A Targan, le cauchemar de l'Holodomor toujours là

A Targan, le cauchemar de l'Holodomor toujours là
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Par Euronews
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Le village de Targan, à 120 kilomètres de Kiev, la capitale ukrainienne. En 1932 et 1933, la moitié de sa population est morte de faim. Oleksandra Ovdiyuk, 92 ans, fait partie des survivants.

C‘était l‘époque des premiers Kolkhozes, ces fermes collectives soviétiques. Pour elle, l’extermination par la faim ou Holodomor, a été voulue et provoquée par Moscou, pour casser la paysannerie aisée:

“Les Bolcheviques avaient créé des brigades spéciales. Elles étaient composées de sept personnes. Chaque brigade avait une carriole tirée par des chevaux. Elles passaient les villages au peigne fin pour confisquer les grains, les semences et toute la nourriture que les paysans cachaient dans leurs maisons.”

Tout déplacement étant interdit, seuls ceux qui sont parvenus à tromper la vigilance des brigades bolcheviques ont survécu. A l’hiver 1932-1933, tous les chiens et chats du village avaient été mangés. Puis ce fut le tour des enfants. Le cannibalisme était très répandu, se souvient avec horreur Olena Goncharuk, 87 ans.

“Nous avions peur de marcher à travers le village, parce que les paysans étaient affamés et mangeaient les enfants. Je me souviens de ma voisine, qui avait une fille. Un jour, sa fille a disparu. Nous sommes allés chez elle. La tête de sa fille avait été séparée du corps. Et le corps cuisait dans le four.”

Olena se souvient aussi des brigades mortuaires qui passaient ramasser les corps décharnés dans les maisons pour les enterrer dans la fosse commune.

“Une fois, un brigadier est entré dans la maison d’une femme pour emporter sa dépouille. Mais elle était encore en vie. Elle lui a dit : laissez-moi, je suis vivante, je respire ! Il a répondu : de toute façon, tu vas mourir, et je n’ai pas envie de revenir pour toi demain.”

Cet hiver-là, près de 400 personnes ont été enterrées dans la fosse commune du cimetière de Targan. La grande famine a fait des millions de victimes à travers l’Ukraine. Nul ne sait exactement combien. L’historien Volodymyr Serhiychuk dénonce un génocide – la famine comme arme contre le nationalisme ukrainien:

“Il y avait une famine dans d’autres régions de l’URSS, au Kazakhstan par exemple. Mais les Kazakhs pouvaient se procurer de la nourriture dans les régions voisines de Russie, ou au Kirghizistan et en Ouzbékistan. Mais les Ukrainiens n’avaient pas la possibilité de se rendre en Biélorussie ou en Russie, parce que les frontières étaient fermées et il n’y avait pas de billet de train pour eux.”

“Les paysans ukrainiens ne voulaient pas rejoindre les kolkhozes, ils ne voulaient pas donner leur production aux Bolcheviques. C’est pourquoi les bolcheviques n’avaient pas de meilleure option que de les achever par la faim.”

Aujourd’hui, plus de 20 pays reconnaissent officiellement l’Holodomor comme un génocide. La Russie s’y refuse toujours. Depuis 2006, le quatrième samedi de novembre, toute l’Ukraine allume des bougies en mémoire des victimes, honorées par un monument, à Kiev.

Iryna Gibert, euronews:

Et maintenant nous avons avec nous de Genève André Liebich, Professeur à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID), historien spécialiste des pays de l’ex URSS.

M. Liebich, bonjour et bienvenue sur euronews!

André Liebich, historian, Professor of International History and Politics

Bonjour Madame!

Iryna Gibert, euronews:
Le premier article de la loi ukrainienne sur le Holodomor le définit comme le génocide du peuple ukrainien. Il est reconnu comme tel dans plus de 20 pays. Pourtant pour beaucoup l’usage de ce terme ‘‘génocide’‘ n’est toujours pas adéquat. Pourquoi?

André Liebich:

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En effet, le terme est assez mal choisi. Quand on pense au génocide surtout dans le contexte des années 1930, on pense en premier lieu à l’Holocoste. Mais la différence c’est que le Holodomor a touché non seulement le people ukrainien mais a touché d’autres peoples à l’interieur de l’Ukraine et même au-delà – au Kazakhstan et en Russie. En plus, le Holocauste était une campagne, une intention d’exterminer un peuple tandis que le Holodomor, s’il y a eu des millions des victimes ce qui est incontestable, n‘était pas conçu pour extirper le peuple ukrainien. C‘était le résultat d’une politique brutale, inhumaine menée par Staline qui ne bronchait pas devant le nombre de victimes qu’il allait créer. Mais sa première intention ce n‘était pas d‘éliminer des Ukrainiens mais de réaliser son programme, coûte que coûte. même au prix de millions de victimes paysans surtout, et les paysans étaient souvent Ukrainiens.

euronews:
En Ukraine des amendements au code criminel prévoient des poursuites pour la négation publique du Holodomor. Telle mеsure ne nuit-elle pas aux débats sur ce sujet?

André Liebich:

Absolument ! L‘état n’a pas à décreter la vérité ni mettre fin aux discussions. Le fait que le Holodomor soit contesté par certains ne rende le débat que plus actuel et plus nécessaire. C’est justement en montrant les faits, en discutant le nombre des victimes, on arrive à établir la vérité. C ‘est pas à l’Etat de légiférer ce qui est vrai, ce qui n’est pas vrai, et de mettre fin à la discussion.

euronews:
La réalité de la famine est la mort de millions d’individus, même si les chiffres varient. Ne serait-il pas juste de mettre cette tragédie à l‘échelle des crimes contre l’humanité, comme dans le cas de la Shoah?

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André Liebich:

Tout à fait ! Et justement comme crime contre l’humanité, pas comme crime contre un peuple particulier. Si on conçoit le Holodomor comme un crime qui a touché des millions d’individus à travers l’ancienne Union soviétique, on a des bases d’une commémoration commune, d’une réconciliation entre les Russes et les Ukrainiens et d’autres peuples. Si on prétend à l’exclusivité du Holodomor comme une tragédie purement ukrainienne qui visait les Ukrainiens, on ne crée que des conflicts avec ceux qui eux-aussi étaient les victimes de cette tragédie.

euronews:
Il est souvent reproché à l’Ukraine de mener un processus de victimisation compétitive soi-disant en essayant d’augmenter les chiffres de mortalité. Qu’en pensez-vous?

André Liebich:

Effectivement, il y a une concurrence de victimes qui ne rend service à personne. Le chiffre le plus bas qu’on peut donner pour le Holodomor c’est 2 millions d’individus. Si on ajoute ceux qui sont morts des maladies à cause d’affaiblissement par la famine, on ajoute encore le déficit de naissances, on arrive à plusieurs millions, mais on n’arrive pas à 10 millions comme on entend parfois et peut-être même pas à 6 millions qui est le chiffre canonique pour le Holocoste avec lequel le Holodomor cherche à se comparer.

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euronews:
M. Liebich merci pour cet éclairage.

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