"Polluants éternels" : alerte aux PFAS à Lyon, des niveaux inquiétants dans l'eau potable

Des niveaux potentiellement toxiques de produits chimiques PFAS ont été détectés dans l'eau du robinet près de Lyon, la troisième plus grande ville de France.
Des niveaux potentiellement toxiques de produits chimiques PFAS ont été détectés dans l'eau du robinet près de Lyon, la troisième plus grande ville de France. Tous droits réservés Canva
Par Natalie HuetVincent Coste
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Une enquête lancée par des journalistes a mis en lumière une pollution aux perfluorés dans une zone où sont implantées de nombreuses industries chimiques au sud de l'agglomération lyonnaise. Des taux bien supérieurs aux normes européennes ont été détectés dans l'air, les sols et le lait maternel.

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Ils ont été baptisés "polluants éternels". Ces substances connues pour leur incroyable persistance dans l'environnement se retrouvent pratiquement partout dans notre quotidien, de nos vêtements à nos cosmétiques en passant par nos emballages alimentaires.

Mais pour environ 200 000 personnes vivant au sud de la ville française de Lyon, des niveaux potentiellement toxiques de ces composés ont été mis en évidence dans l'air, l'eau potable, dans les sols de potagers et même dans le lait maternel.

Une enquête des journalistes de "Vert de rage", réalisée en partenariat avec les équipes de l'émission "Envoyé spécial", diffusée sur la chaîne France 2 a en effet révélé des niveaux alarmants de substances dites PFAS (pour perfluorés ou per- et polyfluoroalkyles), dans l'air, le sol et l'eau entourant deux usines chimiques au sud de Lyon, troisième ville de France.

Ces résultats ont suscité des appels aux autorités pour qu'elles enquêtent sur la contamination et prennent des mesures drastiques à l'encontre de cette catégorie entière de produits chimiques synthétiques, utilisés depuis des décennies dans un large éventail d'industries pour rendre les revêtements et les produits résistants à la chaleur, à l'eau ou aux taches.

Quels sont les effets des "polluants éternels" sur notre santé ?

Les substances PFAS sont surnommées "polluants éternels" parce qu'elles ne se décomposent pas naturellement et s'accumulent au contraire chez l'Homme et dans l'environnement au fil du temps.

Elles contiennent des liaisons carbone-fluor, qui comptent parmi les liaisons chimiques les plus fortes de la chimie organique. Cela signifie qu'elles résistent à la dégradation lors de leur utilisation, ainsi que dans l'environnement.

La plupart des PFAS sont également facilement transportées loin de la source de leur rejet, dans l'air et dans l'eau.

Il n'existe pas vraiment de niveau de sécurité pour les PFAS. Ce sont des produits chimiques industriels. Ils n'ont rien à faire dans notre corps.
Jamie DeWitt
Professeur de pharmacologie et de toxicologie, East Carolina University

"Ce sont des toxiques chroniques et systémiques. Et ce que cela signifie, c'est qu'ils produisent des maladies qui ont tendance à ne pas se manifester jusqu'à ce que nous vieillissions un peu", nous explique Jamie DeWitt, professeure de pharmacologie et de toxicologie à l'East Carolina, aux Etats-Unis, que nous avons interrogée pour Euronews Next. 

Selon cette dernière, une exposition à des niveaux élevés de PFAS peut entrainer une baisse de l'immunité, une perturbation hormonale, un dysfonctionnement de la thyroïde, un niveau élevé de cholestérol et d'autres problèmes de santé graves, notamment un risque accru de certains types de cancer.

Concernant spécifiquement les cancers, ceux qui semblent les plus étroitement liés à une exposition aux PFAS sont "le cancer du rein et le cancer des testicules. Mais certaines études ont fait état d'une augmentation des cancers du sein, de la prostate et de la vessie", indique la professeure Jamie DeWitt.

"Les données sont-elles suffisamment solides pour soutenir un lien de causalité de ces maladies chez l'homme ? Cette question fait actuellement l'objet d'un débat au sein de la communauté scientifique. Mais je pense que ceux d'entre nous qui étudient les PFAS sont assez convaincus que (...) les liens entre l'exposition et ces effets sur la santé sont assez forts et assez convaincants" assure-t-elle.  

"J'ai l'habitude de dire qu'il n'y a vraiment pas de niveau sûr de PFAS", ajouté la scientifique étatsunienne. Et de conclure : "Ce sont des produits chimiques industriels. Ils n'ont rien à faire dans notre corps".

Jake May/The Flint Journal via AP
Archives : écume formée par une accumulation de PFAS observée dans le barrage de Van Etten Creek, au Michigan en 2018Jake May/The Flint Journal via AP

Les enfants et les bébés les plus exposés aux risques

Les experts avec lesquels Euronews Next s'est entretenu ont déclaré que l'impact le plus évident des PFAS à ce jour sur la santé concerne le système immunitaire.

