Marie Rabatel mange avec son mari et son fils Antoine dans leur maison de Saint André le gaz, France.
Marie Rabatel mange avec son mari et son fils Antoine dans leur maison de Saint André le gaz, France. Tous droits réservés Lucía Riera / Laura Llach

Être mère en situation de handicap : dernier épisode de notre série sur les stérilisations forcées

Par Lucia Riera BosquedLaura Llach
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Marie Rabatel fait partie des femmes en situation de handicap qui subissent des discriminations lorsqu'elles envisagent de devenir maman. Atteinte d'un trouble du spectre autistique, la Française de 48 ans témoigne.

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Lorsque son fils est né, Marie Rabatel l'a laissé dans son berceau. Il pleurait et la jeune maman se sentait complètement dépassée : elle n'était pas attachée à lui. Marie Rabatel se sentait coupable.

"Les premiers mois, mon mari s'est occupé de notre fils en jouant à la fois le rôle de père et le rôle de mère. C'est lui qui donnait son bain au petit et qui se levait la nuit pour le nourrir". C'est ce soutien qui a permis à Marie de devenir mère et d'apprendre à répondre aux besoins de son bébé. "Le jour où il a commencé à m'appeler maman, j'ai compris que j'étais sa mère et non une éducatrice", confie-t-elle.

Marie Rabatel a 48 ans. Atteinte d'un trouble du spectre autistique, elle a besoin de calme et de tranquillité. Cette sérénité, elle la trouve dans sa maison de campagne située près de Lyon, dans le sud-est de la France. Elle y vit avec son mari et leur fils Antoine, 18 ans, qui leur rend visite le week-end. 

"J'ai grandi seul", se souvient-il. Sa mère a été hospitalisée en psychiatrie pendant cinq ans et le garçon a passé beaucoup de temps auprès de ses grands-parents. Ce que Marie Rabatel ne pouvait pas faire, le psychologue d'Antoine l'a fait. "Cela m'a permis d'avoir quelqu'un à qui parler", explique le jeune homme. Le sport l'a aidé à nouer des relations avec ses camarades, à s'ouvrir aux autres et à se faire des amis. 

Pour moi, elle est normale. Je ne me suis jamais demandé si elle avait un handicap.
Antoine Rabatel
Fils de Marie Rabatel, atteinte d'un trouble du spectre autistique

Depuis son enfance, Antoine a été un soutien immense pour sa mère. Il était par exemple l'intermédiaire entre elle et les professeurs. Antoine comprend Marie et il sait comment l'apaiser. Pour lui, sa mère n'a rien d'exceptionnel : "c'est la seule représentation maternelle que j'ai eue, donc, pour moi elle est normale. Je ne me suis jamais demandé si elle avait un handicap".

"C'est l'environnement qui fait que l'on se sent handicapé", indique Marie Rabatel, dont l'enfance a été heureuse malgré les brimades de ses camarades à l'école. Sa sœur, qui n'a qu'un an de plus qu'elle, lui a servi de modèle. "Ma sœur m'a beaucoup aidée, je l'imitais pour me brosser les dents ou me laver, elle était mon modèle au quotidien", explique Marie, reconnaissante. "L'autisme fait de nous de bons imitateurs", ajoute-t-elle, une vertu qui l'a aidée à remporter plusieurs championnats nationaux d'athlétisme.

L'athlète a également pu compter sur le soutien de ses parents lorsqu'elle s'est mariée et qu'elle est tombée enceinte d'Antoine. "Ils étaient très heureux pour moi. Personne autour de moi ne m'a dit que je n'y arriverai pas". Marie a fait en sorte de fournir le soutien parental nécessaire à son fils : "J'ai eu le courage de demander de l'aide sans craindre que mon enfant me soit retiré, j'ai pu bénéficier de visites régulières des services sociaux et de rendez-vous chez le pédiatre, ainsi que de ma famille et de mes amis qui sont très souvent venus m'aider".

Mais les femmes qui vivent en structures d'accueil pour personnes en situation de handicap ne disposent pas de ces aides. "Nous n'avons pas de plan de soutien", reconnaît Rubén Parrillo, psychologue et directeur d'Inclusión Activa.

