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Crise politique en France : quels sont les risques économiques pour l'Europe ?

Le Premier ministre français sortant, Sébastien Lecornu, qui a démissionné un jour seulement après avoir nommé son gouvernement, recule après avoir prononcé sa déclaration à l'hôtel Matignon à Paris.
Le Premier ministre français sortant, Sébastien Lecornu, qui a démissionné un jour seulement après avoir nommé son gouvernement, recule après avoir prononcé sa déclaration à l'hôtel Matignon à Paris. Tous droits réservés  Stephane Mahe/Pool via AP
Tous droits réservés Stephane Mahe/Pool via AP
Par Piero Cingari
Publié le
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La crise politique française alimente l'incertitude de l'économie et des marchés, avec des risques pour la croissance et le respect des règles d'emprunt de l'UE. Les spreads obligataires se sont creusés, les réformes sont au point mort et la BCE pourrait être amenée à agir.

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La crise politique que traverse la France suscite l'inquiétude des économistes qui craignent qu'une paralysie institutionnelle durable ne compromette la croissance et ne complique les efforts de stabilisation des finances publiques.

La démission soudaine du Premier ministre Sébastien Lecornu, moins d'un mois après son entrée en fonction et à peine quelques heures après l'annonce de la composition de son gouvernement pose notamment la question du vote du budget de l'État.

Selon le site du gouvernement consacré au projet de loi de finances, le projet de budget doit en théorie être présenté au conseil des ministres "avant le premier mardi d'octobre", et déposé à l'Assemblée nationale "au plus tard le 13 octobre" pour que le Parlement dispose des 70 jours prévus par la Constitution pour en débattre. Le budget 2026 doit en théorie être finalisé et voté d'ici au 31 décembre. En 2025, une "loi spéciale" avait été votée pour renouveler le budget de l'année précédente.

La démission de Sébastien Lecornu laisse donc l'exécutif sans feuille de route pour sortir de l'impasse. Et alors que le président Emmanuel Macron fait face à des appels de plus en plus nombreux en faveur de nouvelles élections, les analystes avertissent que l'incertitude persistante pourrait mettre en péril le respect des règles budgétaires de l'UE, Bruxelles renforçant sa surveillance.

Le marché obligataire français signale une augmentation du risque pays

Le marché obligataire français n'a pas tardé à réagir à la démission du Premier ministre.

À l'heure où nous écrivons ces lignes, les rendements des obligations d'État françaises (OAT) à 10 ans se négocient actuellement à environ 86 points de base au-dessus de leurs équivalents allemands – un écart observé pour la dernière fois lors de l'effondrement du gouvernement Barnier à la fin de l'année 2024.

Les niveaux actuels sont donc comparables à ceux observés en juillet 2012, lors des dernières phases de la crise de la dette de la zone euro.

Selon Goldman Sachs, la France a connu la plus forte augmentation du risque pays parmi les principaux marchés depuis les élections de l'année dernière.

Ce que la crise politique française signifie pour l'économie

Dans une note publiée mardi, Goldman Sachs indique qu'elle s'attend à ce que l'incertitude se traduise par une croissance légèrement plus faible et des déficits budgétaires plus élevés.

Simon Freycenet, économiste en chef, estime que le déficit de 2026 pourrait augmenter de 0,1 point de pourcentage, tandis que la croissance du PIB pourrait ralentir d'environ 0,2 point de pourcentage.

Goldman Sachs note également que le marché obligataire a déjà intégré une grande partie du risque politique.

Si la situation actuelle persiste, elle s'attend à ce que l'écart entre les obligations françaises et allemandes à 10 ans se réduise pour atteindre 70 points de base, comme elle le prévoit pour la fin de l'année 2025. Cependant, la banque a averti que l'incertitude persistante signifie que les risques restent orientés à la hausse.

"La démission du Premier ministre français signale des risques budgétaires accrus", dit Charlotte de Montpellier, économiste chez ING.

L'experte indique que la France risque d'entamer la nouvelle année sans budget 2026 approuvé. Dans ce cas, le gouvernement fonctionnerait dans le cadre d'une extension automatique du budget 2025, ce qui limiterait à la fois les nouvelles dépenses et les initiatives de réforme.

Selon l'économiste, cette paralysie politique intervient à un moment particulièrement sensible, car la France fait déjà l'objet d'une procédure pour déficit excessif de la part de la Commission européenne.

