Suivez le grand compte à rebours d’Euronews Culture jusqu’à la révélation de notre film préféré de l’année. Combien en avez-vous vu ?
2025 a commencé et s’achève par la disparition de deux titans du cinéma, David Lynch et Rob Reiner, et les mois intermédiaires ont vu l’avancée inquiétante de l’IA (sans toujours aucune restriction ni garde‑fous pour la technologie préférée de tous) ; des protestations contre des génocides ; le co‑PDG de Netflix Ted Sarandos affirmant sans vergogne que la sortie au cinéma est « un concept dépassé » ; et des nouvelles de monopoles corporatifs imminents qui mettent en péril l’expérience en salle et notre manière de vivre les films.
Replacez tout cela dans le contexte d’un délire fascisant qui s’intensifie, des guerres qui perdurent et des horreurs quotidiennes de l’actualité, et il est peu dire qu’il a été difficile de ne pas sombrer.
Si 2025 a parfois ressemblé à un brasier, il est clair qu’aller au cinéma reste l’un des meilleurs moyens d’échapper à la folie. Ce n’est assurément pas un concept dépassé : c’est une pratique menacée mais vitale, plus que jamais, non seulement comme divertissement mais aussi comme manière de générer de l’empathie et d’éveiller la curiosité. Deux qualités qui semblent manquer ces temps‑ci.
Heureusement, l’année a été forte au cinéma, à tel point que ne sélectionner que 20 films qui nous ont aidés à traverser 2025 a été plus difficile que jamais. Même certains de nos favoris comme The Ice Tower, Eddington, Drømmer (Dreams (Sex Love)), Black Bag, Hedda, The Bibi Files et Reflection in a Dead Diamond n’ont pas été retenus dans la sélection finale... Il a fallu trancher.
Comme toujours, nous avons respecté la règle d’airain selon laquelle les films doivent être sortis dans les salles européennes cette année. Cela signifie que même si nous avons vu des œuvres comme Marty Supreme, The Secret Agent, No Other Choice, Pillion et Hamnet, elles sont hélas absentes, leurs sorties dans toute l’Europe étant prévues en 2026.
Sans plus attendre, notre compte à rebours des meilleurs films de 2025 commence avec...
20) Alpha
Pour ceux qui s’attendaient à une nouvelle déferlante gore à vous scotcher au siège de la part de la réalisatrice acclamée de Grave (Raw) et de la Palme d’or Titane, Alpha a pu sembler une déception. Au lieu d’un nouveau body horror à fond, la cinéaste française Julia Ducournau s’attaque davantage à l’âme qu’à la chair avec son troisième film. Suivant Alpha (Mélissa Boros), une fille de 13 ans qui vit dans un monde poussiéreux encore en convalescence après une épidémie dévastatrice qui fait que les infectés se retrouvent ensevelis dans leurs propres corps calcifiés, le film est indéniablement plus hermétique que les œuvres célébrées de Ducournau. Toutefois, en explorant la relation entre une protagoniste adolescente et sa mère (Golshifteh Farahani), sur fond de réapparition de son oncle toxicomane (Tahar Rahim), Ducournau crée quelque chose de vraiment spécial. Grâce à la porosité de deux temporalités, elle établit d’abord une allégorie de la crise du sida des années 1980 ; celle‑ci se mue en une méditation à combustion lente sur les traumatismes hérités, l’acceptation de la mort et l’idée que l’amour inconditionnel est le seul pour lequel il vaut la peine de se battre. Alpha pourrait être le film le plus clivant de 2025 ; il est peut‑être le plus mal compris ; mais il est assurément l’une de ses propositions les plus sous‑estimées. DM
19) Den Stygge Stesøsteren (The Ugly Stepsister)
Ce premier long métrage assuré et mémorable de la cinéaste norvégienne Emilie Blichfeldt réinvente le conte de Cendrillon à travers les yeux d’Elvira (Lea Myren), prête à tout pour rivaliser avec sa belle demi‑sœur, la superbe Agnes, afin de conquérir les faveurs du prince. Cela implique des chirurgies gratinées, des ténias et des amputations de doigts de pied fidèles aux frères Grimm. Même s’il est tentant d’établir une comparaison avec la The Substance de Coralie Fargeat (les deux films s’ancrent dans la nouvelle vague de l’horreur féministe et commentent les attentes sociétales autour des standards de beauté via un body horror qui fait se tortiller et beaucoup d’humour noir), le film de Blichfeldt ne devrait pas être éclipsé par son voisin de genre. C’est un premier long métrage pleinement abouti qui annonce une voix cinématographique nouvelle et ambitieuse. DM
