France : qu'est-ce que l'affaire Adama Traoré, homme noir mort lors d'une interpellation en 2016 ?

A Paris, plusieurs milliers de personnes se sont rassemblées le mardi 2 juin dernier pour réclamer justice pour Adama Traoré, un homme noir de 24 ans, mort lors de son interpellation par les gendarmes. C'était le 19 juillet 2016.
Ce jour caniculaire, Adama Traoré échappe à une première interpellation avant d'être arrêté au terme d'une course-poursuite. Il décède deux heures après dans la caserne de Persan, dans le Val-d'Oise (Île-de-France).
Ni témoins, ni vidéos n'ont rendu compte de la scène, uniquement connue par le témoignage des trois gendarmes et les conclusions des autopsies et autres analyses des médecins et experts.
Les gendarmes auraient plaqué Adama Traoré au sol pour le neutraliser. Les gendarmes nient avoir eu recours à cette technique d'interpellation mais l'un d'entre eux avait déclaré aux enquêteurs : "Nous avons employé la force strictement nécessaire pour le maîtriser, mais il a pris le poids de notre corps à tous".
Depuis, cette affaire, érigée en symbole des violences policières, en particulier envers les personnes d'origine immigrée en France, est devenue une bataille entre experts judiciaires et médecins choisis par la famille Traoré.
2016, autopsie et contre-autopsie se contredisent
Dès les premiers jours qui suivent l'enquête, aucune vérité ne peut être établie de manière certaine. Des émeutes éclatent les nuits suivantes dans le Val d'Oise, le département en banlieue parisienne d'où était issu Adama Traoré.
Le légiste qui effectue la première autopsie ne constate aucune trace de violences et relève un "syndrome asphyxique" ainsi que des "lésions d'allure infectieuse", au poumon et au foie notamment, sans parvenir à identifier la "cause immédiate" du décès.
A l'époque, après plusieurs nuits de violences urbaines, le procureur de Pontoise, Yves Jannier, évoque "une infection très grave", "touchant plusieurs organes", mais ne mentionne pas l'asphyxie. Une semaine après, une contre-autopsie réalisée par un collège d'experts balaye cette piste d'une infection et confirme celle d'un "syndrome asphyxique", à faire confirmer par un examen anatomo-pathologique.
Le procureur est accusé d'avoir délibérément menti, instillant la défiance et conduisant au dépaysement rapide de l'affaire entre les mains de juges parisiens.
Depuis quatre ans, la famille Traoré tente de faire établir la vérité
Entre 2017 et 2020, pas moins de six expertises et contre-expertises au total sont commandées par les deux camps réunis, sans qu'aucune réponse ne puisse être établie clairement : antécédents médicaux ou une asphyxie positionnelle ?
La plus récente expertise judiciaire, dévoilée le 29 mai 2020, réalisée par trois médecins, conclue qu'"Adama Traoré n'est pas décédé 'd'asphyxie positionnelle', mais d'un 'œdème cardiogénique'", concluent les trois médecins.
Sans se montrer catégoriques, ils estiment que "l'association d'une sarcoïdose pulmonaire, d'une cardiopathie hypertrophique et d'un trait drépanocytaire ont probablement pu y contribuer dans un contexte de stress intense et d'effort physique, sous concentration élevée" de cannabis.
A ces résultats fin mai, la famille Traoré répond quatre jours plus tard en versant une nouvelle expertise privée réalisée par un médecin. Ce dernier retient aussi l'hypothèse d'un œdème, qu'il attribue "à une asphyxie positionnelle induite par le plaquage ventral", technique d'interpellation que les gendarmes affirment n'avoir pas utilisée.
Assa Traoré, figure de proue
Derrière la mobilisation contre la version officielle des autorités, une seule personne maintient inlassablement la flamme allumée. Dès le décès de son frère, la sœur aînée d'Adama, Assa Traoré dénonce une bavure policière. Elle n'a eu de cesse depuis de tenter de faire la lumière sur les causes du décès de son frère.
Elle a participé à la création du collectif "Vérité et justice pour Adama" qui a appelé à manifester le 2 juin dernier en soutien à la dernière expertise commandée par la famille.