Harcèlement sexuel : briser la loi du silence

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Par Euronews
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Les victimes de harcèlement sexuel au travail livrent souvent des témoignages accablants mais il est très difficile pour elles d’en parler.

Les victimes de harcèlement sexuel au travail livrent souvent des témoignages accablants mais il est très difficile pour elles d’en parler.

Elen Debost, membre d’EELV et adjointe au Maire du Mans raconte : “C’est des SMS qui ont duré sur plusieurs mois, qui étaient extrêmement explicites, d’incitation sexuelle très explicite que je ne souhaitais pas… je n‘étais pas intéréssée par ces échanges-là. Je l’ai dit à plusieurs reprises mais rien n’y faisait en fait”.

Le visage flouté, une autre victime se confie : “C‘était des menaces, c‘était des attouchements, c‘était m’embrasser, me toucher, me proposer de coucher avec lui”.

Et une troisième d’ajouter :
“Il m’a carrement proposé des relations sexuelles. Et il m’a envoyé des vidéos sexuelles et la première fois j‘étais dans son bureau et j’ai détourné le regard mais j‘étais vraiment vraiment sidérée”.

Elen Debost et ces deux femmes ont donc en commun d‘être des victimes de harcèlement sexuel au travail. Toutes ont décidé de briser le la loi du silence.

Elen Debost est élue Europe Ecologie Les Verts (EELV) et adjointe au maire du Mans. Il y a cinq ans, elle aurait été harcelée par Denis Baupin qui pendant des mois lui aurait envoyé des sms à caractère sexuel.

Elen Debost a gardé le silence jusqu‘à ce qu’elle découvre cette photo : Denis Baupin, les lèvres maquillée en rouge en signe de lutte contre les violences faites aux femmes.

“Je tombe sur la photo et j’ai eu la nausée et je suis allée vomir. Et parallèlement le même jour, le 11 mars, lui était confié une nouvelle mission interministérielle. Et de savoir que derrière parce qu’on s’est tue, parce qu’on n’a rien fait, parce qu’on a rien dit, il peut non seulement se prétendre comme défenseur des femmes mais en plus il se voit confier de nouvelles missions pour lui permettre d’agir dans de nouveaux périmètres avec des nouvelles femmes qui ne seront pas averties, qui ne sauront pas, j’avais vraiment l’impression d’avoir fait une bêtise monstrueuse en ne disant rien et que si je ne dis rien, en gros, tout continue”, raconte-t-elle.

En mai dernier, 12 femmes emboitent le pas à Elen Debost. Elles accusent Denis Baupin, alors vice-président de l’Assemblée nationale, de harcèlement sexuel. Certains faits ont plus de 20 ans. Les victimes d’agression sexuelle ou de harcèlement sexuel ont trois ans pour porter plainte. La majorité des faits dont Denis Baupin est accusé sont donc prescrits.

Un mois après le début de l’affaire, en juin 2016, trois femmes, dont Elen Debost, portent plainte contre le député. Une enquête préliminaire est confiée à la brigade de répression de la délinquance contre la personne. Dans la tourmente, Baupin, démissionne de son poste de vice-président de l’Assemblée nationale, mais il nie en bloc les accusations qui le visent.

“Il y a plus de 90 pourcents des femmes qui se plaignent dans le milieu du travail d’agression ou de harcelèment qui soit sont licenciées, soit démmissionent de leur travail et ont derrière des difficultés réelles à retrouver du travail”, explique Elen Debost.

L’affaire Denis Baupin a mis en lumière le monde peu visible du harcèlement sexuel. On estime qu’en France une femme sur cinq a été victime de harcèlement sexuel au travail. Et que seulement 5% d’entre elles ont porté plainte.

Comment définir le harcèlement sexuel au travail? Où se situe la frontière entre la séduction et le harcèlement ? Commence t-il avec une main posée sur un genou ou sur la jambe? Ou avec un sms vous disant que vous êtes jolie dans cette robe? Et pourquoi est-il si difficile à prouver ?

“Pour nous la frontière est très claire entre ce qui pourrait être la séduction et le harcèlement sexuel. Il ne peut pas y avoir de confusion pour le harceleur entre ce qui est la séduction et ce qui devient le harcèlement sexuel. On peut inviter une salariée à boire un café le soir ou lui dire qu’on la trouve jolie ou qu’elle ne nous laisse pas insensible; à partir du moment où elle montre qu’elle n’est pas intéressée, stop. Voilà. Et si on ne stoppe pas ça devient effectivement du harcèlement sexuel pour la bonne raison que la salariée ne peut pas quitter l’endroit où elle est. Elle ne peut pas arrêter les relations avec les autres salariés, elle ne peut pas s’exclure du collectif et donc ça donne un pouvoir au harceleur”, explique Christophe Dagues, en charge du programme “Respectées”, programme de prévention contre le harcèlement.