18) Affeksjonsverdi (Sentimental Value)
Quatre ans après que Renate Reinsve a remporté le prix d’interprétation féminine à Cannes pour sa performance dans le film de Joachim Trier The Worst Person in the World, le duo norvégien se retrouve pour cette comédie dramatique qui explore les dynamiques familiales dysfonctionnelles et la possibilité de la réconciliation par l’art. C’est un pari gagnant, surtout parce que Reinsve est, comme toujours, une présence magnétique à l’écran. Elle incarne une actrice qui a suivi en partie les traces artistiques de son père absent. Ce dernier revient dans sa vie avec une proposition (problématique) : il a écrit un scénario autobiographique et veut que sa fille joue le rôle de sa propre mère. Renate Reinsve et Stellan Skarsgård sont parfaits, leur dynamique à l’écran soutenant des thèmes de traumatismes familiaux intergénérationnels. La seule raison pour laquelle Valeur sentimentale ne figure pas plus haut dans notre liste tient à quelques détours excessifs (et parfois trop littéraux) autour des traumatismes historiques, qui détournent du cœur du film, à savoir : l’importance de la tendresse face aux vérités compliquées de la vie et de la vulnérabilité nécessaire pour que les relations guérissent. Et si le dénouement est prévisible, le dernier plan, subtilement dévastateur, renforce la résonance émotionnelle du film. Il demeure une ode touchante à l’effort et à la manière dont, dans certains cas, la vie et l’art peuvent converger pour créer quelque chose de plus grand. DM
17) 28 Years Later
Près d’un quart de siècle après que 28 Days Later a remodelé le cinéma zombie moderne, Danny Boyle revient dans l’univers du virus de rage avec une suite qui refuse la voie de la facilité. 28 Years Later, troisième volet de la franchise, est furieux, brouillon et souvent exaltant ; c’est aussi, de façon inattendue, le plus émouvant à ce jour. Il suit Spike (Alfie Williams, nouveau talent exceptionnel), un garçon de 12 ans élevé sur une île à marée qui s’aventure sur le continent infecté, d’abord avec son père récupérateur et coriace (Aaron Taylor-Johnson), puis plus tard sans lui, dans une tentative désespérée de trouver le Dr Kelson (Ralph Fiennes), réputé fou et collectionneur de crânes, dont l’aide pourrait être son seul espoir de sauver sa mère alitée (Jodie Comer). Visuellement, le film ne ressemble à rien d’autre de ces dernières années : tourné principalement dans un style iPhone heurté et hyper‑moderne et monté à un rythme haletant, avec une « kill cam » vertigineuse qui fige, vrille et se jette à travers les moments de violence comme une version moderne du bullet time de The Matrix. Mais sous l’hémoglobine et le spectacle zombie, Boyle et Alex Garland signent un récit initiatique étonnamment tendre et profondément touchant sur l’amour, la perte et la quête de liens dans un monde brutal. Et avec l’une des fins les plus intrigantes et véritablement déjantées de l’année, 28 Years Later vous laissera sans doute impatient pour le volet de l’an prochain, The Bone Temple. TF
16) Superman
Dire que Superman est le meilleur blockbuster de l’année revient peut‑être à lui adresser un maigre compliment, au vu d’une concurrence décevante Mission: Impossible – The Final Reckoning, F1, Jurassic World Rebirth et Avatar: Fire And Ash. Il n’empêche : il mérite amplement ce titre, car ce reboot n’a pas peur d’être drôle, exubérant et un brin loufoque, des éléments évacués des tentatives plombées et sinistres de Zack Snyder autour du Dernier Fils de Krypton. James Gunn embrasse l’esprit des comic books d’antan, volontiers kitsch, et nous offre un Superman (David Corenswet, parfaitement casté) pour lequel on a envie de vibrer. Il glisse même un commentaire social surprenant sur la cancel culture et les conflits géopolitiques, et ajoute Krypto, qui vole la vedette, pour couronner le tout. Cette aventure au rythme soutenu est peut‑être surchargée, mais elle sait à quel point les jeunes chiens peuvent être têtus et qu’un extraterrestre humaniste pour qui « la gentillesse est punk rock » est exactement ce qu’il faut pour contrer la fatigue super‑héroïque. Et la rhétorique haineuse autour de l’immigration. DM