Aujourd'hui, "nous voyons chez les enfants qu'ils ne répondent pas aussi bien aux vaccinations. Nous constatons également qu'ils contractent plus fréquemment des maladies infectieuses dans la petite enfance", avance ainsi Philippe Grandjean, professeur de santé environnementale à la Harvard TH Chan School of Public Health.

"Nous punissons essentiellement la prochaine génération pour notre erreur d'utiliser ces substances sans restrictions"
Philippe Grandjean
Professeur de santé environnementale, Harvard TH Chan School of Public Health

Les enfants à naître et les bébés sont particulièrement vulnérables, a-t-il également déclaré, car les PFAS passent du placenta dans le sang du fœtus en développement et se trouvent également à des concentrations encore plus élevées dans le lait maternel.

"La mère partage son fardeau de PFAS avec la prochaine génération", poursuit Philippe Grandjean.

"Nous punissons essentiellement la prochaine génération pour notre erreur d'utiliser ces composés sans restrictions et de contaminer abondamment l'environnement" indique-t-il également.

Jamie DeWitt avance que le rapport bénéfice/risque semblait jusqu'à présent en faveur de l'allaitement maternel même si les mères sont exposées à la contamination par les PFAS. Mais elle a reconnu que c'était en grande partie parce que les données sur le sujet étaient rares.

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"Ce que nous comprenons de ces risques est bien inférieur à ce que nous comprenons des avantages de l'allaitement", explique-t-elle ainsi. "Nous savons que l'allaitement est très, très bénéfique pour les bébés et nous en savons moins sur les risques de transfert de PFAS aux bébés", ajoute-t-elle.

Que est le degré de pollution aux PFAS à Lyon ?

Pour leur reportage, les équipes de l'émission " Vert de Rage" ont prélevé des échantillons d'air, de sol, d'eau de rivière et d'eau potable à proximité de deux usines chimiques à Pierre-Bénite, une ville industrielle au bord du Rhône juste au sud de Lyon.

Des collectes d'échantillons de lait maternel ont été également réalisés auprès de 13 mères volontaires de la région.

Les journalistes de "Vert de rage" ont découvert que les niveaux de PFAS dans les échantillons prélevés dans le Rhône en aval des usines étaient plus de 36 000 fois supérieurs à ceux trouvés à 2,5 km en amont des usines.

Les niveaux de PFAS détectés dans les échantillons d'eau du robinet ont également largement dépassé les seuils fixés par une législation européenne qui doit entrer en vigueur d'ici 2026, soit de plus de 200 ng/l, contre une limite de 100 ng/l. Cette eau potable alimente les robinets de quelques 200 000 personnes au sud de Lyon.

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"Je suis particulièrement inquiet de la contamination de l'eau du robinet ici", a déclaré Jacob de Boer, professeur de chimie et toxicologie environnementale à la Vrije Universiteit Amsterdam et expert en PFAS, qui a commenté les résultats lors d'une présentation publique à Lyon mardi 10 mai.

Phillipe Grandjean, qui n'a pas participé à l'étude, nous a déclaré que les taux mis en évidence sont "un énorme excès". Il a ajouté que le seuil de sécurité actuellement en vigueur au Danemark pour les substances PFAS dans l'eau potable était de 2 ng/l. Aux États-Unis, l'Environmental Protection Agency a fixé une limite recommandée de 70 ng/l.

"De toute évidence, si nous parlons de niveaux supérieurs à 100 ng/l, cela signifie que l'utilisation publique de cette eau doit être arrêtée immédiatement", a prévenu Jacob de Boer. Les niveaux de PFAS trouvés dans le lait maternel étaient également nettement supérieurs aux niveaux jugés acceptables par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), a-t-il ajouté.

L'association de défense de l'environnement "Générations Futures", qui avait eu en avant première les résultats des analyses des échantillons prélevés, appelle au niveau local "à la fermeture au public de certaines zones contaminées, décontamination de l’eau potable" et au plan national, en France, à la mise en place d'un "plan d’action pour une sortie rapide des PFAS". Enfin, l'association demande à Paris, au niveau de l'Union européenne de "porter l’interdiction de l’usage de la famille entière des PFAS dans le cadre de la réglementation REACH le plus rapidement possible". 

Que disent les entreprises et les autorités ?

Les deux usines dont il est question dans le reportage de "Vert de Rage" sont implantées dans la "Vallée de la Chimie", une zone où sont installées une concentration d'industries chimiques sur une dizaine de kilomètres au sud de Lyon. Une bonne part de ces établissements sont classés Seveso seuil haut, comme dans le cas de l'usine Arkema, l'un des deux sites pointés du doigt.