"La France fait actuellement l'objet d'une procédure pour déficit excessif. Il est probable que la Commission adopte une position plus dure vis-à-vis de la France et insiste sur la nécessité de remettre de l'ordre dans les finances publiques", estime-t-elle.

L'absence de progrès en matière d'assainissement budgétaire pourrait laisser le déficit avoisiner les 5 % du PIB en 2026, selon elle, avec une dette publique dépassant 116 % du PIB.

Selon les estimations d'ING, la croissance économique de la France ne devrait progresser que de 0,8 % l'année prochaine, ce qui place le pays bien en dessous de la moyenne de la zone euro.

Élections anticipées ou impasse : quels sont les enjeux ?

Pour l'avenir, les analystes envisagent deux scénarios principaux, dont aucun n'offre de solution facile.

Selon BBVA, le président Emmanuel Macron pourrait soit nommer un nouveau Premier ministre dans une nouvelle tentative de former un gouvernement stable, soit dissoudre l'Assemblée nationale et convoquer des élections.

Les deux voies comportent des risques : une nouvelle nomination pourrait avoir du mal à obtenir une majorité parlementaire, tandis que les élections pourraient aggraver la fragmentation politique et retarder les décisions fiscales clés.

Si les spéculations sur une fin prématurée de la présidence d'Emmanuel Macron prennent de l'ampleur, le spread OAT-Bund (écart entre les obligations du trésor américain et obligations d'état allemandes) à 10 ans pourrait dépasser largement le seuil des 90 points de base, selon ING.

Crise politique en France : la BCE pourrait-elle intervenir ?

Les marchés commencent également à s'intéresser à la Banque centrale européenne et à la question de savoir si elle pourrait être contrainte d'intervenir pour contenir les risques croissants sur le marché obligataire français et prévenir les retombées dans la zone euro.

L'instrument de protection de la transmission (IPT) de la BCE, un outil de 2022 qui permet à Francfort d'acheter des obligations de pays confrontés à des tensions injustifiées sur le marché, est au cœur du débat.

Bien que la France ne remplisse pas les critères stricts en matière de fiscalité et de réformes nécessaires à l'activation de l'IPT, la BCE dispose encore d'une certaine marge de manœuvre.

"L'IPT est soumis à des conditions strictes sur le papier, mais la BCE dispose encore d'une marge de manœuvre dans le déploiement de cet outil", note Benjamin Schroeder d'ING.

Selon ING, si le marché obligataire français devient trop volatil et menace le contrôle de la BCE sur les conditions financières à l'échelle de la zone euro, la BCE pourrait être forcée d'agir, même si la France ne remplit pas strictement les critères fiscaux pour obtenir un soutien.

"La France est tout simplement trop grande et trop importante pour ne rien faire", ajoute Benjamin Schroeder.

Le chaos en France pourrait-il affecter l'euro ?

L'euro a déjà montré des signes de faiblesse en réaction à l'agitation politique en France, mais les analystes estiment que l'impact est contenu, du moins pour l'instant.

"La saga politique en France a pris une nouvelle tournure", souligne Michał Jóźwiak, analyste du marché des changes chez Ebury.

Il rappelle que l'euro a chuté de près de 1 % par rapport au dollar, malgré le shutdown aux États-Unis.

BBVA indique que le véritable risque réside dans la possibilité d'élections anticipées, que la banque considère comme "le scénario le plus néfaste pour l'euro à court et à moyen terme".

"Les développements politiques et fiscaux en France (en particulier la perspective d'élections anticipées) pourraient diminuer l'appétit des investisseurs pour la monnaie," prédit Francesco Pesole, analyste forex chez ING, notant que l'EUR/USD manque déjà d'un argument fort pour pousser vers le niveau de 1,20 à court terme.

Cependant, il note que les attentes de deux réductions de taux de la Réserve fédérale d'ici à la fin de l'année, combinées à une saisonnalité favorable au quatrième trimestre, continuent de soutenir l'idée que l'EUR/USD pourrait atteindre 1,20, même en tenant compte de l'incertitude politique en France.

Pas de sortie facile de l'impasse politique

L'impasse politique en France alimente l'incertitude économique, les analystes avertissant qu'elle pourrait retarder les réformes et maintenir les déficits à un niveau élevé.

À mesure que la pression monte, les risques pour la stabilité des marchés et le respect des règles budgétaires de l'Union européenne augmentent.

Pour l'instant, la situation reste contenue et la BCE reste à l'écart, mais la France étant trop grande et trop importante sur le plan systémique pour être ignorée, elle pourrait ne pas le rester longtemps si la crise s'aggrave.

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