15) Die My Love
Même si l’essentiel se déroule dans une ferme isolée aux États‑Unis, entourée de bois, Die My Love paraît d’une claustrophobie étonnante, comme une fumée qui envahit et étouffe lentement une pièce. Si cela ne semble pas agréable, c’est parce que ça ne l’est pas : le cinquième long métrage de Lynne Ramsay n’a rien d’un film facile, mais c’est une œuvre d’une puissance extrême. Porté par des images animales frappantes et une performance magistrale de Jennifer Lawrence, il explore la descente aux enfers d’une jeune femme après l’arrivée d’un bébé. Comme dans les autres œuvres de Ramsay, dont You Were Never Really Here et Morvern Callar, le trauma se manifeste par des visuels viscéraux et poétiques qui mijotent et bouillonnent à l’écran, à la fois captivants et horrifiants. À la différence de Nightbitch (2024), c’est un film qui ose pousser ses thèmes dérangeants jusqu’à leurs limites, posant un portrait hurlant, sanguin et incandescent du tumulte féminin qui s’inscrit aux côtés d’A Woman Under The Influence de John Cassavetes et de Possession d’Andrzej Żuławski. AB
14) April
April, de la réalisatrice géorgienne primée Dea Kulumbegashvili, est un film dont la plupart des gens n’ont probablement jamais entendu parler, et encore moins vu. Présenté à la Mostra de Venise en 2024, il n’est sorti que dans quelques salles cette année. Il requiert aussi un public très particulier, prêt à se soumettre à 134 minutes d’images éprouvantes et de surréalisme sinueux, pour une des expériences les plus audacieuses et bouleversantes du cinéma contemporain. Portrait d’une gynécologue‑obstétricienne tourmentée, Nina (Ia Sukhitashvili), qui pratique la nuit des avortements illégaux dans la Géorgie rurale, il jette un regard froid et clinique sur les stigmates sociaux, la déshumanisation des corps des femmes et les systèmes cruels conçus pour nous faire échouer. Solide dans sa recherche et inébranlable dans son examen, la vision audacieuse et expérimentale de Kulumbegashvili embrasse ce à quoi le cinéma mainstream paraît de plus en plus allergique : l’inconfort. AB
13) Ainda Estou Aqui (I’m Still Here)
I’m Still Here de Walter Salles est un coup de poing au plexus : viscéral, dévastateur et impossible à oublier. Fernanda Torres livre une performance extraordinaire dans le rôle d’Eunice Paiva, mère au foyer contrainte de se réinventer en militante lorsque son mari, l’ancien député Rubens, est enlevé pendant la dictature militaire des années 1970 au Brésil. L’ouverture du film prend son temps pour nous immerger dans la chaleur de la vie familiale, les rires, les livres, le volley de plage et les joies de Rio, avant que l’ombre de la violence politique et de l’incertitude ne s’insinue. Avec l’usage du Super‑16 et du 35 mm, et une bande‑son mêlant Tropicália et une partition envoûtante de Warren Ellis, I’m Still Here parvient à saisir une douleur à la fois intime et universelle : la douleur de ne pas savoir, le deuil qui ne se résout jamais complètement. Mais c’est aussi un film sur la mémoire, celle de nos proches, des moments qui ont rendu la vie pleine, et des tragédies historiques que nous devons affronter de peur qu’elles ne se répètent. À l’heure de la désinformation, de l’autoritarisme croissant et des persécutions répétées des minorités, c’est un visionnage urgent, obsédant et indispensable. TF
12) Frankenstein
