Dans ce numéro de The Global Conversation, Isabel Marques da Silva reçoit Emily O'Reilly, Médiatrice européenne.
La semaine dernière, Emily O'Reilly a ouvert une nouvelle enquête concernant la décision de la Commission européenne, qui compte assouplir certaines règles relatives à la politique agricole commune. La médiatrice européenne a demandé à ce qu'une réunion puisse se tenir.
"Nous allons examiner les documents en lien avec ce dossier et interroger les fonctionnaires concernés", indique Emily O'Reilly. "Il est ici question de la politique agricole commune et des changements qui y ont été apportés pour rendre les obligations des agriculteurs un peu moins onéreuses et contraignantes en matière de protection de l'environnement. On se souvient des manifestations d’ampleur qui ont eu lieu. Et c'est à la suite de ces manifestations que ces changements ont été adoptés.
Les organisations engagées en faveur de la protection de l'environnement s’inquiètent donc de cette situation car - d'après la plainte que nous avons reçue -, les seules parties à avoir été consultées ont été des organisations agricoles. On essaie donc de savoir ce qui s'est passé, comment ils ont procédé à ces changements, qui a été consulté et ce qui a été pris en considération. Et une fois que nous aurons obtenu ces réponses, nous prendrons une décision, en estimant qu’ils ont agi correctement ou bien en formulant des recommandations sur la façon dont ils devront procéder à l'avenir, ou alors nous leur donnerons des lignes directrices pour gérer correctement ces questions qui sont un sujet de préoccupation majeur pour les citoyens.
"S'il y a un dénominateur commun à la plupart de nos dossiers, il s’agit bel et bien de l'influence. Bruxelles est un pôle majeur de lobbying, le deuxième plus important au monde après Washington. Les citoyens ont donc le droit de savoir comment les législations sont élaborées et qui les oriente. Une partie de notre travail, lorsqu’on reçoit des plaintes ou lorsqu’on ouvre des enquêtes de notre propre initiative, consiste à nous assurer que la Commission, par exemple, ou les autres institutions, écoutent tous les points de vue et ne prennent pas de décisions inappropriées ou trop influencées par l’une des parties au débat".
"Beaucoup de gens parlent de la Commission comme d'une administration immense, alors qu'elle est en fait assez restreinte comparé à celles des États membres.
Donc, évidemment, elle ne dispose pas de toute l'expertise nécessaire en interne, lorsqu'elle élabore ou recommande des réglementations. Ainsi, ils font appel à des spécialistes des secteurs sur lesquels ils travaillent. L'une des enquêtes que nous avons menées il y a quelques années visait à étudier l'équilibre entre ces groupes d'experts.
Si vous êtes une grande entreprise, par définition, vous avez beaucoup de moyens et vous pouvez payer de nombreuses personnes pour être vos yeux et vos oreilles à Bruxelles et savoir ce qui se passe. Si vous êtes une ONG, avec un budget plus modeste, vous n'aurez pas la même capacité à déployer des effectifs pour savoir ce qui se passe. La Commission a donc l'obligation de veiller à ce que les ONG, la société civile et les autres acteurs fassent entendre leur voix de la même manière."
"Il y a sans doute une meilleure prise de conscience au sein de la Commission, à la fois en raison du travail que nous avons mené, de celui des médias, et de la société civile. Mais des problèmes peuvent encore surgir, et on examine ces questions au cas par cas.
Mais globalement, les mentalités ont évolué, on accepte davantage la nécessité d'un meilleur équilibre quand il faut prendre des décisions portant sur des sujets d’intérêt général. Chaque voix doit être entendue".
La demande de transparence se fait de plus en plus pressante, et concerne aussi les conflits d'intérêt qui ont parfois terni l'image des institutions.
Ursula von der Leyen, qui a été réélue à la tête de la Commission européenne, a présenté les 26 candidats qui siègeront au sein de l’exécutif. Le Parlement européen va se pencher notamment sur leurs déclarations d’intérêt financier.
"Le Parlement dispose de certains pouvoirs d'enquête, mais pas des mêmes prérogatives, par exemple, que ceux du ministère public européen, ou de l'OLAF, l’office européen de lutte anti-fraude", note Emily O'Reilly. "Mais il est plus important de savoir si ce Parlement assumera réellement son rôle de mécanisme de responsabilité envers la Commission, et qu'il s'assure que la commission rende des comptes. Au fil du temps, certains parlements s’affirment en ce sens, d’autres moins. Il est sûrement trop tôt pour dire dans quelle mesure ce parlement sera capable de réclamer des comptes à la Commission".