Quel cap prendront les sardines opposées à l'extrême-droite en Italie ?

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Par Valérie Gauriat
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Ils se sont baptisés les "sardines" et ont investi les places d'Italie. Notre reporter Valérie Gauriat a suivi ces manifestants pour savoir qui ils sont et vers quoi ils se dirigent.

Le 14 décembre dernier, des dizaines de milliers de personnes se sont réunies sur l'une des plus grandes places de Rome. Leur bannière : la sardine. Ce mouvement est né quelques semaines plus tôt après l'appel à manifester contre la Ligue, le parti d'extrême-droite de Matteo Salvini, lancé par un groupe de trentenaires de la ville de Bologne, capitale de l'Émilie-Romagne.

Figure emblématique du mouvement, Mattia Santori, économiste et coach sportif. "On revient de décennies d'obscurantisme, de peur et de colère et on veut arriver en 2020 dans une décennie de lumière, de joie, d'envie d'être ensemble ; on veut reconstruire la solidarité et un tissu social un peu plus fort," souligne le jeune homme.

La manifestation romaine a succédé à des dizaines d'autres rassemblements à travers le pays. En un mois, plus de 300.000 personnes sont descendues dans la rue. Une révolution piscicole comme l'ont appelée les fondateurs de ce mouvement, dont l'avenir interroge.

Nous interrogeons un connaisseur... dans un marché aux poissons romain : "On dit "serrés comme des sardines", alors peut-être qu'ils se sont inspirés de ça pour ce mouvement des sardines," estime Nicola Rosci, poissonnier, "parce que c'est une grande masse qui se déplace ensemble et qui fait des choses ensemble. Après, on verra les développements : ce qui arrivera s'il y a un changement de gouvernement et ce que feront les sardines ensuite," dit-il.

"La démocratie est réanimée"

Pour les sardines, l'essentiel, c'est d'abord d'occuper la place publique. Un geste politique, mais sans étiquette partisane, disent-ils.

"Les politiques, à mon avis, ne descendent plus dans la rue, alors on fait en sorte que la rue aille chez les politiques !" lance lors du rassemblement, l'un des manifestants déguisé en sardine, Marino Aranci, libraire.

À la tribune, Mattia Santori lance : "Les cervelles se sont activées ; la démocratie s'est réanimée. On sait maintenant que nous ne sommes pas seuls et que c'est seulement le début," assure-t-il.

Ce jour-là, les Italiens étaient venus de tous les coins du pays pour défendre des valeurs menacées à leurs yeux.

"On vient d'Urbino dans le centre de l'Italie, la patrie de Raphael, de la renaissance italienne," précise l'un des participants, Giuliano Melini, avocat. "Et on espère que de ce mouvement des Sardines vienne une renaissance des consciences," insiste-t-il.

Sa compagne, Donatella Schiavi, professeure d’histoire et de philosophie, renchérit : "Nous sommes ici pour dénoncer cette dérive souverainiste, populiste et raciste, contre cette volonté de haine : ce n’est pas le monde que nous voulons laisser à nos enfants."

"On ne fait pas de politique en disant "Les Italiens d’abord", "Tous dehors", avec toute cette haine qui a véritablement transformé tout un peuple," estime une autre participante Cristina Cecchetti, agent immobilier à Civitanova. "Avant, on disait : "Les Italiens sont des gens bien", on avait l'impression que ces gens-là avaient disparu et en fait, non, ils sont là, on est là, c'est nous, les gens bien," affirme-t-elle.

Rassemblement à Rome le 14 décembre © euronews

"Le problème d'une haine artificielle"

La haine, le coordinateur du mouvement des sardines à Rome Stephen Ogongo, originaire du Kenya, en a été la cible directe.

Journaliste, il milite contre le racisme et la discrimination à la tête d'une association créée il y a un an,  Cara Italia. Sa dernière campagne a entraîné le retrait par Facebook de contenu raciste sur les réseaux sociaux de la Ligue de Matteo Salvini. Mesure aussitôt suivie d'un déferlement d'injures à l'encontre de Stephen Ogongo sur les mêmes réseaux.

