Euroviews. J'ai connu Orbán à ses débuts. Je suis terrifié par ce qu'il est devenu | Point de vue

Hungary PM Orban delivers annual state of the nation address
Hungary PM Orban delivers annual state of the nation address Tous droits réservés REUTERS/BERNADETT SZABO
Par András B. Vágvölgyi
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Les opinions exprimées dans cet article sont celles de leur auteur et ne représentent en aucun cas le positionnement éditorial d’Euronews.

Une crise est aussi une chance pour tout recommencer. L’Union européenne manque aujourd’hui de pensée fédérale en vue d’une intégration plus poussée, d’une solidarité interne renforcée [...], d’une capacité de défense sans l’Amérique qui flanche et qui menace même l’atlantisme.

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Notre jeu-concours « Un héros de notre temps »

Oublions Lermontov, parlons de notre temp à nous ! Imaginons un studio de télévision armé de toutes les dernières techniques d’enregistrement, au milieu de décors d’un goût douteux, avec un jury franchement pugnace et provocateur, un public complètement déchaîné et, comme on n’est jamais assez prudent, des rires et des applaudissements préenregistrés. Et voilà que des personnages familiers, habillés de leur costumes fantaisie, un rictus ou des signes de trac inscrits sur le visage, se mettent à défiler les uns après les autres le long d’un plateau étincelant de mille feux, chacun accompagné d’un morceau de musique de son choix.

Apparaissent au fur et à mesure des artistes comme Recep Tayyib Erdogan (métal d’Anatolie), Donald J. Trump (western swing), Jaroslaw Kaczynski (une polonaise), Benyamin Netanyahu (hip-hop hassidique), Vladimir Vladimirovitch Poutine (pas encore définitivement fixé, mais le porte-parole du Kremlin Dmitri Pechkov nie que ce soit composé par les Pussy Riot); et puis, tout à la fin, le plus petit d’entre eux dans tous les sens du terme : Viktor Orbán. Il défile sur la musique de Leslie Mandoki, compositeur d’origine hongroise du groupe Dschinghis Khan de Munich. Tous ces gentlemen cambrioleurs chantent, ils ont tous leur musique et leur panoplie de faux arguments. Leurs chansons sèment la discorde mais elles suivent le rythme, et quand ils dansent dans le scintillement des néons, le public frémit, nourrissant leurs mouvements de nouvelles énergies.

Le jury et le public doivent maintenant choisir le vainqueur. En ce qui me concerne, c’est la production du petit dernier qui m’est la plus douloureuse pour toute une série de raisons : ma langue maternelle, ma citoyenneté, et plein d’autres éléments socio-culturels. Sa voix est fausse, elle se casse ; ses mouvements sur scène évoquent un boxeur de seconde zone, secouant ses deux poings levés vers le jury et le public. „Je suis le plus grand”, crie-t-il, mais il n’a rien à voir avec Mohamed Ali.

Il en est loin à tous points de vue.

Cet homme, je l’avais connu personnellement. Nous nous étions rencontrés pour la première fois en 1988 et notre dernière entrevue digne de ce nom date de novembre 1990. A cette époque-là, au moment du changement de régime, beaucoup pariaient sur lui : il était jeune, il était provincial (dans les conditions hongroises spécifiques, cela voulait dire : pas une tête d’œuf avec son background juif venu des beaux quartiers de Budapest, mais un „homme de la vraie vie”, une figure facile à accepter pour les électeurs des villages et les petites villes). Il était dynamique, rapide, plein d’ardentes ambitions politiques. Lorsque je revins d’Essex après mes études de troisième cycle de sociologie, il avait déjà fondé avec quelques camarades une organisation de jeunesse (le Fidesz) très critique envers le régime, radicale et alternative, mais surtout ultra-libérale. A l’automne 1989 ils me demandèrent d’écrire leur programme de politique étrangère. J’y avais inclus deux revendications, deux orientations plutôt radicales pour l’époque : la Hongrie devait non seulement quitter le Pacte de Varsovie et le COMECON mais aussi viser l’adhésion à la Communauté européenne et à l’OTAN. Nombreux étaient ceux qui estimaient que c’était une revendication très imprudente, y compris du côté de l’opposition. L’Armée soviétique stationnait encore dans notre pays, avec entre autres des missiles SS-20 munis de têtes nucléaires.