"Laisser les familles avec un beau message sur les droits de l'Homme, mais sans soutien, est un problème", déclare l'eurodéputée espagnole Rosa Estarás (PPE-DE). La politicienne est mère d'un enfant handicapé et elle partage le même ressenti que certains parents lorsqu'ils sont confrontés à la peur d'une grossesse non désirée de leur fille. "Qui va s'occuper de cet enfant et que se passera-t-il à ma mort ?", s'interroge-t-elle.

Lucía Riera/ Laura Llach
Marie Rabatel dans sa maison de campagne à Saint André le gaz, en France.Lucía Riera/ Laura Llach

La vulnérabilité des femmes en situation de handicap

Lorsque la maternité de Marie Rabatel s'est compliquée, elle a eu l'impression d'être confrontée à une double discrimination. "Si une mère oublie une dose de lait, on lui dira que c'est normal, qu'elle est débordée parce qu'elle vient de devenir maman. Mais si moi j'oublie cette dose de lait, on mettra cela sur le compte de mon handicap", s'indigne la mère d'Antoine.

On sait que les femmes handicapées subissent des violences sexuelles, c'est le tabou le plus absolu.
Marie Rabatel
Présidente de l'Association francophone des femmes autistes

Dans le cas des femmes sous tutelle, la discrimination sociale est encore pire, d'après Marie Rabatel :"Les tuteurs n'imaginent même pas qu'une femme handicapée puisse avoir des relations sexuelles". Présidente del'Association francophone des femmes autistes, Marie Rabatel dénonce le fonctionnement des institutions d'accueil pour personnes en situation de handicap, qu'elle qualifie de "prisons améliorées", où "l'on sait que les femmes handicapées subissent des violences sexuelles, c'est le tabou le plus absolu"

Selon un rapport de Frontiers in Behavioral Neuroscience, neuf femmes autistes sur dix, en France, ont été victimes de violences sexuelles. Marie Rabatel a elle-même été violée à l'adolescence et souffre d'un syndrome de stress post-traumatique. La maltraitance des femmes handicapées est présente dans 30% des cas que Béatrice Idiard-Chamois, sage-femme, a vus dans l'Institut Mutualiste Montsouris à Paris, où elle travaille depuis 2015.

Selon elle, le problème réside dans le fait que les personnes handicapées sont considérées comme des personnes vulnérables, "comme des objets qui ne peuvent que subir tout ce que les gens veulent leur faire subir". Et ces abus sont également perpétrés par le personnel médical, d'après Béatrice Idiard-Chamois.

Ils vous interdisent d'être une femme et d'exister.
Béatrice Idiard-Chamois
Sage-femme en situation de handicap

Celle qui connaît bien le traitement discriminatoire des femmes en situation de handicap par leur médecin est elle-même en fauteuil roulant à cause d'une maladie génétique. Lorsqu'elle a voulu tomber enceinte de sa fille, aujourd'hui âgée de 31 ans, les médecins ont insisté pour qu'elle ne le fasse pas en raison du risque que le bébé hérite de sa maladie. Ce qui n'est pas arrivé.

"Ils vous interdisent carrément d'être une femme et d'exister", pense la sage-femme, à qui les médecins ont affirmé que la grossesse coûterait "cher à la société""Si ce n'est pas de l'eugénisme, qu'est-ce que c'est ?", s'indigne Béatrice Idiard-Chamois.

L'eugénisme a été pratiqué dans toute l'Europe et pas seulement dans l'Allemagne nazie, comme le souligne un rapport de l'Inspection générale du secteur social en France.

"Selon la société dans laquelle nous vivons,je ne devrais pas exister non plus", se plaint Béatrice Idiard-Chamois. La détection de sa maladie fait partie des tests effectués au cours du troisième mois de grossesse pour donner à la future mère la possibilité d'avorter si le fœtus présente des problèmes.

"Décider qui vit et qui ne vit pas est une chose horrible", déclare Kjell Sundstedt, un  cinéaste suédois de 71 ans, devenu aveugle à la suite d'une maladie génétique. Des membres de sa famille ont été stérilisés de force dans les années où la société suédoise défendait le projet eugénique de son gouvernement (1934 et 1976). "À l'époque, certains pensaient que nous ne devions pas exister car nous représentions un danger pour la société", se souvient-il.

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Ce reportage a été réalisé avec le soutien de Journalismfund Europe.

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