Euroviews. Syrie : face à la versatilité de Trump, les Européens doivent faire bloc | Point de vue

U.S. President Donald Trump and Saudi Arabia's Crown Prince Mohammed bin Sa
U.S. President Donald Trump and Saudi Arabia's Crown Prince Mohammed bin Sa Tous droits réservés REUTERS/MARCOS BRINDICCI
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Il faut se préparer à d’autres tsunamis trumpiens, il faut assurer notre indépendance et notre sécurité. Ce qui se passe en ce moment en Syrie et au Moyen-Orient doit nous servir d’avertissement.

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Par Nathalie Goulet

La Syrie, nouveau terrain d’affrontement entre l’Iran et l’Arabie Saoudite ?

Reconnaissons que le Moyen-Orient n’a jamais été une zone de grande stabilité.

Les zones de non-droit ou sans gouvernance se sont multipliées depuis l’invasion américaine de l’Irak et les désastres qui s’en sont suivis. Nous en connaissons tous, hélas, les conséquences dramatiques, non seulement pour la région et ses populations, mais pour le monde entier.

Pourtant, aujourd’hui, l’Irak s’affirme comme un pays libre ayant vaincu le terrorisme. Après les élections, les choses semblent reprendre un cours normal. C’est presque miraculeux .

Pendant ce temps, l’imprévisible président américain, non content de ruiner la politique de son prédécesseur (même si Obama a fait ses propres erreurs dans la région), distille une politique étrangère ignorante du multilatéralisme, pour ne pas dire ignorante tout court.

Le président Trump ne veut pas être le gendarme du monde, certes, mais il en est à coup sûr le dérégulateur en chef, et je ne parlerai ici que du Moyen-Orient.

S’il a sans surprise marqué le soutien inconditionnel des USA au premier ministre israélien et transféré, au mépris du droit international et des droits du peuple palestinien, l’ambassade américaine à Jérusalem, et ce sans provoquer plus de vagues ou de contestations, il a imposé la politique du fait accompli, une fois de plus !

En décidant de la sortie des USA de l’accord sur le nucléaire iranien et le rétablissement de sanctions, il a réitéré son soutien contre vents et marées à l’Arabie Saoudite.

Le président Trump ressemble de plus en plus à un apprenti sorcier accordant des droits, distribuant les bons et les mauvais points. Ainsi tel pays pourra commercer avec l’Iran diabolisé, tel autre ne le pourra pas sous peine de sanctions exorbitantes. L’Europe, totalement incapable de contrer l’extraterritorialité du droit américain, se contente de déclarations et d’appels à une impossible politique commune.

Dans ce désordre international, nous venons d’assister en cette semaine de Noël à des gestes bien stupéfiants dont la concomitance ne peut pas être due au hasard.

En annonçant le retrait unilatéral des troupes américaines de Syrie, laissant le pays entre les mains des Russes, des Turcs et des Iraniens, et passant les vaillants Kurdes par pertes et profits, le président Trump vante la décision de l’allié saoudien de contribuer à la reconstruction de ce pays moribond. De leur côté, la Turquie et l’Iran ont annoncé le 20 décembre un accord financier de plus de 30 milliards de dollars. Tout cela doit être examiné de près.

On rappelle que la Turquie, alliée essentielle et membre de l’OTAN, a été autorisée par la Grâce Trumpienne à commercer avec l’Iran. Ainsi Ankara rétabli un commerce important avec Téhéran, tout en attaquant sans ménagement le premier ministre israélien qualifié « d’assassin raciste ».

Au même moment, l’Arabie Saoudite s’engage à reconstruire la Syrie alors que les USA s’en désengagent.

N’y aurait-il pas une sorte de substitution ? Pourrait-elle apporter de la stabilité à la région ?

En intervenant financièrement en Syrie, les Saoudiens vont y retrouver les Iraniens qui ont joué un rôle majeur dans l’élimination de Daesh. La déclaration de Trump et les promesses saoudiennes et turques rapprochent irrémédiablement l’Arabie Saoudite de la frontière iranienne.

Alors que le situation au Yémen semble en voie de résolution, que le Liban résiste aux vieux démons et qu’un gouvernement devrait être annoncé sous peu, la Syrie ne risque-t-elle pas de devenir le nouveau terrain d’affrontement de l’Arabie Saoudite et de l’Iran, deux puissances régionales irréconciliables ?

Le retrait américain de Syrie est une victoire pour l’Iran. Pour la Turquie, c’est un risque de voir renforcer le YPG, le bras armé de la branche syrienne du PKK. La Russie et l’Iran sont des soutiens du régime syrien alors que la Turquie soutient l’opposition. Les Turcs ont massé des troupes à l’est de la Syrie, et des opérations semblent se préparer aux alentours de Manbij.

Selon un accord conclu le 25 décembre, Américains et Turcs doivent assurer la sécurité le temps que les milices kurdes du YPG se retirent, ce qui semblait être le cas en fin de la journée du 25 décembre. Ce jour-là, l’agence Anadolu indiquait que les troupes syriennes étaient rentrées dans Manbij.

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La grande interrogation reste celle des populations Kurdes, manifestement oubliées par les puissances qui ont tenté de régler la question syrienne. A l’évidence, le sang versé par les Kurdes dans la lutte contre DAESH ne pèsera que peu dans la solution globale qui se dessine et dont la Turquie est un acteur majeur.

Le Moyen-Orient reste une poudrière.

Les nouvelles alliances dirigées depuis Washington pourraient ne pas tenir sur la durée. Le premier ministre israélien se débat dans une tempête politico-judiciaire et annonce des élections en avril. L’arrivée massive de fonds saoudiens en Syrie pourrait avoir des conséquences non seulement vis-à-vis de l’Iran alliée mais aussi ailleurs dans la région et notamment au Liban dont l’équilibre institutionnel et religieux est toujours inflammable .

La politique américaine au Moyen-Orient, impulsive et mercantile, porte en elle des germes de conflits bien plus graves encore que ceux qui existent déjà, qu’ils soient déclarés ou sous-jacents.

Personne n’a expliqué à Donald Trump, qui ne semble pas être le genre de président à savoir écouter, que la politique internationale était faite d’équilibres précaires et que les USA y jouaient un rôle majeur. Avec sa politique déséquilibrée, injuste et imprévisible, Trump prend des risques lourds pour la sécurité et la stabilité de ses alliés qui pourraient un jour être amenés à douter de sa parole versatile.

Plus grave encore, cette nouvelle politique américaine nous montre à nous Européens notre extrême fragilité et notre incapacité à faire bloc pour assurer notre défense.

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La guerre contre le terrorisme n’est pas terminée, pas plus au Moyen-Orient, en Asie Centrale, Afghanistan qu’en Afrique subsaharienne. Il serait grand temps d’utiliser au mieux les fonds de l’Union Européenne pour la sécurité et la défense, près de 79 milliards d’euros, pour mettre en place une politique cohérente et efficace de défense et de sécurité en Europe. C’est un sujet majeur pour les prochaines élections européennes, qui doit figurer en tête des préoccupations des candidats.

Il faut se préparer à d’autres tsunamis trumpiens, il faut assurer notre indépendance et notre sécurité. Ce qui se passe en ce moment en Syrie et au Moyen-Orient doit nous servir d’avertissement.

Nathalie Goulet est Sénateur de l'Orne (Normandie), membre du groupe Union Centriste.

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