Puis le changement de régime arriva, le Fidesz entra au nouveau Parlement, et je m’orientais vers les médias. Stagiaire au New York Times en novembre 1990, je reçois un appel de Budapest : c’est Orbán. Sur l’invitation d’organisations hongroises locales, il allait prochainement débarquer sur la Côte Est : pourrais-je lui organiser un petit déjeuner à la rédaction avec les journalistes ? « Ecoute Victor, lui dis-je, c’est le New York Times ; toi, tu as 27 ans, à la tête du groupe parlementaire d’un petit parti de jeunesse ayant obtenu 7% des suffrages dans un pays de 10 millions d’habitants : cela ne va franchement pas être facile. » Je l’ai organisée finalement, cette rencontre, avec coffee, bagel, cream cheese et quatre collègues s’intéressant vaguement à l’Europe centrale : ils avaient peut-être lu le bouquin de Milan Kundera, L’insoutenable légèreté de l’être, ou vu le film de Kaufman avec Daniel Day Lewis et Juliette Binoche, sous l’effet desquels la vie des dissidents en Europe de l’Est était devenue à la mode en Occident.

J’avais passé toute la journée avec Orbán. Ensemble on parcourait Manhattan jusqu’au soir ; mais c’était surtout lui qui parlait. „Lundi. Moi. Mardi. Moi. Mercredi. Moi. Jeudi. Moi”. « Moi, je, moi, moi, moi, je… » Le grand écrivain polonais Witold Gombrowicz écrivit cela avec une bonne dose d’ironie, mais Viktor Orbán était mortellement sérieux ; et il continue à répéter cela depuis à travers le moindre de ses gestes. Le Midtown avec ses gratte-ciels, le Village avec ses escaliers de secours extérieurs m’apparaissaient comme les décors d’une pièce du théâtre de l’absurde qui aurait pu être intitulée L’étouffante lourdeur de l’avidité : aucune légèreté, aucune décontraction, aucun rock’n roll, juste la volonté de puissance pure et dure. Je savais déjà qu’il n’y avait guère de politiciens à succès sans désir de puissance, mais tout cet égoïsme et cette manie du pouvoir non dissimulés m’avaient d’abord embarrassé puis, avec le temps, stupéfié. « Petit Néron », avait dit la compagne d’un révolutionnaire de 1956 exécuté devant le sourire mauvais et cynique d’Orbán lorsqu’en 1989 il avait réussi non sans mal à emporter un match de jeu de tête contre un écrivain dissident d’une bonne trentaine d’années son aîné (István Eörsi).

D’accord, le « petit Néron » est une véritable « TAP » (une personnalité autoritaire selon T. Adorno), me disais-je, mais tout cela irait-t-il jusqu’à la psychose ? L’histoire politique et psychologique d’Orbán a été souvent traitée, ainsi que ses grands écarts opportunistes entre différentes idéologies, familles de partis et alliés politiques : je n’en parlerai pas ici. En 1990 à New York, je ne connaissais pas encore l’anecdote datant du début des années 80 et racontée plus tard par l’un de ses profs à l’université. Lors d’un séminaire sur la Constitution américaine, le jeune juriste Orbán avait appris que la charge publique la plus importante de l’humanité de notre temps, la fonction de président des Etats-Unis ne pouvait être occupé que par un politicien né citoyen américain. Les yeux d’Orbán s’embuèrent, il faillit éclater en larmes : la position désirée qu’il avait envisagée comme accessible n’était donc pas une réelle possibilité, puisqu’à sa naissance, son petit village de la Transdanubie n’était point l’Amérique, il ne possédait même pas un seul jukebox.

