Les agents Cichociemni s'attaquent à un parcours du combattant à Audley End
Les agents Cichociemni s'attaquent à un parcours du combattant à Audley End Tous droits réservés English Heritage

De mystérieux graffitis vieux de 80 ans révèlent des secrets de la Seconde Guerre mondiale

Par Jonny WalfiszEmmy Arpin Alotto
Partager cet article
Partager cet articleClose Button

Lorsque l'historien Andrew Hann a trouvé six noms griffonnés au dos d'une armoire à Audley End House, dans la campagne anglaise, il a commencé un voyage où il a découvert les exploits de six soldats d'élite polonais.

PUBLICITÉ

En vous promenant dans le paisible domaine d'Audley End House, situé dans la campagne entre Londres et Cambridge, vous pourriez vous tromper en pensant que cette demeure n'abrite qu'une longue histoire d'aristocrates.

Vous auriez tort.

Ce qui peut ressembler à un domaine anglais typique, a été brièvement la résidence d'un régiment d'élite de l'armée polonaise pendant la Seconde Guerre mondiale.

Le 1er mai dernier était célébré le 80e anniversaire de la reconversion d'Audley End  en une base d'entraînement pour les Forces d’opérations spéciales polonaise appelées les Cichociemni (prononcer chick-o-chem-knee en français, que l'on peut traduire par "les invisibles et silencieux".)

Après la mort du propriétaire d'Audley End, Henry Nevill (7e Lord Braybrooke) en 1941, l'armée britannique a pris possession de cette "country house". Alors que l'Allemagne nazie envahit la Pologne, le Special Operations Executive (SOE), l'organisation d'espionnage britannique, travaille aux côtés de l'armée polonaise pour former les Cichociemni.

Une école de formation militaire

Les Cichociemni étaient formés pour être parachutés en Pologne afin de déstabiliser les forces d'occupation nazies. Audley End était utilisé pour les parties les plus rigoureuses du programme d'entraînement.

"Ils apprenaient le combat à mains nues, le sabotage, la manière de tuer quelqu'un en silence, le perçage de coffre-fort et les déguisements", explique Andrew Hann, historien du patrimoine anglais.

Source: English Heritage Photo Library - Picture Reference: N071842
Audley End HouseSource: English Heritage Photo Library - Picture Reference: N071842

Les Cichociemni utilisaient les bois environnants comme champs de tir. Pour s'entraîner à être sur le terrain, "ils devaient lancer un raid sur le bureau de poste local, en s'échappant avec un peu d'argent sans avoir été repérés".

"Il s'agissait en fait de leur fournir un guide du parfait criminel, pour enfreindre les règles et semer la pagaille dans l'Europe occupée", explique Andrew Hann.

Ils étaient également rigoureusement formés pour ne pas dévoiler leur fausse identité. Souvent, on les réveillait au milieu de la nuit et on leur demandait de se rappeler qui ils étaient censés être.

"Ils rendaient ces interrogatoires vraiment authentiques en s'habillant en uniforme de la Gestapo, en attachant les gens à des chaises et en les frappant un peu. Ils n'ont arraché les ongles de personne, mais ils ont rendu ces interrogatoires aussi authentiques que possible."

English Heritage
Les agents de Cichociemni jouent au footballEnglish Heritage

Sur les 2 613 soldats polonais qui se sont portés volontaires pour les opérations spéciales, seuls 527 ont participé à l'épuisant programme d'entraînement d'Audley End. Parmi eux, 316 ont été parachutés dans la Pologne occupée entre 1941 et 1945.

103 des Cichociemni ont été tués au combat ou exécutés par la Gestapo. Neuf autres ont été tués par les communistes après la fin de la guerre.

Retrouver les Cichociemni

Pendant longtemps, rares ont été les détails sur la vie des Cichociemni passés par Audley End. Il ne reste, aussi, que très peu de documents sur le programme d'entraînement du SOE dans le manoir de l'Essex.

Mais, tout a changé après une découverte extraordinaire. Par hasard, Andrew Hann a en effet découvert des noms griffonnés sur une armoire.

"Le magasin de bougies est à l'étage supérieur. Il y a un long couloir où il y a de grandes réserves pour stocker le charbon. Il y a aussi quelques armoires pour mettre les bougies et d'autres objets pour le chauffage et l'éclairage de la maison."

"C'est essentiellement une zone de service. Il y a une sorte d'armoire dans laquelle vous devez entrer directement. Et puis au dos, juste derrière le cadre de la porte, il y a cette liste de noms", explique l'historien

English Heritage
Les noms des CichociemniEnglish Heritage

Au moment de sa découverte, Andrew Hann n'a pas été en mesure de lire les noms. Des interprètes polonais ont été rapidement appelés pour déchiffrer l'écriture.

PUBLICITÉ

Andrew Hann a ensuire travaillé avec des historiens de English Heritage et de Pologne pour découvrir qui se cachait derrière ces noms griffonnés au dos de l'armoire.

En avançant dans leurs recherches, ils ont découvert une pléthore d'informations sur ces six personnes qui se sont entraînées, durant la même période, pour devenir  Cichociemni.

