Taybeh : quand fabriquer une bière en Palestine ne coule pas de source

Taybeh : quand fabriquer une bière en Palestine ne coule pas de source
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Par Isabel CES II
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Problèmes d'approvisionnement et d'acheminement, la seule brasserie palestinienne, Taybeh, fait face à un défi permanent pour tenir la promesse faite au patriarche Canaan.

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Au sommet d’une colline dorée, dans un paysage biblique parsemé de dizaines d’oliviers, coule non pas le lait et le miel mais de la très bonne bière, la Taybeh; c’est l’unique bière produite en Palestine, dans le village chrétien du même nom, sur les hauteurs de Ramallah. Un pari lancé en 1994 par les frères David et Nadim Khoury, une famille palestinienne installée jusqu‘à cette date à Boston, aux Etats-Unis, et qui après les accords d’Oslo croient en un futur meilleur dans leur village natal pour réaliser la promesse, le rêve de leur père Canaan, le retour à leur terre promise.

Depuis, la bière Taybeh s’est positionnée sur le marché régional et même international mais non sans difficulté et sans un combat au quotidien. Faire venir les produits des quatres coins du monde pour une bière qui respecte le décret allemand sur la pureté, le Reinheitsgebot, est déjà un défi car le houblon vient de la République tchèque et de la région allemande de Bavière, la levure d’Angleterre et le malt de France et de Belgique. Mais le plus difficile est d’avoir accès à la matière première pour le brassage, l’eau de la source de Samia, à seulement trois kilomètres de Taybeh. “C’est Israël qui contrôle cette source d’approvisionnement même si elle se trouve en territoire palestinien”, explique Madees Khoury, fille de Nadim et en charge de la brasserie. Et d’ajouter “souvent, on ne peut pas brasser car on n’a pas accès à l’eau”.

Malgré ce contre-temps, la micro-brasserie a produit 6 000 hectolitres l’an dernier, ce qui represente 80% de sa capacité de production.
Une production divisée en cinq variétés : dark, golden (ma préférée), amber, white (la plus “palestinienne” avec du blé, de la coriandre et des zestes d’orange de la région) et la light sans alcool. Cette dernière, née en 2010, est principalement destinée aux consommateurs des villes musulmanes de Naplouse, Hébron, Jénine et Tulkarem.

La majorité des ventes se fait en Palestine, 38% en Israël, surtout dans les villes à forte présence d’Arabes-israéliens, et le reste s’exporte dans divers pays européens (Suède, Danemark, Grande-Bretagne, Italie, Espagne), au Japon, et si tout va bien à la fin de cette année aux Etats-Unis où la famille a toujours un négoce en spiritueux.

Les exportations sont un autre des casse-tête pour les industriels palestiniens, car les territoires ne possédant ni port, ni aéroport, elles doivent impérativement passer par Israël. “Transporter la bière de Taybeh jusqu’aux ports israéliens d’Ashdod ou Haïfa prend trois jours à cause des points de contrôle”, s’insurge Madees Khouri, “alors qu’en voiture cela prend deux heures”. Et de conclure : “Ce n’est pas bon pour la bière, ce n’est pas bon du point de vue commercial et cela revient cher”.

Face à ces difficultés, la famille Khoury essaye de résister et diversifie son offre. Le frère de Madees, Canaan, diplômé de Harvard, s’est lancé dans la production de vin.

Mais le moral est bas, Madees Khoury considère que la situation s’est détériorée dans les dernières années. “Je suis revenue des Etats-Unis en 2007, où j‘étais retournée faire mes études et depuis, chaque année, cela n’a fait qu’empirer; non seulement dans le monde des affaires mais tout simplement pour vivre dans ce pays. Je n’ai pas le droit de conduire à Jérusalem !”.

Colère dans la voix de cette jeune femme quand elle ajoute : “Et chaque fois qu’il y a une guerre à Gaza, et ça arrive régulièrement, il y a des répercussions en Cisjordanie”.

“Disappointing, décevant”, c’est le terme que Madees Khoury utilise pour décrire la conjoncture politique. “Ils veulent que les Palestiniens perdent espoir et abandonnent le pays”, conclut-elle.

Seule bonne nouvelle, lever le coude en buvant la bière de Taybeh (qui en plus, heureux hasard, veut dire délicieux en arabe) pourrait donc être un acte solidaire ?

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