Vaincre les inégalités salariales : un défi pour l'Europe

En partenariat avec The European Commission
Vaincre les inégalités salariales : un défi pour l'Europe
Par Maithreyi SeetharamanCharlotte Kan
Partager cet article
Partager cet articleClose Button
Copier/coller le lien embed de la vidéo de l'article :Copy to clipboardLien copié

En Europe, les travailleurs les mieux payés gagnent cinq fois plus que ceux qui touchent le moins. Comment réduire ces inégalités ? Real Economy fait le point sur la situation dans l'UE, examine le cas de la Lettonie et interroge un représentant syndical européen.

Saviez-vous que les inégalités s'accentuent en Europe puisque les travailleurs les mieux payés gagnent cinq fois plus que ceux qui touchent le moins ?

Pour mieux comprendre, évoquons quelques éléments essentiels : les inégalités se creusent quand les revenus les plus élevés augmentent plus rapidement que les revenus les plus faibles. Cette hausse lente des plus bas salaires, c'est le principal problème auquel l'Europe est confrontée depuis la crise financière. Là où cet écart est le plus important, c'est par exemple en Roumanie ou au Portugal, mais il est aussi visible en Italie et même en Allemagne.

Fortes disparités de revenus dans l'UE

Voyons quelle est la situation actuelle en Europe. Le salaire minimum n'est pas le même pour toutes les familles d'Europe : les Müller vivent dans des pays où l'on gagne 1450 euros ou plus par mois (Belgique, France, Allemagne, Irlande, Luxembourg, Pays-Bas et Royaume-Uni). Les Potamiano eux sont payés entre 650 et 900 euros (Grèce, Malte, Portugal, Slovénie et Espagne) tandis que les Badita reçoivent 500 euros, voire moins (Croatie, République tchèque, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Roumanie et Slovaquie).

Anne et Jodi Newman touchent moins que leurs collègues masculins. L'écart salarial hommes - femmes est de 16,2% dans l'Union, mais de plus de 25% en Estonie pour Anne et de 5,2% - son taux le plus faible - en Roumanie pour Jodi.

La famille Newman, présente dans toute l'Europe, travaille comme la plupart des Européens dans les services, souvent synonymes de salaires plus élevés. La croissance portée par la consommation génère de nombreuses créations d'emplois pour Steve Newman par exemple, mais souvent avec des rémunérations faibles. Pour gagner plus, Steve entre autres veut s'installer à l'étranger (12% des Européens émigrent pour des raisons professionnelles).

Steve a de fortes chances d'être payé moins de 9000 euros par an dans l'Est de l'Europe ou au bord de la Méditerranée, mais plus de 25.000 euros dans l'Union européenne à 15. S'il réussit à faire partie des 1% de salariés les mieux payés en France, au Royaume-Uni, en Allemagne ou en Italie, il pourrait gagner plus de 62.000 euros par an.

Sur la totalité des emplois créés en Europe depuis 2013, près de trois millions appartiennent à la catégorie des salaires les plus élevés, environ 800.000 à celle des rémunérations moyennes et un peu plus d'un million et demi à l'échelon le plus bas.

Cette tendance concerne toute l'Europe, de l'Autriche à la République tchèque en passant par les Pays-Bas et même la Lituanie, un pays que les jeunes quittent en masse pour partir à l'étranger en quête de meilleurs revenus.

Salaire horaire moyen letton : 4 euros

Notre reporter Charlotte Kan s'est rendue non loin de là, en Lettonie où l'on tente en augmentant les salaires, de retenir les jeunes générations ô combien essentielles au pays.

Ces jeunes que nous avons rencontrés à Riga ont décidé d'établir leur carrière dans leur pays. Un choix pas toujours évident : en effet, en Lettonie, les salaires sont bas. A 4 euros de l'heure, c'est trois fois moins que le taux horaire moyen de l'Union européenne.

L'inégalité des revenus y est également plus élevée que dans le reste de l’UE. La jeunesse quitte donc petit à petit le pays pour trouver de meilleures opportunités ailleurs.

Cette année, le gouvernement letton a augmenté le salaire minimum à 430 euros par mois, manière d'aider les foyers aux plus faibles revenus car en termes de salaires et d'emploi, la Lettonie est un pays profondément divisé. "Si on mesure les revenus en regardant le PIB par habitant, le niveau à Riga sera similaire à celui du Royaume-Uni en moyenne ; mais dans les provinces de l'Est, à quatre heures de route de la capitale, le niveau de PIB par habitant ressemblera à celui de l'Afrique du Sud," précise Vjačeslavs Dombrovskis, président du directoire du groupe de réflexion sur la politique Certus. "Le taux de chômage à Riga est d'environ 4-5% ; à Latgale, c'est environ 18%," dit-il avant d'ajouter : "Les perspectives d'emploi, de carrière et les niveaux de revenus sont bien inférieurs à ceux du Royaume Uni, de l'Allemagne ou de la France : on devient, un peu, 'un pays de vieux'."