Pour Guillermo del Toro, tout a commencé avec Frankenstein. Une diffusion télévisée fortuite de la version de 1931 de James Whale avec Boris Karloff, pour être précis. Depuis, le cinéaste mexicain est fasciné par les récits de monstres incompris, façonnant une filmographie de joyaux baignés de gothique comme Crimson Peak et Le Labyrinthe de Pan. Aujourd’hui, il signe enfin sa propre version du roman classique de Mary Shelley, et, contrairement à la créature, elle est loin d’être hideuse. En vérité, chaque plan donne l’impression d’entrer dans un tableau, le chef opérateur Dan Laustsen faisant nager les scènes dans une potion de couleurs profondes et de lumières comme brossées. Les décors et les costumes atteignent un niveau d’artisanat et de détail qu’on voit rarement à l’ère du CGI ; tout, du collier scarabée irisé de Lady Elizabeth (Mia Goth) au navire d’expédition arctique construit à l’échelle. Si le récit lui‑même adopte sans doute une approche trop littérale du matériau d’origine, il reste un enchantement qui déborde de cœur. « En cherchant la vie, j’ai créé la mort », se lamente Victor Frankenstein. En cherchant à accomplir ses ambitions créatives, del Toro a créé une œuvre qui enflammera d’innombrables imaginaires, comme une version de l’histoire l’a fait jadis pour lui. AB
11) Bugonia
Après l’avoir entraînée dans une querelle de baronnes (The Favourite), une fable fantastique (Poor Things) et un triptyque sous‑estimé et dément (Kinds Of Kindness), Yórgos Lánthimos fait d’Emma Stone un objet de suspicion cosmique dans son premier remake, celui du réalisateur sud‑coréen Jang Joon-hwan en 2003, la comédie horrifique Save The Green Planet!. Elle incarne Michelle, une PDG puissante de la pharma qui se fait kidnapper par deux complotistes (Jesse Plemons et Aidan Delbis) qui ont doomscrollé jusqu’à croire qu’elle est une extraterrestre. Et ils veulent une confession. C’est un huis clos de science‑fiction tendu et sombrement drôle qui se révèle comme une satire d’une actualité troublante du psychisme américain contemporain et une accusation plus large de notre époque. Si la chute peut être attendue, surtout pour ceux qui ont vu l’original, le dernier acte, grotesque et d’une mélancolie impressionnante, fait de Bugonia la comédie qui met mal à l’aise de 2025. Mise en garde : les platistes pourraient se sentir confortés. DM
10) O Último Azul (The Blue Trail)
La dystopie brésilienne de Gabriel Mascaro O último azul (The Blue Trail) se hisse aux côtés de I’m Still Here de Walter Salles et de The Secret Agent de Kleber Mendonça Filho (on en reparle l’an prochain) parmi les plus belles exportations du cinéma brésilien en 2025. Elle met en scène Denise Weinberg dans le rôle de Tereza, une femme âgée qui défie un gouvernement en apparence bienveillant ayant décrété que les plus de 75 ans doivent être envoyés dans un centre d’hébergement isolé appelé la Colonie. Plutôt que de forcer la note orwellienne (le volet de contrôle de la population imposé par le régime autoritaire aurait pu virer au Soylent Green pur), le réalisateur compose un road‑movie imprévisible qui fait aussi parabole contre l’âgisme. Aussi touchant dans sa poésie surréelle que provocant en fable d’alerte sur la marginalisation des personnes âgées, The Blue Trail est un cri d’alarme à la fois opportun et intemporel. DM
9) Ṣawt Hind Rajab (The Voice of Hind Rajab)
Le 29 janvier 2024, la petite Hind Rajab, cinq ans, a passé un appel de détresse aux services d’urgence palestiniens. La jeune Palestinienne était coincée dans une voiture avec les corps de ses proches, seule survivante d’une attaque israélienne à Gaza. Elle suppliait qu’on vienne l’aider alors que les chars des forces de défense israéliennes se rapprochaient, et que les bénévoles du Croissant‑Rouge palestinien tentaient de la calmer et d’envoyer une ambulance sur place. À l’instar de son film nommé aux Oscars Four Daughters, la cinéaste tunisienne Kaouther Ben Hania mêle documentaire et reconstitutions dramatiques ; elle utilise les enregistrements audio réels de l’appel d’Hind Rajab et dramatise la réponse des secouristes. Nous entendons la cruauté des faits et voyons une version fictionnalisée de la tentative de sauvetage. Qui a échoué, comme