En 2002, à la fin de la première période d’Orbán à la tête d’un gouvernement, Vàclav Havel disait de lui : « Si jamais cet homme reprend le pouvoir, que Dieu protège la Hongrie … et même l’Europe ». En 2010, Orbán fut réélu, et nous avons tous vu ce qui est arrivé dans ce pays depuis. Revirement autocratique, liquidation de la république, suppression de la diversité des médias, propagande pseudo-totalitaire, menaces sur l’indépendance des magistrats, exploitation du racisme à peine latent, attisement des haines aux accents nazis, interdiction professionnelle contre des intellectuels critiques, l’engloutissement du pays dans les ténèbres. Un néo-féodalisme construit sur les structures socio-psychologiques de l’époque Kadar, une corruption démesurée, l’engraissement du cercle des potes inféodés avec l’argent des fonds de cohésion de l’Union européenne et les commandes de l’Etat. Depuis 2014, on est définitivement en droit d’affirmer qu’Orbán est le toutou de Poutine dans la guerre hybride menée par le pouvoir russe néo-impérialiste contre l’Occident. Après avoir pu fêter en 2018 sa troisième élection successive à la tête d’un gouvernement depuis 2010 – ne revenons pas ici sur la manière dont il y est arrivé – Orbán vise manifestement un rôle politique au niveau européen.

Les dangers d’une telle éventualité sont indescriptibles.

Excellent connaisseur de la région, Timothy Garton Ash écrivait cet été que le principal adversaire de l’axe européen mené par Merkel-Macron est « Orbvini », le tandem composé d’Orbán et du ministre italien de l’intérieur et dirigeant de la Ligue du Nord Matteo Salvini (https://www.theguardian.com/commentisfree/2018/jul/09/liberal-europe-isnt-dead-struggle). En août 2018, Orbán rencontrait Salvini à Milan et malgré leurs idées et leurs familles politiques divergentes, ils ont manifestement noué une alliance. Avant cette rencontre, Orbán s’était enquis de Salvini auprès de son vieil ami Silvio Berlusconi qui avait vivement encouragé leur rapprochement. Dès 2006 dans un reportage de Libération, j’avais situé Orbán à mi-chemin entre Berlusconi et Poutine et pas seulement dans un sens géographique («En Hongrie, Viktor Orbán, c'est notre Berlusconi» https://www.liberation.fr/planete/2006/10/07/en-hongrie-viktor-orban-c-est-notre-berlusconi\_53660). Malheureusement je n’ai aucune raison de modifier cet avis, car la situation n’a fait qu’empirer depuis.

L’enjeu des élections parlementaires européennes de mai 2019 est décisif pour l’avenir de notre continent. En Allemagne, considérée comme le moteur de l’Europe, l’époque Merkel touche à sa fin ; avec le stupide Brexit de la Grande-Bretagne, il paraît certain que la direction politique de l’Union Européenne reviendrait à la France d’Emmanuel Macron. L’Italie serait alors, après le Brexit, la troisième économie de l’Europe, malgré son instabilité politique. La Hongrie en revanche, avec sa population de moins de dix millions de personnes et qui continue à diminuer, appartient à tout point de vue au dernier tiers des pays de l’Union. Elle a toutefois une position importante au point de vue géostratégique, et son premier ministre Orbán a renforcé sa position après ses troisièmes élections gagnées à la majorité qualifiée – quelle que soit la manière dont il y est arrivé. Pas mal de choses ont été nécessaires pour gagner ces élections : faire main basse sur l’immense majorité des médias, réveiller les vieilles peurs de la population, diffuser une propagande digne des meilleurs jours du docteur Goebbels ; et aussi « l’astuce d’Himmler » (selon le terme de Zsuzsa Selyem, inventé après la crise des migrants de 2015) : devant les souffrances d’autrui, aie pitié de toi-même, puisque tu es obligé d’en être témoin et cela te bouleverse tant.

L’appétit politique d’Orbán ne connaît pas de limites. Ses rêves sont simples, comme on en raconte dans les troquets ou dans les stades de foot : avoir beaucoup de pouvoir, avoir beaucoup d’argent, organiser des Jeux olympiques ou sinon une coupe du monde de foot, qu’importe ; faudra juste que ça soit une méga-manifestation qui permette de poursuivre la construction du néo-féodalisme. La psyché et le tissu social hongrois, malsains et mis à mal par l’Histoire récente, seront inchangés ou dévastés encore plus ; subsistera la sagesse philistine (« toute vérité n’est pas bonne à dire »), avec le lapidaire « l’herbe est toujours plus verte ailleurs ». Il est consternant de voir qu’Orbán, malgré la petite taille et les ressources limitées de son pays, ait pu devenir un acteur aussi influent de la scène internationale. Il est comme « le plus jeune fils » des contes populaires qui prend sa revanche à sa manière rusée, en sifflotant, qui détruit, corrompt et pervertit, tout en s’arrondissant et grossissant sans arrêt. Il a ses fidèles partout, de la Pologne jusqu’en Slovénie et la Macédoine du Nord ; son œuvre destructrice est acclamée par des fans bavarois, italiens, autrichiens. Il estime être en mesure d’embobiner tout le monde, de Poutine à Trump et à Xi Jinping car après tout, il sort de la cuisse de Jupiter. Par ailleurs, il se prend pour la réincarnation de Jean Hunyadi qui, en 1456 à Belgrade, arrêta et repoussa les Turcs ottomans et sauva l’occident.