La mobilisation des sardines est vitale, dit-il, pour l'avenir du pays. "La chose la plus importante, c'est de réveiller la conscience des gens, leur permettre de se rendre compte qu’il se passe quelque chose de très sérieux dans le pays, le problème d’une haine artificielle que quelqu’un est en train de créer, le danger du populisme, le danger du retour du fascisme," assure-t-il.

"C'est un moyen aussi d'attirer l'attention sur le fait qu'il faut remettre au centre de la politique, l'être humain et le respect de la personne et de la dignité humaine," indique-t-il.

Stephen Ogongo lors de la manifestation à Rome © euronews

"Quelle direction donner à cette énergie ?"

Un credo qui reste encore à concrétiser. Mais comment ? Aux questions des journalistes, les fondateurs du mouvement donnent des réponses prudentes.

Nous demandons au cofondateur du mouvement, Mattia Santori, quelle direction vont prendre les sardines. "C’est la question la plus difficile," reconnaît-il.

"Pour le moment, nous achevons la phase une : c’est-à-dire, comprendre combien d’énergie il y avait en Italie et maintenant que nous l’avons compris, il faut savoir quelle direction donner à cette énergie," dit-il.

Une direction que les fondateurs ont peine à définir. Pas question pour eux de transformer le mouvement citoyen en parti politique.

Unies contre l'intolérance, la xénophobie, l'homophobie et l'incivilité, les sardines, c'est d'abord un état d'esprit. "Les sardines n'existent pas ! La politique est participation !" scande Mattia Santori à la tribune.

"Les sardines n'existent pas parce que penser que les sardines, que Mattia Santori, qu'un mouvement comme celui-ci peut résoudre tous les problèmes serait absolument populiste," estime-t-il. "Les gens doivent comprendre qu'on fait de la politique depuis le bas, dans sa propre vie et qu’il n’y a pas besoin d’une manifestation de sardines pour ça," poursuit-il.

Mattia Santori à la tribune © euronews

L'échéance des régionales en Émilie-Romagne

Au lendemain de la manifestation, quelques 150 délégués régionaux tenaient conclave dans un centre social de Rome. Objectif : définir la marche à suivre pour faire obstacle à la Ligue de Matteo Salvini aux élections régionales prévues fin janvier en Émilie-Romagne, l'une des plus importantes régions d'Italie et fief traditionnel de la gauche. Le vote est jugé crucial pour l'avenir politique du pays.

"Le premier objectif de cette réunion est de revenir le plus tôt possible sur les places et d'engager les territoires qui n'ont pas encore été impliqués avec les sardines," explique Mattia Santori. Pressé de questions par les journalistes, il s'impatiente:"On n'a rien fait de spécial, on a simplement travaillé avec des gens qui veulent apporter un message alternatif au populisme et au souverainisme dans ce pays d'une manière très spontanée et très libre,"  conclue-t-il.

Des sardines dans toute l'Europe ?

Et ce message résonne au-delà de l'Italie, chez ceux qu'inquiète la vague populiste qui s'est emparée de l'Europe. Comme nous l'explique un groupe de "sardines" espagnoles que nous rencontrons au sortir du rassemblement. Elles entonnent une chanson basque.

"C'est une chanson qui parle de sardines et qu'on chante aux enfants," précise Libe Irazu, professeure de flamenco. "On espère qu'elle deviendra une chanson pour le monde entier, qu'elle devienne un slogan !" plaisante-t-elle.

Sa collègue Clara Berna ajoute : "Nous sommes venus parce que nous sommes fatigués de cette politique vulgaire, méprisante, faite seulement de démagogie et qui ne parvient pas vraiment à résoudre les problèmes. C'est ce qui se passe en Italie et malheureusement, ça commence aussi à se passer en Espagne," dénonce-t-elle avant de conclure, riante : "Ce qu'on désire, c'est que les sardines italiennes nagent jusqu'à d'autres rives européennes et gagnent toute l'Europe et même le monde entier !"

"Sardines" espagnoles © euronews
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