Les pêcheurs européens, une espèce en voie d'extinction ?

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Par Denis Loctier
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De nombreuses entreprises familiales de pêche cessent leur activité au moment du départ à la retraite de leur dirigeant faute de successeur. En Finlande et Belgique, des initiatives sont menées pour inciter davantage de jeunes à rejoindre ce secteur.

Pendant des générations, la pêche a représenté un mode de vie traditionnel pour de nombreuses familles de Pellinki, une île de langue suédoise dans le sud de la Finlande. Mais aujourd'hui, le nombre de pêcheurs sombre : ils ne sont plus que quelques-uns.

La faute notamment à une pêche de moins en moins bonne du fait de la multiplication de certains prédateurs : les phoques et les cormorans causent des dégâts sur les filets et déciment les stocks de poisson.

Plus que 400 professionnels en Finlande

Cette incertitude sur la quantité de captures menace la survie économique des entreprises familiales. Pour autant, une jeune femme fait figure d'exception. Marie Kellgren, 27 ans, travaille à plein temps dans la pêche depuis 4 ou 5 ans.

"On n'est pas nombreux, nous, les jeunes pêcheurs," constate-t-elle. "Je crois que c'est parce que c'est un travail qui est dur physiquement et on ne sait pas combien d'années on pourra le faire, c'est un grand risque de se lancer," reconnaît-elle.

La plupart des enfants de pêcheurs font un choix plus prudent : ils quittent leur foyer pour faire des études dans un autre domaine. Et quand leurs parents atteignent l'âge de la retraite, les petites entreprises de pêche qui sont typiques en Finlande cessent leur activité. À l'échelle du pays, le nombre de pêcheurs professionnels a chuté au cours des dernières décennies pour passer de 1800 en 1980 à 400 en 2018.

Programme d'apprentissage

"Je n'étais pas censée travailler dans la pêche : j'ai aussi étudié le tourisme à Helsinki et en même temps, j'ai fait le programme "Maître-Apprenti" à la maison avec mon père," explique Marie Kellgren.

Grâce à ce programme soutenu par l'Union européenne, Marie a touché une petite aide financière qui lui a permis de travailler pendant un an au sein de l'entreprise de son père sans représenter pour elle, un coût supplémentaire. Aujourd'hui, la jeune femme exerce ce métier et perpétue l'activité familiale.

Viking Kellgren, son père, nous précise : "Mon père est pêcheur, son père était pêcheur tout comme son père avant lui ; donc Marie, c'est la cinquième génération de la famille à pêcher ici."

Le programme d'apprentissage comportait un enseignement théorique et 800 heures de pratique. "J'ai appris à pêcher avec des filets et des nasses, à prendre soin des poissons qu'on attrape et à les préparer - les saler, les fumer, les fumer à froid -, à préparer des beignets de poisson ; mais j'ai appris aussi le marketing et toutes les autres choses comme le paiement des factures," énumère Marie Kellgren.

Le financement du programme "Maître-Apprenti" a été principalement assuré par le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) qui soutient le renouvellement des générations dans ce secteur d'activité en Europe.

L'idée de ce programme est venue des pêcheurs locaux eux-mêmes lorsqu'une autre femme Tanja Åkerfelt a eu du mal à rejoindre cette profession.

"Mon père pensait que ce n'était pas une bonne voie pour moi : il disait : "Non, non, non, tu ne devrais pas faire ça !" raconte-t-elle. "À ce moment-là," poursuit-elle, "je suis allée voir d'autres pêcheurs et on a réfléchi sur la manière dont on pouvait faciliter l'entrée dans la profession et puis on s'est adressé à Esko et ensemble, on a eu cette idée."

"Dans à peine 5 ou 6 ans, les pêcheurs auront totalement disparu"

Esko Taanila s'occupe d'un partenariat entre les acteurs privés et publics du secteur local de la pêche connu sous l'acronyme FLAG pour Groupe d'action des pêcheries locales. Il a veillé à simplifier les formalités quand il a conçu le contrat formel entre le maître et son apprenti et le programme de formation.

Former un pêcheur coûte environ 6000 euros. Mais pour Esko Taanila, ce programme représente une manière peu onéreuse de soutenir la pêche professionnelle, la seule activité économique locale à se maintenir tout au long de l'année. Il a pour objectif de ralentir le vieillissement et le déclin de la population de pêcheurs dans le sud de la Finlande, mais ne permettra pas d'inverser la tendance.