l’ont confirmé et documenté le Washington Post et l’Euro‑Mediterranean Human Rights Monitor : l’IDF a criblé la voiture de 355 balles et tué deux ambulanciers qui venaient au secours de la fillette. Révoltant et urgent tant sur le fond que sur la forme, The Voice of Hind Rajab a remporté le Lion d’argent à Venise cette année, et à juste titre. Malgré quelques fausses notes mineures dans la manière de gérer certains temps émotionnels, c’est un docudrame qui non seulement montre les conséquences d’une campagne génocidaire, mais se dresse aussi comme une élégie dévastatrice pour une enfant innocente à qui l’on a volé son droit de vivre. DM
8) Weapons
Une icône du cinéma est née cette année sous les traits de tante Gladys : la sorcière casseuse de brindilles du conte tordu de Zach Cregger. Incarnée avec un brio excentrique par Amy Madigan, sa perruque rouge, son rouge à lèvres bavé et ses dents édentées sont entrés instantanément dans le canon des monstres légendaires. Mais au‑delà des costumes d’Halloween et des parodies TikTok qu’il a inspirés, Weapons est l’un des films d’horreur les plus affûtés, les plus sombres et les plus funs vus depuis longtemps. Ce qui commence comme un mystère de petite ville autour de 17 enfants qui disparaissent soudainement en une nuit se déroule en une fable surnaturelle tonitruante qui déjoue toutes les attentes. Riche en images hantées, allégories politiques et absurdités comiques, Cregger manipule magistralement les tonalités au sein d’une structure en trois actes pour susciter des ahurissements à chaque tournant. Plus encore, c’est un film dans lequel vous trouverez de nouveaux sens à chaque visionnage ; des théories qui vous maintiennent éveillé à 2 h 17 avec un bonnet de douche sur la tête (au cas où quelqu’un viendrait s’infiltrer pour vous couper quelques mèches). AB
7) The Brutalist
The Brutalist est un long film : trois heures et demie, avec une entracte bienvenue, mais le réalisateur Brady Corbet fait compter chaque minute. Adrien Brody signe une performance qui définit une carrière (et récompensée aux Oscars) dans le rôle de Laszlo, architecte juif qui survit à la Shoah et s’installe en Amérique d’après‑guerre, espérant repartir de zéro avec son épouse Erzsebet (Felicity Jones). Ce qui commence comme une histoire d’immigration et de réinvention devient une vaste exploration du trauma, de l’ambition et des forces invisibles qui façonnent nos vies. Laszlo affronte à la fois des obstacles systémiques et des trahisons profondément personnelles, du client ombrageux Harrison Lee Van Buren (Guy Pearce) aux multiples défis de construire une carrière sans renier ses valeurs. Une photographie éblouissante et un design de production moderniste, une partition tonitruante de Daniel Blumberg, et des seconds rôles affûtés hissent The Brutalist vers quelque chose de monumental. Exigeant émotionnellement et éprouvant pour la vessie, oui, mais profondément gratifiant, et l’un des films les plus ambitieux depuis des années. TF
6) Sinners
Comme le prouve le reste de cette liste, l’année a été excellente pour l’horreur. Au point que certains de nos choix horrifiques à mi‑parcours, comme Bring Her Back, Together et Presence, n’ont pas été retenus dans notre bilan de fin d’année. Mais rien n’a laissé une empreinte aussi grande que Ryan Coogler Sinners. Récit de deux frères jumeaux (tous deux interprétés par Michael B. Jordan) qui utilisent leur argent de la mafia pour ouvrir un juke‑joint dans leur ville natale du Mississippi à l’époque des lois Jim Crow, le film se mue, subversivement, en cauchemar vampirique à combustion lente. Un mal attisé par les talents du jeune musicien Sammie (Miles Caton), dont le blues incandescent attire le suceur de sang Remmick (Jack O’Connell). Mélange novateur de contexte historique et de codes du genre, Sinners est non seulement une puissante allégorie de l’appropriation culturelle, mais aussi une catharsis étourdissante. Guidé par le rythme et la douleur, il brûle de l’intensité émotionnelle des gémissements d’une corde de guitare ; il vous injecte sa furie sous votre peau comme une bouche pourvue de crocs. Le cinéma ne devient pas plus exaltant que ça ! AB