La solution de la formation

Pour inciter la jeunesse à rester, la Lettonie mise sur l'éducation. Son impact sur les perspectives d'emploi et de salaires y est plus important que dans de nombreux autres membres de l'Union. D'où l'importance de former davantage la population et tout particulièrement dans des secteurs prometteurs comme les nouvelles technologies de l'information et de communication.

Janis Rocens, président de l'entreprise spécialisée dans les services IT SWH SETS, nous donne son sentiment : "C'est une industrie en pleine croissance, le gouvernement investit parce que les règles du jeu - les règles commerciales, les lois fiscales - sont compétitives, plus compétitives que dans nos marchés cibles, donc nous pouvons plus facilement nous imposer au plan international," fait-il remarquer. "Les perspectives pour une entreprise des nouvelles technologies comme la nôtre en Lettonie sont 100% positives," insiste-t-il.

"Des salaires plus élevés, plus de formation pour de meilleures perspectives d'emploi et même un ministère de la Diaspora pour mettre un terme au flot de jeunes qui quittent le pays," indique notre reporter Charlotte Kan avant d'ajouter : "La Lettonie tente de mettre en place des solutions pérennes pour offrir à sa jeunesse un meilleur futur et sauver sa population d'un déclin inexorable."

Luca Visentini : "Nous devons parcourir une longue route pour aboutir à l'égalité réelle"

Que font les différents pays européens pour s'attaquer aux inégalités ? À Bruxelles, recueillons le point de vue du secrétaire général de la Confédération européenne des Syndicats (CES), Luca Visentini.

Maithreyi Seetharaman, euronews :

"Nous vous avons demandé d'apporter un objet qui pour vous, représente les inégalités. De quoi s'agit-il ?"

Luca Visentini, secrétaire général de la CES :

"Il s'agit de ce joli petit vélo, c'est le premier cadeau que j'ai reçu après mon élection au secrétariat général de la CES en 2015. Et c'est un symbole de mon chemin vers l'égalité. Je dois pédaler - pour ainsi dire - pour atteindre l'égalité et j'ai décidé de mettre dans le panier du vélo, ma carte de sécurité sociale belge qui n'est pas quelque chose que tout le monde peut avoir et dont tout le monde peut bénéficier. De ce point de vue, c'est un autre symbole de la longue route que nous devons parcourir pour aboutir à l'égalité réelle y compris dans un pays très développé comme la Belgique en termes de protection sociale et de droits sociaux."

Maithreyi Seetharaman :

"Pensez-vous vraiment que les inégalités aient un effet sur la croissance des économies ?"

Luca Visentini :

"Absolument ! Elles nuisent à la productivité, à la compétitivité, à la performance du marché du travail... C'est dommage que les Etats doivent dépenser beaucoup d'argent pour soutenir les travailleurs précaires, ceux qui ne peuvent pas toucher leur retraite à la fin de leur carrière, ceux qui n'ont pas les allocations chômage, ceux qui sont avec leur famille dans une situation de pauvreté... Il est certain que ces personnes-là doivent être soutenues par l'aide publique, mais cela réduit les ressources disponibles pour l'investissement. C'est un cercle vicieux qui détruit le potentiel de croissance des économies."

"Les dispositifs de négociation collective ont été attaqués pendant la crise"

Maithreyi Seetharaman :

"Selon vous, le problème est-il aussi lié à une fragilisation de la négociation collective à travers l'Europe ?"

Luca Visentini :

"Le problème, ce n'est pas que les syndicats seraient moins forts, c'est que les dispositifs de négociation collective ont été attaqués par les mesures d'austérité pendant la crise et le fait qu'ils aient été démantelés a fragilisé les syndicats, mais aussi les organisations d'employeurs. Et quand les partenaires sociaux sont faibles, c'est très difficile d'accompagner l'évolution des économies pour aller vers une réduction des inégalités."

Maithreyi Seetharaman :

"On comprend que vous disiez cela en tant que chef de file des syndicats en Europe. Mais si on se place au niveau international, la mondialisation met par définition, les salaires sous pression..."

Luca Visentini :

_"Dans les coûts de production et d'exportation, la part représentée par les salaires est très faible - de 5 à 15% -. Tout le reste, c'est de l'investissement : dans les technologies, l'innovation, la numérisation, l'automatisation des procédures, la qualité de la production... _Cela fait la différence en termes de compétition mondiale. Les exportations ne représentent que la moitié du tableau, l'autre moitié, c'est la consommation intérieure.

Si on augmente les salaires en suivant la hausse de la productivité, on encouragera les exportations et la demande intérieure et on rendra notre modèle de croissance économique durable sur le long terme. Si les partenaires sociaux font partie du tableau, ils pourront faire partie de la solution. Si on y arrive, on pourra redonner confiance en l'Union européenne."

Real Economy | Inequality

Video editor • Richard Topping

Sources additionnelles • Cameraman Londres : Richard Topping ; Bruxelles : Pierre Hollande, Bert Degraeve ; Riga : Marc Semaan ; preneur de son : Jeroen Dejonghe ; graphisme : Monsieur Girafe

Partager cet article

À découvrir également

The Brief from Brussels : la difficile parité dans les institutions européennes

Favoriser l’entreprenariat féminin