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Arkema, installée sur la commune de Pierre-Bénite, a déclaré à Euronews Next qu'elle ne produisait pas de perfluorés, mais qu'elle utilisait "de manière limitée" un seul additif fluoré - le 6:2 FTS, appartenant aux PFAS. 

Les responsables de l'usine nous ont assuré que le site, qui produit notamment des "fluoropolymères extrêmement résistants" respecte toutes les réglementations en vigueur en matière de déchets industriels et est régulièrement inspecté par les autorités.

Interrogé par nos confrères de "Tout Lyon", le directeur de l'usine s'est dit "profondément désolé par ce qui se passe" ajoutant que "nous ferons le nécessaire auprès des riverains". Pierre Clousier a également indiqué "Il est difficile de se positionner. Nous n'avons pas eu accès à l'étude complète".

Les services de l'autre usine mise en cause, celle de Daikin Chemical Europe ont confirmé utiliser de l'acide perfluorohexanoïque (PFHxA), appartenant à la famille des PFAS, sur son site de Pierre-Bénite, qui produit des fluoroélastomères, principalement pour l'industrie automobile. Ils nous ont également indiqué avoir utilisé, dans le passé, un autre composé perfluoré, l’acide perfluorooctanoique (PFOA), ajoutant que ce dernier n'était plus utilisé "depuis août 2008" par Daikin à Pierre-Bénite. Enfin, les services de l'usine ont précisé avoir fait des "investissements substantiels pour réduire ses émissions" et que "99% de l’additif contenu dans ses eaux issues du procédé de production après traitement" était capté par l'usine. 

La préfecture du Rhône, qui représente l'État français dans le département, nous a assuré le 10 mai, dans un communiqué de presse, que si les services gouvernementaux inspectaient déjà régulièrement les usines d'Arkema et Daikin à Pierre-Bénite, les "rejets de perfluorés" vont "prochainement" faire l'objet d'une "surveillance approfondie". La Préfecture indique également que les services de l'Etat (ministère de la Transition écologique, etc.) "vont engager un travail plus général sur les pollutions liées aux PFAS, afin de préciser l'état des lieux, de mieux comprendre et combattre ces pollutions". 

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Dans un autre communiqué, daté du 13 mai, les services de la Préfecture du Rhône ont confirmé des données mises en lumière par le reportage de "Vert de Rage", qui indiquent que "les concentrations en 6:2 FTS (acide-2-perfluorhexylethane-1-sulfonique, qui est le principal PFAS utilisé par l’exploitant) dans les rejets aqueux du site Arkema sont du même ordre de grandeur que celles présentées par l’enquête journalistique", ajoutant, toutefois, que l'organisme public en charge de ces contrôles (la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement, DREAL) "ne dispose pas de la méthodologie détaillée utilisée lors de cette enquête, qui mérite d’être expertisée".

Mercredi dernier, le 11 mai, la ministre française de l'Environnement, Barbara Pompili, a indiqué qu'un nouvel arrêté avait été publié, élargissant la liste des polluants à surveiller dans les eaux de surface et souterraines à l'échelle nationale. Cette liste comprend désormais une centaine de substances chimiques supplémentaires, dont certains PFAS (PFHxA0,PFHpA, PFOA, etc.).

Une interdiction des PFAS en question au niveau européen

En 2020, la Commission européenne s’était engagée dans "sa stratégie sur les produits chimiques" à éliminer progressivement l'utilisation de tous les PFAS dans l'Union européenne au cours des prochaines années, ajoutant néanmoins "sauf s'il est prouvé que leur utilisation est essentielle pour la société". Une nouvelle réglementation devrait intervenir d'ici à 2025. Cette question des PFAS fait l'objet de nombreux travaux au sein des institutions européens, à l'image d'un débat organisé au Parlement européen, le 16 mai.

Mais certains pays européens, jugeant insuffisante la réglementation concernant les risques sanitaires induits par l’utilisation des PFAS, tentent déjà de faire évoluer les textes actuellement en vigueur. Ainsi, les Pays-Bas, l'Allemagne, le Danemark, la Suède et la Norvège (non membre de l'UE) travaillent depuis 2020 sur un projet de restriction visant à limiter les risques pour l'environnement et la santé humaine liés à la fabrication et à l'utilisation de toutes les substances PFAS. Ce projet a été soumis à l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), avec l'objectif d'intégrer cette restriction à la réglementation REACH de l'UE, dont l'objectif est "sécuriser la fabrication et l’utilisation des substances chimiques dans l’industrie européenne".

Les pays européens vont-ils suivre l'exemple de l'Etat américain du Maine qui fut, en juillet 2021, la première autorité dans le monde à interdire l'usage des PFAS, en promulguant un texte qui devrait entrer en vigueur dès 2030 ?

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