5) Nickel Boys
Le Nickel Boys de RaMell Ross est l’un des films les plus ambitieux et les plus dévastateurs émotionnellement de ces dernières années, une refondation audacieuse de ce que le cinéma historique peut donner à voir et à ressentir. S’inspirant du roman lauréat du Pulitzer de Colson Whitehead et des abus bien réels à la Dozier School for Boys en Floride, il raconte l’histoire d’Elwood (Ethan Herisse) et Turner (Brandon Wilson), deux adolescents afro‑américains pris au piège d’une maison de correction violente à l’époque des lois Jim Crow. Ross, en collaboration avec le chef opérateur Jomo Fray, filme principalement à la première personne, abolissant la distance entre spectateur et sujet et nous forçant à éprouver la peur, la confusion et les instants fugaces d’espoir des garçons à travers leurs propres yeux. Et plutôt que de s’appuyer sur une violence graphique, Ross laisse l’atmosphère, la mémoire et l’absence faire le travail, rendant les horreurs d’autant plus réelles. Porté par des performances puissantes, une brillante partition ambient et un design sonore soigné, Nickel Boys est à voir absolument, du genre à rester en vous longtemps après le générique. TF
4) It Was Just An Accident
Le premier film du cinéaste iranien dissident Jafar Panahi depuis sa libération de prison pour « endangering national security » a remporté la Palme d’or cette année. Et c’est mérité. It Was Just An Accident suit un groupe d’anciens prisonniers politiques qui cherchent à confirmer que l’homme que l’un d’eux a enlevé sur un coup de tête est bien le sadique qui les a torturés en prison. Librement inspiré par l’emprisonnement de Panahi par le gouvernement iranien et tourné en secret pour éviter la censure, ce huis clos est un chef‑d’œuvre riche en tonalités et en surprises. C’est un thriller captivant qui explore les conséquences de la torture, le prix de la vengeance et la possibilité de la clémence. Panahi insuffle aussi magistralement une comédie noire et même des éléments burlesques pour composer un road‑trip satirique qui critique la répression de la République islamique et fonctionne comme un commentaire intemporel sur les péchés du despotisme d’État. Il offre également la scène finale la plus ingénieuse et à couper le souffle de 2025 : un plan‑séquence qui utilise le son de façon dévastatrice. Après The Seed of the Sacred Fig et My Favourite Cake l’an dernier, It Was Just An Accident nous rappelle une fois de plus que le travail remarquable des cinéastes iraniens ne devrait pas être pris pour acquis par des publics qui ont le privilège de pouvoir voir des œuvres de créateurs qui risquent littéralement tout pour leur art. La preuve par l’exemple : Panahi pourrait être à nouveau emprisonné pour avoir tourné ce film même. On espère le voir aux Oscars l’an prochain, son film représentant la France. Croisons les doigts pour une victoire. DM
3) Sorda (Deaf)
Sorda (Deaf) est le deuxième long métrage d’une beauté à vous couper le souffle de la cinéaste espagnole Eva Libertad. Il raconte l’histoire d’un couple composé d’une femme sourde, Ángela (Miriam Garlo), et de son partenaire entendant, Héctor (Álvaro Cervantes). Ils attendent un enfant et ignorent si le bébé sera sourd ou entendant. Chaque éventualité pourrait les affecter en tant que couple, en tant que futurs parents, et en tant qu’individus qui souhaitent partager leur vision du monde. Deaf traite de la parentalité et des épreuves de la maternité, et se distingue par sa manière de dépeindre l’amour. En prenant le temps de nous présenter un couple aimant et un réseau d’amis qui les soutient, Libertad s’assure que le public est entièrement investi dans le bien‑être de ses protagonistes. Son film affronte avec magnificence des émotions complexes et l’isolement qui découle des discriminations institutionnelles. Surtout, il rend justice à une communauté spécifique tout en parvenant à rendre universels ses thèmes sur l’importance de la communication et la recherche de sa communauté. C’est l’un de ces rares films qui parvient à vous remplir le cœur, à le briser puis à le recoller, le tout sans verser dans le mélodrame. Un triomphe. DM
