, un flot calme et continu".

Ils restent coincés, immobiles, pendant quinze interminables minutes vers le trentième étage. Soudain, un cri: "Blessés ! Blessés ! Tout le monde sur la droite. Trois femmes sont passées, brûlées. L'une d'elles avait un haut sans manches, la peau de son bras partait en lambeaux. Elle ne pleurait pas, était dans un profond état de choc".

"Pendant que nous descendions, nous n'avons pas entendu le deuxième avion frapper la deuxième tour, nous n'avions aucune idée. Heureusement, parce que cela nous aurait rendus fous ! Vers le trentième étage, un gars nous a dit qu'un avion avait heurté notre tour, alors bien sûr nous pensions que c'était un accident. On en parlait entre nous".

"Les dix derniers étages étaient libres, on a pu courir. Quand on est sortis, il y avait des véhicules de secours partout: ambulances, pompiers, des gens partout, des blessés".

Ils s'éloignent à grands pas et pour la première fois se retournent et découvrent la tour. "Par l'enfer ! Comment sommes-nous parvenus à sortir de là vivants ? Je pensais toujours qu'elles allaient tomber, nous étions trop près. Il fallait aller plus loin. Je voulais aller dans le New Jersey ! Des gens dans la rue nous ont dit que c'étaient deux avions, que le Pentagone avait été touché".

Ils descendent la rue Fulton et, alors que ses deux collègues sont entrés dans un bar pour tenter d'appeler leurs familles, Ciara voit son cauchemar se réaliser: la première tour en huit secondes transformée en gravats.

Ils courent avec les autres pour échapper au nuage de poussière. Chinatown est au bout de la rue. Sauvés.

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