Direction le Palais de justice de Paris. Ces femmes se battent pour prouver un cas de harcèlement sexuel au travail devant la cour d’appel.

La victime dit avoir été harcelée sexuellement par son patron pendant des années jusqu‘à un arrêt de travail pour dépression.
Six jours après avoir porté plainte au bureau, elle a été remerciée de l’entreprise de 10 salariés qui l’embauchait.

Aujourd’hui, son avocate et la présidente d’une association d’aide aux victimes de harcèlement sexuel espèrent convaincre la cour d’accepter en tant que preuves les enregistrements qu’elle a fait de son patron qui l’a harcelait.

“Ici nous avons une preuve directe du harcèlement sexuel. En règle générale, le harcèlement sexuel se fait à l’abri du regard des autres, nous avons rarement des preuves directes du harcèlement sexuel. Et nous le but aujourd’hui est de faire reconnaître que ce n’est pas un comportement déloyal de la part d’une victime d’enregistrer son harceleur car il s’agit d’un délit, il s’agit d’un trouble de l’ordre public. Et quand elle l’enregistre, elle ne vient pas violer son intimité, elle ne vient pas violer sa vie privée, elle vient juste essayer de prouver des faits qui sont extrêmement graves”, explique Maude Beckers.

“Les victimes se retrouvent souvent accusées devant les tribunaux quand elles ont dénoncé des faits de harcèlement sexuel et cette dame est accusée d‘être une grande manipulatrice, d’avoir voulu prendre la place de son chef, et elle est accusée de n’avoir démontré aucune émotion et donc pas très credible car une victime de harcèlement sexuel tout le monde le sait, c’est censé pleurer sans arrêt”, explique Marilyn Baldeck, de l’AVFT (Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail).

Même lorsqu’il y a des preuves concrètes de harcèlement sexuel, être reconnu en tant que victime, est loin d‘être évident. Celle que nous appelerons Lola pour protéger son identité, le sait mieux que personne.

Nous l’avons rencontrée lors d’une course pour une association de lutte contre le harcèlement sexuel.
Lola travaille dans la police municipale. Pendant plus d’un an, elle a été harcelée sexuellement par son chef. Elle a porté plainte auprès du maire.
A défaut de preuves concrètes, sont supérieur hiérarchique n’a jamais été condamné.

“Mon état psychologique s’est dégradé à mesure que les aberrations judiciaires se sont succédées. Clairement, vous avez un premier classement sans suite avec un dossier pléthorique, avec une caméra qui filmait toute la journée au-dessus de ma tête au poste de la police municipale, un deuxième classement sans suite. En parallèle un conseil de discipline qui blanchit le harceleur, et pour être très pragmatique, le harceleur a reconnu m’avoir envoyé des vidéos pornographiques et m’avoir remis une arme en exigeant un rapport sexuel en retour. Donc ces faits il les a reconnus. Le conseil de discipline à l’unanimité c’est d’autant plus aberrant a décidé de ne pas le sanctionner”, raconte-t-elle.

C’est seulement quand elle a contacté l’association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) qui a déposé une nouvelle plainte, que les prud’hommes ont reconnu la ville coupable de ne pas l’avoir protégée. Lola s’est vue attribuer 15.000 euros mais le dossier n’est pas clôturé car la mairie a fait appel de la décision.

De retour au Palais de justice de Paris, l’audition est terminée. La cour rendra sa décision en Septembre. Pour les victimes de harcèlement sexuel, ce n’est pas une affaire d’argent mais bien de justice.

Valérie Zabriskie : “Pendant l’audience est-ce que ça vous a rappellé justement que cette battaille est très difficile ?”

“Bien sûr, bien sûr, on imagine, je revis les scènes. Je les revis. Je revis cette réunion, je revis pourquoi j’ai fait ça, pourquoi ceci… Mon désarroi surtout, cette solitude, c’est terrible cette solitude dans une petite PME, on n’a personne. Je suis allée voir tout ce qui est médecine du travail, etc. On m’a regardé, on m’a dit vous avez des preuves écrites? Je n’en avais pas. J’avais rien”, raconte la victime.

“De toute façon les juges finalement sont très peu généreux dans les dossiers de harcèlement sexuel puisque les condamnations les plus importantes que j’ai obtenues moi c‘était 15 000 euros devant la cour d’appel de Paris pour des faits d’agressions sexuelles, donc la femme avait été quasiment violé dans un cagibi et elle a obtenu 15 000 de dommages et intérêts. Donc c’est évident que les femmes victimes ne font pas ça parce qu’elles sont vénales, souvent on les présente comme des femmes vénales, c’est entièrement faux. Elles le font parce que c’est nécessaire pour elles de faire condamner leur employeur. C’est vital comme le disait la femme que j’ai défendue aujourd’hui”, explique son avocate.

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