"Pour dix pêcheurs qui cessent leur activité, nous n'avons en général qu'un ou deux jeunes qui veulent se lancer dans ce métier," indique Esko Taanila.

Ce programme existe depuis trois ans. Sur les quinze apprentis déjà formés, douze ont rejoint la profession. Un taux de réussite élevé, mais avec le problème de plus en plus important que représentent les phoques et les incertitudes sur l'avenir des stocks de poisson, ces efforts pourraient ne pas suffire.

"Nous avons besoin de nouveaux pêcheurs parce qu'aujourd'hui, la moyenne d'âge dans la profession est de 60 ans ; donc si on ne fait rien, dans à peine 5 ou 6 ans, ils auront totalement disparu," fait remarquer le directeur du groupe d'action des pêcheries locales. "C'est très important de maintenir la pêche vivante dans nos régions côtières : sans elle, ce serait la mort économique, ce serait dramatique," insiste-t-il.

Un navire-école en Belgique

Beaucoup plus au sud, au large du port d'Ostende en Belgique, le secteur de la pêche se mobilise aussi pour passer le flambeau aux plus jeunes.

Ce jour-là, des élèves de l'école maritime locale fendent les flots de la mer du Nord avec leur bateau d'entraînement, un chalutier à perche. Ce navire construit en 1967 a été récemment rénové grâce à une aide financière européenne, améliorant ainsi son niveau de sécurité et de confort.

La formation pratique est essentielle pour ces jeunes qui en général, n'ont aucune expérience dans la pêche, ni la mer dans le sang.

"Il y en a peut-être 20% qui viennent de familles de pêcheurs et 80% qui n'y connaissent absolument rien ; ils viennent de grandes villes comme Anvers et Bruxelles, donc rien à voir avec la mer," indique Bart DeWaegenare, enseignant du Maritiem Instituut Mercator qui utilise ce bateau.

"C'est important d'avoir un bateau-école pour qu'ils puissent voir ce que c'est et savoir s'ils veulent en faire leur métier plus tard," renchérit-il.

La moitié de l'année scolaire en mer

Les élèves effectuent des sorties de pêche de huit heures dès l'âge de douze ans.

À seize ans, ils passent la moitié de leur année scolaire à s'entraîner en mer.

En plus des compétences liées à la pêche, ils apprennent la navigation et la mécanique. La plupart comptent travailler dans le secteur maritime, mais pas nécessairement dans les pêcheries où le travail est dur et le risque d'accident, élevé.

"Tu dois apprendre à conduire le bateau tout seul, tu dois te réveiller la nuit pour réparer les filets et tout : c'est dur !" lance Sami Tebbouche, élève du Maritiem Instituut Mercator.

Dans la pêche, les salaires peuvent être très élevés ou faibles, selon la quantité des captures.

"On ne peut pas prévoir combien on gagnera : c'est pour ça que beaucoup de gens hésitent à devenir pêcheurs et aussi parce que c'est un travail difficile," estime Seppe DeKinder, un autre élève. "Il y en a aussi qui ont une famille et ils ne veulent pas tout laisser derrière eux," ajoute-t-il.

"C'est très difficile de motiver les jeunes !"

Avec ses 66 km de côtes et sa soixantaine de bateaux dédiés à cette activité, la Belgique n'est pas un grand pays de pêche.

Mais dans sa province côtière de Flandre occidentale, elle représente un secteur traditionnel.

Dans les années 80, cinq écoles professionnelles formaient 300 élèves chaque année. Aujourd'hui, un seul établissement subsiste avec seulement 40 élèves.

Les enseignants indiquent qu'à notre époque, malgré des salaires plus élevés et de meilleures conditions qu'autrefois, ces emplois ne sont pas assez attirants pour les jeunes.

"Avant, quand ils passaient par exemple deux semaines en mer, trois jours au port et que sur ces trois jours, ils devaient travailler deux jours, cela ne leur posait aucun problème," se souvient Jackie Scherrens, directeur du Maritiem Instituut Mercator. "Aujourd'hui," poursuit-il, "quand ils passent huit jours en mer, quatre jours au port et à y travailler un ou deux jours, ils ne sont pas d'accord ! Donc c'est très difficile de motiver des jeunes pour qu'ils se lancent dans la profession !"

Au-delà des formations pratiques qui aident à mieux connaître la réalité du monde de la pêche, la mise en service prochaine de six nouveaux bateaux de pêche belges pourrait susciter un regain d'intérêt pour ces métiers auprès des plus jeunes.

Journaliste • Denis Loctier

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