14-18 : "l'Anneau de la Mémoire" réunit les ex-ennemis dans la mort

14-18 : "l'Anneau de la Mémoire" réunit les ex-ennemis dans la mort
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Par Joël Chatreau
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Cent ans, c’est peu au regard des plus de dix millions de soldats tués au cours de la Première Guerre mondiale. Les commémorations du centenaire ont permis de raviver notre devoir de mémoire tout au long de l’année. La journée particulière du 11 novembre, date de la signature de l’armistice, marque la fin de ces hommages par un point d’orgue. Pour la première fois, un mémorial rassemble dans la mort les anciens ennemis, sans distinction de nationalité, d’origine ou de religion. “L’Anneau de la Mémoire”, qui a été érigé tout près de la nécropole de Notre-Dame-de-Lorette, dans le département du Pas-de-Calais, a été inauguré ce mardi par le président français, François Hollande. Le monument, conçu par l’historien Yves Le Maner et l’architecte Philippe Prost, n’a surtout pas pour but de célébrer les vainqueurs mais au contraire de souligner la souffrance commune de toutes les victimes.

9 mai 1915, l’armée française part à l’assaut des collines de l’Artois, tenues par les troupes allemandes. Elle parvient à reprendre le plateau de Lorette mais ne peut s’emparer de la crête de Vimy. C’est dans la commune d’Ablain-Saint-Nazaire, là où se trouvait une chapelle consacrée à Notre-Dame-de-Lorette, qu’un cimetière est installé pour accueillir les dépouilles des soldats français. Après la guerre, le site sera choisi pour y construire la plus grande nécropole nationale. Des corps provenant d’environ 150 cimetières des fronts de l’Artois, de Flandre, de l’Yser et du littoral belge y seront regroupés, 20 000 identifiés et bénéficiant d’une sépulture individuelle, et près de 23 000 restés dans l’anonymat et disposés dans des ossuaires. Plus de 579 000 combattants de toutes nationalités sont tombés sur les 90 kilomètres de front du Nord-Pas-de-Calais entre 1914 et 1918.

Très exactement, 579 606 noms sont inscrits côte à côte sur “L’Anneau de la Mémoire” proche de la nécropole. Ils sont dans l’ordre alphabétique, soit dans la plus stricte égalité. Ce monument original, qui a un périmètre de 300 mètres et pèse 300 tonnes, est un immense bracelet constitué de 499 plaques métalliques qui reflètent la lumière. “Ce n’est pas morbide”, insiste d’ailleurs l’un de ses concepteurs, Yves Le Maner. “D’un seul regard, on a l’incarnation de la mort de masse, explique l’historien, mais on a aussi des individus qui ont existé. Tous ces gens avaient du talent, de l’intelligence perdus pour l’humanité”. Ce qui est exceptionnel, c’est que ce mémorial mêle les amis et les ennemis d’hier. En choisissant la forme d’un anneau, symbole de l’unité, l’architecte, Philippe Prost, a voulu montrer la fraternité d’aujourd’hui entre les pays qui étaient les belligérants de la Première Guerre mondiale.

Au total, une quarantaine de nationalités forment cette chaîne humaine posthume. Depuis 2011, il a fallu un travail de fourmi pour établir la longue liste, principalement grâce aux archives françaises, britanniques et allemandes. La région Nord-Pas-de-Calais a dû examiner les fiches des 1,4 million de soldats français morts afin d’en extraire les 106 012 tués sur le sol nordiste. La France a voulu n’oublier aucun nom de combattant de son ancien empire colonial, ni d’homme ayant rejoint la Légion étrangère (Suisses, Espagnols, Chiliens, Américains…). Le Royaume-Uni a dû pareillement rassembler tous les noms des militaires issus de son ex-empire et inhumés dans pas moins de 800 cimetières militaires du nord de la France. L’Allemagne a été limitée dans ses recherches à cause de la destruction d’une partie de ses archives pendant la Seconde Guerre mondiale, mais les prisonniers russes et roumains de son armée n’ont pas été oubliés.


Wilfred Owen

Ce 11 novembre, le président français, François Hollande, s’est attardé symboliquement devant les noms de trois soldats inscrits sur “l’Anneau de la Mémoire”, un Français, un Britannique et un Allemand. Le Français, Marcel Garrigues, serrurier, marié et père de trois enfants, et l’Allemand, Karl Schrag, fils de ramoneur, très jeune (22 ans), sont morts comme ils ont vécu, simples anonymes. En revanche, le Britannique, Wilfred Owen, était déjà considéré comme un grand poète lorsqu’il a été fauché quelques jours seulement avant l’armistice, le 4 novembre 1918. Entre son engagement sur le front de la Somme et son retour au combat lors de l’offensive des Cent Jours, il eut un moment de répit involontaire, blessé et hospitalisé en Ecosse, qui lui permit de composer certains de ses plus beaux poèmes, comme “Ode pour une jeunesse perdue”.

“L’Anneau de la Mémoire” permet justement de réfléchir également à ces étranges destins réunis désormais sur un peu plus de 2 hectares de terre française. Aux côtés du poète britannique Wilfred Owen se trouvent d’autres personnalités comme le champion cycliste luxembourgeois François Faber, l’alpiniste allemand Hans Dülfer, et plus extraordinaire, Joseph Standing Buffalo, qui n‘était autre que le petit-fils du célèbre chef indien sioux Sitting Bull.

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