Les hommes étaient Jan Benedykt Różycki, Teodor Paschke, Franciszek Socha, Jósef Zbrzeźniak, Karol Dorwksi, et Czesław Migoś.

Leur âge allait de 22 ans, pour Jósef Zbrzeźniak, à 43 ans, pour Jan Benedykt Różycki. 

L'histoire des membres Cichociemni

Bien que tous les six aient réussi leur formation, seul Jan Benedykt Różycki a été parachuté en Pologne. Au moment où ils ont terminé leur formation en 1944, il y avait une pénurie d'avions et l'insurrection de Varsovie avait également joué son rôle.

PUBLICITÉ

Avant de rejoindre les Cichociemni, Jan Benedykt Różycki a mis sur pied des groupes de résistants afin de défendre le pays contre les nazis. Lorsque la Pologne a été vaincue, il a tenté de s'enfuir en Yougoslavie via la Roumanie.

Malheureusement pour Jan Benedykt Różycki, il a été interné pendant plusieurs mois après avoir traversé la frontière en Roumanie. Il finit par s'échapper pour rejoindre en 1940 la France. Mais ce pays étant lui aussi envahi par les troupes de l'Allemagne nazie, il se rend ensuite en Suisse où il est à nouveau interné. A nouveau, Il parvient à s'évader. Il prend la direction de l'Espagne où il finira une nouvelle fois en prison interpellé par les fascistes espagnols.

Après un emprisonnement qui lui a semblé interminable, Jan Benedykt Różycki réussit une nouvelle évasion. Il arrive  à temps à Gibraltar pour assister à une cérémonie à l'hommage du général Władysław Sikorski, le Premier ministre du gouvernement polonais en exil qui venait de mourir. Il sera même l'un des porteurs du cercueil. Après ce dernier épisode, il arrive en Angleterre pour rejoindre les Cichociemni.

"Il a donc traversé beaucoup de choses avant d'arriver en Angleterre. Et ensuite, il veut être parachuté en Pologne", dit Hamm.

Jan Benedykt Różycki est parachuté et parvient à survivre à la guerre. Malheureusement, après la guerre, il est à nouveau emprisonné sur de fausses accusations par les communistes et son fils est tué dans une tentative de le libérer.

PUBLICITÉ

Après sa libération, ce dernier a mené une vie couronnée de succès en tant que directeur de l'Institut polonais de génie civil.

Jan Benedykt Różycki est un exemple rare de Cichocemni qui est retourné en Pologne après la guerre. Beaucoup d'autres ont trouvé cela trop difficile car ils étaient traités comme des espions.

English Heritage
Jan Benedykt Różycki (gauche) and Franciszek Socha (droite)English Heritage

Bien que Franciszek Socha n'ait pas été parachuté en Pologne, il l'a été en France sous occupation. De là, on pense qu'il était en mission pour les services secrets britanniques afin d'obtenir des échantillons de gaz de combat mis au point par les nazis. Mais il a été capturé par la Gestapo.

"On l'a mis dans un train pour l'Allemagne, sans doute pour l'exécuter. Mais il a réussi à se soustraire à la vigilance de son garde et a sauté du train en marche pour s'échapper. Il s'est ensuite rendu, blessé, dans une ferme où il a rencontré des membres de la résistance qui ont réussi à le faire passer clandestinement jusqu'à la côte où il a été récupéré par un sous-marin", raconte Andrew Hann.

L'historien a fini par découvrir ce qui était arrivé à Franciszek Socha en tombant sur les mémoires que sa femme avait écrites à son sujet. Il s'avère que Franciszek Socha avait rencontré une Écossaise du nom de Margaret et qu'ils s'étaient installés tous les deux à Dundee, où il a passé ses dernières années en tant qu'enseignant.

PUBLICITÉ

La famille de Franciszek Socha était originaire de Przemyśl, une ville qui borde aujourd'hui l'Ukraine. Lui est né à Vienne en 1914, car ses parents avaient dû fuir sa ville natale, qui faisait partie de la province de Galicie dans l'empire austro-hongrois, après par l'invasion des troupes russes lors de la Première Guerre mondiale.

"Il est né réfugié en Autriche. Puis ses parents sont revenus dans cette petite ville à la limite de la Pologne d'alors". Sa vie est rythmée par les guerres entre les Soviétiques et les Polonais qui se disputent la région, alors qu'il tente de suivre une formation pour devenir enseignant. Il étudie à l'université de Lviv, qui se trouve aujourd'hui en Ukraine, avant le début de la Seconde Guerre mondiale.

Pour M. Hann, l'histoire de Franciszek Socha lui rappelle le bouleversement des vies dû à l'invasion de l'Ukraine lancée par la Russie le 24 février dernier. Elle montre également le pouvoir de la recherche historique pour révéler la vie des personnes du passé.

"J'ai juste suivi ces six noms, mais il y avait 527 personnes qui ont réussi le programme à Audley End", dit Andrew Hann.

"Ce sont toutes des histoires absolument fascinantes d'endurance humaine et d'héroïsme".

PUBLICITÉ

Une exposition sur les Cichociemni a ouvert ses portes le 2 mai à Audley End House and Gardens. Elle se poursuivra jusqu'au 31 octobre 2022.

Partager cet article

À découvrir également