C’est aussi une question de Zeitgeist, de l’esprit du temps.

Bien sûr, les temps, les « sales temps » d’aujourd’hui. Tout un univers virtuel de cauchemars où tentent de nous enfoncer les gens comme Vladislav Sourkov, conseiller en image de Poutine, Steve Bannon, Breitbart News et d’autres organes américains ultra-trumpistes, Gazeta Polska ou même Arpad Habony, idéologue et conseiller d’Orbán. Lutter contre eux est aussi une question de hardware et de software. Autour de 1989, la majeure partie de la presse et des médias hongrois avait été sensible à l’avertissement des intellectuels d’opposition éditeurs de samizdat, soutenus par Radio Europe Libre émettant depuis Munich et financée par le Congrès des Etats-Unis : tous ces médias avaient pris alors le parti du changement libéral. Orbán a très bien compris cela et après son élection en 2010, il a écrasé les médias capables d’influencer des masses puis a fait main basse sur eux. Si l’on ne veut pas que le monde, notre monde soit bâti sur la volonté de Poutine et les concepts de Sourkov, on a besoin d’urgence de hardware adapté aux endroits les moins accessibles et de software intelligent capable d’interpréter le monde de façon attirante afin de détourner les gens de la propagande simplificatrice.

Que la Hongrie soit un pays « pas cool », qui s’en soucie ? Sauf que l’habileté et les talents démoniaques d’Orbán font qu’il ne s’agit plus seulement d’un problème hongrois. Avant la publication du rapport Sargentini, les opportunistes du PPE rechignaient à se tourner contre Orbán au Parlement européen ; maintenant cela va changer, du moins espérons-le. Orbán peut continuer à plastronner et même se tourner vers les eurosceptiques de Salvini ; soyons-en sûrs, il prévoit de foncer de toutes ses forces aux prochaines élections parlementaires européennes pour devenir un acteur européen déterminant. Le chroniqueur du New York Times et prix Nobel Paul Krugman a récemment évoqué ce bon mot prononcé par un cynique après la chute du mur de Berlin : « maintenant que les peuples d’Europe centrale et de l’est se sont débarrassés de l’idéologie étrangère du communisme, ils pourront retrouver leur propre chemin : le fascisme ». Le mot est effectivement bon, même si douloureusement simplificateur.

Oui, seul le peuple hongrois pourrait s’opposer au pouvoir d’Orbánqui représente maintenant une menace pour toute l’Europe. En Hongrie, pour protéger leurs intérêts personnels ou de groupe, la plupart des partis politiques d’opposition ont fini par fondre dans « l’orbanisme ». Mais les forces intellectuelles et politiques européennes qui se sentent responsables pour le continent entier ne peuvent pas abandonner les forces intellectuelles et politiques hongroises qui s’opposent à Orbán. Ce n’est pas seulement l’éthique universelle qui le veut, c’est aussi dans leur propre intérêt.

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A la mort de Brejnev, on n’avait pas compris du premier coup que c’en était fini. Puis il y eut de plus en plus d’enterrements et de plus en plus de momies politiques sur la tribune du Mausolée de Lénine de la Place Rouge. Alors même le simple spectateur s’était rendu compte que cela ne pouvait plus durer. Aujourd’hui, plus de trente ans après, c’est pareil. Ce continent mérite plus qu’un Orbán se fichant de tout principe moral, d’une avidité insondable tant sur le plan économique que politique.

