Le film de la semaine : "Effacer l'historique" nous astique les zygomatiques

Blanche Gardin
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Par Frédéric Ponsard
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Effacer l'historique du duo Kervern et Delépine est un film grinçant et désopilant sur les GAFA. Le film a justement remporté l'Ours d'argent à la dernière Berlinale, fait rare pour une comédie.

Effacer l’historique de Gustave Kervern et Benoît Delépine

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Avec Blanche Gardin, Denis Podalydès, Corinne Masiero (1h46)
Sortie le 26 août

Une femme divorcée et alcoolique, un serrurier veuf endetté en manque d’amour, une conductrice VTC addictive aux séries : voici le trio de pieds nickelés improbable et désopilant qui va partir en guerre contre les GAFAM et l’intelligence artificielle. Jouissif, grinçant et transgressif.

Il est rare qu’une comédie décroche un prix, et pourtant à la dernière Berlinale en février 2020, les réalisateurs grolandais Kervern et Delépine ont reçu l’Ours d’argent, fort mérité au regard des rires que le film suscite du début à la fin. Mais si le film a été récompensé, c’est aussi parce que derrière la drôlerie des dialogues et des situations, Effacer l’historique est un film éminemment politique et militant dans ses interstices.

Le ton est donné le début avec Blanche Gardin –peut-être la comique française la plus drôle du moment- qui dévale une colline pour rejoindre le lotissement en bord d’autoroute qu’elle habite, et qui va s’arrêter contre un lampadaire pour y frotter son derrière. On reconnaît tout de suite la touche potacho-scatologique des réalisateurs, qui n’ont pas l’habitude de faire dans la dentelle (ou alors pour s’y soulager).

On fait rapidement la connaissance des comparses de Marie, qui n’ont rien à lui envier en terme de gentille beaufitude, des personnages un peu largués mais diablement attachant, dont l’amitié fut scellé par des bières et des braseros sur un rond-point, lors des manifestations des gilets jaunes qui ont embrasé la France il y a un peu moins de deux ans.

Chacun révèle rapidement avoir un problème avec internet et la communication moderne en général. Marie est victime d’un maître-chanteur (interprété par Vincent Lacoste, égal à lui-même, un brin distant et cynique dans son jeu) qui a réalisé une sexe-tape un soir de beuverie, la menaçant de la mettre en réseau. Bertrand lui, est rentré en guerre contre Facebook car une vidéo de sa fille harcelée à l’école tourne en boucle sur le réseau. Quant à Christine, sa notation de chauffeur VTC reste invariablement à une étoile (sur 5), certainement victime d’un hacker malveillant. Tout ce beau monde va devoir s’unir pour lutter contre Big Brother, et reprendre le contrôle de leurs vies. Un vaste programme… !

Le film appuie là où cela fait mal, truffé de bras d’honneur à la bienséance et aux béni-oui-oui, avec un jusqu’au-boutisme qui ne peut que forcer le respect. Une liberté de ton salvatrice en ces temps de politiquement correct, voire d’autocensure.

Ici, les personnages débordent du cadre, et le font même exploser, mais pour mieux dénoncer une époque où ceux qui sont en bas de l’échelle sociale n’ont pas les moyens de se défendre contre la force de frappe des champions du néolibéralisme 2.0, qui nous proposent un monde aseptisé, consumériste et uniformisé, et avec comme horizons l'intelligence artificielle et des algorithmes comme substituts à nos propres cerveaux.

Avec un trio d’acteurs formidables (Catherine Masiero et Denis Podalydès ont la folie douce vrillée au corps), rehaussé par des apparitions hilarantes (Benoît Poelvorde en chauffeur UberEat, Jean Dujardin en chasseur de panda, Vincent Dedienne en fermier bio, ou encore Bouli Lanners en… Dieu), le film ne tombe jamais dans la vulgarité pour, au contraire, nous livrer une fable tendre et joyeuse sur nos sociétés dites modernes...

C’est sûr, Effacer l’historique ne disparaîtra pas avant longtemps de notre disque dur.

Journaliste • Frédéric Ponsard

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