2) Sirāt
Paysages désertiques, fêtards couverts de poussière, et un père et son fils en quête de leur fille et sœur disparue tandis que le monde autour d’eux s’effondre. Le film d’Óliver Laxe, lauréat du Prix du Jury à Cannes, vous change ; son surréalisme calciné vous embarque dans une odyssée spirituelle sombre et poétique. Il défie aussi toute explication cohérente, davantage une atmosphère visqueuse, nappée de techno, qui miroite et enfle de manière inattendue. Ce qui commence comme le voyage d’une famille avec un groupe de teufeurs anarchistes sombre rapidement en un cauchemar sans horizon, empli de tourments politiques et d’un deuil explosif. À une époque où l’avenir effraie plus que jamais, l’approche texturée de Laxe rappelle la mince ligne entre désir et désespoir ; la manière dont il faut parfois traverser l’un pour atteindre l’autre. Malgré ses horreurs (le dernier acte compte parmi les moments de cinéma les plus tendus qui soient), il y a un étrange optimisme au cœur de Sirāt : si nous pouvons continuer à avancer dans le chaos, l’espoir demeure. AB
1) One Battle After Another
Librement inspiré du roman contre‑culturel et postmoderne « Vineland » de Thomas Pynchon, le dixième long métrage de Paul Thomas Anderson répond à la question : « Et si l’on confiait à l’un des cinéastes les plus talentueux de sa génération un budget de blockbuster et qu’on le laissait filmer à fond une rencontre entre The Big Lebowski et Taken ? »
Centred sur un révolutionnaire dépenaillé (Leonardo DiCaprio) forcé de sortir de sa retraite lorsqu’un ancien ennemi (Sean Penn) menace sa fille (Chase Infiniti) afin de raviver une vieille rancune, One Battle After Another enthousiasme par son inclassabilité. C’est un thriller paranoïaque ; une aventure décalée de fumeur ; une farce satirique sur les structures de pouvoir, la radicalisation et l’idéal ; un regard contemporain sur l’Amérique divisée et ses excès suprémacistes ; un cri de ralliement intemporel contre le dogmatisme... Mais surtout, c’est l’histoire d’un père en peignoir qui a décidé de laisser tomber sa vocation révolutionnaire pour son enfant. Il passe une journée terrible et s’efforce de protéger sa fille adolescente de l’héritage de son passé, tentant de lui laisser un monde meilleur.
Le film déborde, mais jamais les rênes n’échappent à la maîtrise d’Anderson. Ses efforts sont galvanisés par un casting en très grande forme, Teyana Taylor et la nouvelle venue Chase Infiniti se distinguant, ainsi que par la partition remarquable de Jonny Greenwood.
Il est réconfortant de voir que certains studios acceptent encore d’accorder une vraie liberté créative et de financer un cinéma aussi audacieux et divertissant, qui, sur le papier, peut passer pour de la folie. Alors, Viva la Revolución, à bas les Christmas Adventurers, et place à la saison des prix. Nous parions que One Battle After Another va foncer vers la gloire aux Oscars, les votants reconnaissant que ce nouveau classique de PTA mérite toutes les statuettes. DM
Voilà.
Alors, comment nous en sortons‑nous, et avons‑nous oublié votre film préféré de l’année?
Peut‑être figure‑t‑il dans notre bilan de mi‑année, la liste Best Movies of 2025... So Far. Ou peut‑être était‑il dans notre Best Movies of 2024, les dates de sortie variant d’un territoire à l’autre.
Sinon, faites‑le nous savoir, et nous vous écouterons et, espérons‑le, nous nous amenderons. Évitez simplement de nous dire que Mission: Impossible - The Final Reckoning était un triomphe clôturant la franchise ou que The Phoenician Scheme était au niveau des meilleurs de Wes Anderson. Nous vous rirons au nez.
Retrouvez le reste de la série Best Of 2025 d’Euronews Culture, avec nos Meilleurs albums de l’année, les tendances majeures de 2025 et les expositions qui ont marqué notre année.