Les photographies de guerre sont très souvent insoutenables. Et lorsque ces clichés capturent des scènes où des enfants sont les victimes de la violence des hommes, comme celui de "la petite fille au napalm" pris en 1972 lors de la guerre du Vietnam, nous avons du mal à détourner le regard pour ne pas voir la réalité en face.
Le conflit en Syrie a lui aussi été pourvoyeur d'innombrables photographies d'enfants, pris en tenaille entre les forces de Bachar el-Assad, les troupes de l'organisation Etat islamique et d'autres groupes armés
Grâce aux efforts d'une école de photographie installée dans le sud-est de la Turquie, autour de la ville de Mardin - à quelques encablures de la frontière syrienne - les enfants peuvent désormais passer derrière l'objectif pour capturer avec leurs yeux innocents des scènes de leur quotidien.
"Sirkhan Darkroom" propose ainsi des ateliers de photographie aux défavorisés de la région, des petits Turcs ou des enfants syriens vivants dans les nombreux camps de réfugiés de la zone.
Durant les cours, les petits photographes n'utilisent pas d'appareils numériques. Non, ce serait trop facile. "Sirkhan Darkroom" a pris le parti de la photographie argentique. Pour le responsable de l'école, le travail sur pellicule offre beaucoup plus de possibilités d'apprentissage.
"La photographie argentique est un point de départ. Elle aide ces enfants à mieux se connaître et à prendre confiance en eux", explique ainsi le réfugié syrien Serbest Salih, directeur de "Sirkane Darkroom" et photographe professionnel.
Les enfants apprennent donc toutes les étapes de la production photographique. Les ateliers offrent aussi bien une approche théorique (narration, règles de composition, travail sur le terrain) que pratique (développement des négatifs et impression en chambre noire).
Chaque enfant reçoit également un appareil photo pendant une semaine pour travailler de manière indépendante sur des projets qu'il a personnellement choisis.
L'école est mobile ; elle s'est déplacée d'un endroit à l'autre pendant quelques mois. Les cours sont actuellement suspendus en raison de la pandémie de coronavirus. Mais pas question de tout arrêter pour autant. Les enseignements sont maintenant dispensés en ligne. La semaine prochaine, le directeur de l'école prévoit d'envoyer des appareils photos à de nouveaux enfants pour leur donner ensuite des instructions via une application de messagerie.
Sirkhan Darkroom dépend d'un projet plus vaste lancé par une ONG dont la mission est d'aider les enfants qui ont été confrontés à la guerre ou à la misère. Pour ce faire, "Sirkhan" utilise les arts et la musique pour permettre à ces petits de se reconstruire et d'oublier les traumatismes du passé. Il est possible de contribuer au travail de cette organisation via une plateforme en ligne.
Pour ces enfants, souvent encore vulnérables, qui vivent de surcroît dans un milieu où l'apprentissage et l'accès à la culture sont limités, cet atelier représente quelque chose de plus important qu'une "simple formation" aux arts visuels.
"Les enfants peuvent améliorer leur coordination, leur concentration, ainsi que leur sociabilisation en travaillant en équipe" explique Serbest Salih. Le responsable de ce projet ajoute : "Ils adoptent des valeurs universelles et développent plus sainement leur personnalité".
Le travail de ces enfants est reconnu par leurs familles. Ces dernières n'hésitent pas à demander à ces photographes en herbe de se faire tirer le portrait.
Les différents projets portés par ces enfants sont autant de témoignages de la vie dans l'est de la Turquie. Avec leurs yeux, ils documentent des sujets et des scènes qu'un adulte n'aurait sans doute pas su saisir.
Une exposition a été organisée au musée de Madrin. Et contrairement à ce que l'on pourrait croire, les photographies sont pleines de sourires d'enfants. Si ces clichés ne se focalisent pas sur les difficultés d'une vie dans un camps de réfugiés et dans un quartier désœuvré, ils offrent, toutefois, un aperçu des conditions de vie des habitants de cette région.