Les Roumains dans la rue : on vous explique cette nouvelle législation anti-corruption

Une contestation d’une rare ampleur s’est emparé de la Roumanie : des dizaines de milliers de personnes manifestent pour dénoncer la décision du gouvernement social-démocrate d’assouplir la législation anti-corruption.
Ce sont les manifestations les plus importantes depuis la chute du communisme et de Ceaucescu en 1989.
Le problème, c'est que les gens dans la rue et le président ne sont pas d'accord et qu'ils vont protester jusqu'à ce que le gouvernement cède
Analyste politique
Cette décision est également critiquée sur la scène européenne.
Roumanie : une impressionnante manifestation contre le gouvernement dégénère à Bucarest https://t.co/MUSJe1cDF9pic.twitter.com/01A6xSOvX0
— Le Monde - Vidéos (@lemondevideo) 2 février 2017
Nous vous expliquons ces modifications, et pourquoi cette réforme est si décriée.
Qu’est-ce qui a changé ?
Le gouvernement social-démocrate roumain a adopté, en toute discrétion, dans la nuit de mardi à mercredi, par décret d’urgence, la dépénalisation de plusieurs faits de corruption. L’exécutif du Premier ministre Sorin Grindeanu en avait fait la proposition il y a dix jours…
Ainsi les fonctionnaires ne peuvent plus être accusés de délit de corruption.
Le conflit d’intérêt a été redéfini pour en réduire le nombre de cas.
Concernant l’abus de pouvoir, il ne sera pénalisé que s’il provoque un préjudice supérieur à 44 000 euros, et uniquement si l’abus de pouvoir est dénoncé dans un délai de 6 mois. Et ce délit n’est plus passible que de 3 ans de prison ou d’une amende.
Auparavant, ce délit était passible de 2 à 7 ans de prison et d’une interdiction d’occuper une fonction publique. Il n’y avait aucune limite de temps pour le dénoncer ni de seuil concernant le montant du préjudice.
En outre, les infractions ne peuvent concerner les décisions prises par un maire ou un ministre par exemple. Il est dit qu’elles ne s’appliquent pas aux “mesures législatives”.
Amnistie ?
Un projet de loi a aussi été validé et doit être présenté au parlement pour accorder la grâce à 2 500 prisonniers condamnés à moins de 5 ans d’emprisonnement.
Et la Direction nationale anti-corruption (la DNA qui est l‘équivalent d’un parquet anticorruption) explique qu’un grand nombre des 2 151 affaires qui font actuellement l’objet d’une enquête pour abus de pouvoir sont concernées par ce décret.
Plus d’un millier de personnes échapperaient ainsi à la justice et l’Etat devrait faire une croix sur plus d’un milliard d’euros, soit le montant des préjudices.
La DNA a expliqué à Euronews qu’en 2015, 1 250 personnes avaient comparu devant la justice pour des faits de corruption, dont 16 députés, 5 ministres, 5 sénateurs et 97 maires et adjoints au maire.
La Roumanie est l’un des pays les plus corrompu de l’Union européenne. Ces dernières années, Bruxelles l’a sommé de faire des efforts. Hier, Jean-Claude Juncker a rappelé que “la lutte contre la corruption devait progresser, pas être défaite“. Il s’est dit préoccupé par ces développements. Un débat sur ce sujet est à l’ordre du jour au Parlement européen ce jeudi 2 février.
Les raisons officielles
Le gouvernement explique que cela permettra de libérer des places dans les prisons surchargées du pays et qu’ainsi, il se met en conformité avec la Cour constitutionnelle qui a invalidé une soixantaine d’articles du Code pénal en 2016. Une argumentation qui ne tient pas pour les opposants.
Qui sont-ils et que disent-ils ?
Les associations de magistrats et le Conseil supérieur de la magistrature ont dénoncé ces textes.
“Les mesures prises par le gouvernement visent à exonérer de leur responsabilité tous les hauts fonctionnaires accusés de corruption“, selon Laura Codruta Kövesi, la procureure en chef du parquet anticorruption.
