Francis Eustache : étudier la mémoire des attentats

Francis Eustache : étudier la mémoire des attentats
Par Valérie Gauriat
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Francis Eustache est neuropsychologue, et co-dirige avec l’historien Denis Peschanski, le programme “13 Novembre”.

Francis Eustache est neuropsychologue, et co-dirige avec l’historien Denis Peschanski, le programme “13 Novembre”.
Une étude mutlidisplinaire sans précédent, qui doit s‘étendre sur douze années. Objectif: comprendre l’impact des attentats qui se sont déroulés le 13 Novembre 2015 à Paris, sur la mémoire individuelle et collective.

Nous l’avons rencontré dans son laboratoire de Caen. Il livre quelques explications sur la démarche et les objectifs de ce programme, au micro de Valérie Gauriat.

Interview:

On sait qu’on est bien dans un événement majeur qui va marquer la société. C’est le résultat qu’on a sur la mémoire collective, ou la mémoire sociale. Ce résulat est conforté par une analyse plus fine, mais qui montre que cette information a diffusé dans la société française dans son ensemble. Quelles que soient les couches sociales, quel que soit l‘âge des personnes, le fait que ces personnes vivent en ville ou à la campagne, c’est vraiment un événement qui a un impact extrèmement important. C’est la premiere étude. La deuxième étude, ce sont des interviews filmées, sur des personnes plus ou moins proches de l‘événement. Qui étaient au coeur de l‘événement traumatique lui-même. Les personnes du Bataclan, des terrasses, et puis des personnes qui étaient plus éloignées.
Là, nous avons réalisé 1000 interviews filmées, ce qui est un résultat en soi, d’avoir réussi sur un temps très court de réunir à peu près 2000 heures d’interviews filmées par l’INA, sous la responsabilité de l’INA. Certains films ont été tournés par le CPAD, le département images du ministère de la défense. Avec des interviews d’une extreme qualité, qui vont être analysées par des scientifiques d’horizons divers puisque c’est un travail transdisciplinaire qui a été élaboré à la fois par des historiens, des psychologues des sociologues, des psycho-pathologues, des médecins, avec des objectifs divers.
Il y a des objectifs historiques sur la construction de l’histoire, ce qu’on appelle le grand récit. La construction d’une identité, quel est l’impact des attentats sur l’identité de notre pays. Et puis il y a des aspects beaucoup plus médicaux qui portent sur ce qu’on appelle le trouble de stress post-traumatique. Avec une étude ancillaire, qui s’accroche à la grande étude sur mille personnes, qui porte cette fois sur 200 personnes, dont celles qui ont été exposées aux attentats.
Ces personnes viennent ici à Caen dans mon laboratoire ou elles bénéficient d’examens médicaux, notamment des IRMs du cerveau, et puis d’autres explorations psycho-pathologiques, neuro-psychologiques qui permettent de comprendre cette fois-ci jusqu’au niveau du fonctionnement du cerveau, la construction de cette mémoire à partir de l’attentat du 13 novembre à Paris.

Ce qu’on sait aujourd’hui c’est que c’est un événement majeur. C’est un événement majeur au niveau national, et vraisemblablement un événement majeur dans le monde, au moins dans le monde occidental. C’est ce qu’on peut en dire, même si on l’a étudié essentiellement au niveau français, au niveau de la métropole. C’est une première chose. C’est ce qu’on peut dire au temps T1 c’est à dire une période où on a recueilli des données entre 6 mois et un an après l’attentat. Ensuite, que va devenir cette mémoire de l’attentat, on le saura plus tard puisque on va suivre les personnes à intervalles réguliers, on va les suivre de 6 mois en 6 mois. Mais surtout il y aura de nouveau des captations avec le système des interviews filmées, et il y aura également des examens du cerveau et des examens neurologiques et psycho pathologiques, 2 ans après, 5 ans après, et pour les interviews filmées, 10 ans après.

On va avoir les moyens d’analyser sur le long terme les conséquences sur la mémoire des personnes. Et ce qui est très original dans ce protocole de recherche, c’est qu’on a pas simplement les informations qui concernent l’impact sur la société, on a pas simplement l’analyse du cerveau des personnes qui sont blessées psychiques, on a pas simplement l’analyse des médias, mais on a tout ca en parallèle.

On fait en sorte que les interfaces entre les différents programmes soient particulièrement travaillées. Et c’est certainement là qu’on attend les analyses les plus intéressantes. Par exemple quel est l’impact de la mémoire sociale, par exemple les commémorations, les marques de l’Etat, de la nation française, sur un syndrôme de stress post- traumatique. Est-ce que cela a un retentissement négatif, positif, c’est tous ces aspects la qu’on va beaucoup travailler. Les liens entre le cadre social et la mémoire des individus. En considérant que la mémoire individuelle est totalement liée à la mémoire collective.

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