Laura Stefan, une spécialiste anti-corruption de l’“Expert Forum”:http://expertforum.ro/, un observatoire citoyen prônant la transparence, a expliqué à Euronews que les changements ont été taillés sur mesure pour venir en aide au président du Parti social-démocrate Liviu Dragnea.
“L’empressement à adopter ces projets de loi dans la nuit, presqu‘à minuit, démontre qu’il s’agissait de le favoriser. On aurait pas pensé que de telles choses soient encore possible en Roumanie, on pensait que les choses avaient changé“.
Il faut dire que son procès venait de s’ouvrir le jour-même pour emplois fictifs. Mais il assure qu’il ne bénéficiera pas de la nouvelle loi.
Dragnea avait déjà été condamné en 2015 pour tentative de fraude fiscale trois ans plus tôt.
Le président roumain de centre-droit, Klaus Iohannis, accuse le gouvernement “d’affaiblir l‘état de droit“.
Il a déclaré dans un communiqué : “C’est un jour de deuil pour l’Etat de droit, qui a reçu un coup dur de la part des adversaires de la justice et de la lutte contre la corruption”, Lors des premières manifestations, il s‘était même mêlé à la foule des protestataires.
Dragi români,
— Klaus Iohannis (@KlausIohannis) January 31, 2017
Astăzi este o zi de doliu pentru statul de drept. Statul de drept, care a primit o lovitură... https://t.co/0tblmCNzij
Pourquoi tant de colère ?
Le parquet anticorruption (DNA) est l’institution qui bénéficie du plus fort taux de confiance du pays après l’Eglise orthodoxe et l’armée, tandis que 95 % des Roumains souhaitaient, avant les élections de décembre, que la lutte contre la corruption, fléau endémique, soit une priorité du futur gouvernement.
Pour les Roumains, ces changements représentent donc un demi-tour du pays en terme de lutte contre la corruption.
Et ils sont aussi en colère parce que ce décret a été adopté sans débat au parlement, en catimini.
L’analyste politique roumain Radu Magdin que nous avons contacté nous explique : “C’est très difficile de défendre ce procédé, je pense que les gens seraient beaucoup plus détendus si nous avions eu un débat approprié.“
Comment on en est arrivé là ?
Le Parti social-démocrate roumain est revenu au pouvoir en décembre dernier avec une forte majorité au parlement, en promettant d’augmenter les salaires et les retraites.
Un an auparavant, un gouvernement PSD démissionnait. Une démission provoquée par des manifestations contre la corruption après une explosion meurtrière dans une boîte de nuit de Bucarest.
Où allons-nous ?
Le président roumain Klaus Iohannis a déclaré qu’il avait porté plainte auprès de la Cour constitutionnelle contre ce décret gouvernemental.
“C’est évidemment un conflit constitutionnel légal entre le gouvernement et le système judiciaire et le parlement“, a-t-il déclaré d’une conférence de presse télévisée ce jeudi matin.
Il a appelé le gouvernement social-démocrate à abroger ce décret qui entrera en vigueur dans un peu plus d’une semaine, à moins que la Cour constitutionnelle ne s’y oppose.
Le principal organe de contrôle judiciaire de la Roumanie a également porté plainte contre le décret.
“Je ne pense pas que le PSD va ciller, et je ne pense pas que les manifestants vont ciller non plus“, nous explique encore l’analyste roumain Radu Magdin.
“Mais je ne pense pas qu’on va voir un Parlement occupé ou quelque chose comme ça. Le temps est peut-être du côté du PSD parce que parralèlement, le vote du budget se prépare et que cela aura des répercussions économiques sur la population. Et c’est un budget généreux pour l‘économie. Il va y avoir des dépenses d’argent. Ils vont essayer de redorer leur image en disant “parlons de choses sérieuses pour le pays, d‘économie, nous devrions arrêter de parler de quelque chose qui est un fait accompli“.
“Le problème, c’est que les gens dans la rue et le président ne sont pas d’accord et qu’ils vont protester jusqu‘à ce que le gouvernement cède.“