L’Histoire nous apprend que chez l’Autrichien Hitler, marginal du point de vue de l’Allemagne, comme chez Staline le Géorgien, marginal par rapport à l’Empire russe, le complexe d’infériorité n’avait fait qu’exacerber leur brutalité originelle. La comparaison historique est cependant boiteuse. La Hongrie est une démocratie « illibérale » (comprendre : une autocratie), un « Etat-nation chrétien-démocrate » selon la formulation la plus récente ; un système à parti unique qui est en apparence un système multipartite et où – comme en Pologne avant 1989, à quelques exceptions près – les partis d’opposition sont des « courroies de transmission », qu’on a d’abord affamés puis menés à la carotte ou le bâton. On pourrait dire que la Hongrie est une dictature du XXIème siècle, d’où on peut encore émigrer, et où « la douleur est plus douce »

Parmi les intellectuels qui ne sont pas visés par des licenciements ou des interdictions professionnelles, beaucoup collaborent avec les agents du pouvoir ou sont adeptes de la devise « toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire ». Il existe une espèce d’échange de populations qui se déroule avec le soutien tacite de l’Etat : des Hongrois épris de liberté, attachés aux valeurs occidentales émigrent vers l’Ouest (leur nombre pourra prochainement atteindre les 10% de la population) alors qu’on fait venir des Hongrois des pays voisins, d’au-delà des frontières établies par les traités de paix (Trianon) après la guerre de 14-18. La fureur des nouvelles recrues de Transylvanie grandies sous Ceausescu, aujourd’hui mercenaires d’Orbán, qui se jettent corps et âme dans son Kulturkampf, est beaucoup débattue en Hongrie. Orbán vise à étendre ce combat sur le continent tout entier, et il pourrait y parvenir.

Orbán se voit comme le grand premier ministre d’un petit pays, menacé par la vengeance de petits dirigeants de grands pays parce qu’il « ose dire la vérité ». Selon la formulation du site Politico, il se lève manifestement chaque matin avec l’idée d’être Hunyadi, le héros des combats contre les Turcs au XVème siècle. D’un point de vue historique Orbán a cependant choisi le côté perdant. Poutine peut toujours exhiber son habileté de pêcheur avec ses dix lignes jetées dans l’eau depuis l’embarcadère, guettant à laquelle va mordre un gros poisson digne d’une médaille, mais il se trouve que les astuces et les filouteries ne peuvent apporter que des changements temporaires dans les rapports des forces. Orbán a installé une culture politique où les décisions sont prises uniquement sur la base de considérations pratiques, sans le moindre scrupule éthique. Et très souvent la pratique n’est pas motivée par l’efficacité mais par la conservation du pouvoir.

Orbán est juriste. Il est le genre de personne qui, arrivé deuxième à la descente lors d’une compétition de ski derrière sa femme Aniko, s’arrangera pour que les résultats des hommes et des femmes soient annoncés séparément. La misogynie n’est pas très loin de lui non plus. « Dans cette partie de l’Europe, les hommes savent qu’ils sont sur notre Terre pour miser leur vie sur quelque chose. Quelque chose de grand. Quelque chose de plus grand et plus important que nous-mêmes, que notre vie personnelle », disait Orbán récemment, les yeux embués de larmes, à l’enterrement d’un ancien compagnon de luttes et de beuveries. Il mentait, bien entendu. Le philosophe Janos Kis, premier président de SzDSz, le véritable parti libéral hongrois d’après 1989, disait bien en 1990 qu’Orbán était un « enfant gâté », affublé d’un désir maladif de pouvoir. On ne peut pas permettre que sa maladie qui a infecté son pays s’étende sur toute l’Europe.

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Une crise est aussi une chance pour tout recommencer. L’Union européenne manque aujourd’hui de pensée fédérale en vue d’une intégration plus poussée, d’une solidarité interne renforcée au-delà des aspects économiques, d’une capacité de défense sans l’Amérique qui flanche et qui menace même l’atlantisme – temporairement, espérons-le. Le rapport de Judith Sargentini, parlementaire européenne membre de la gauche verte, et son adoption par le Parlement, servent bien les intérêts du peuple hongrois. Les « Orbvini », réunis à Milan en août 2018, ont fait profil bas (renonçant à la création d’une alliance de partis eurosceptiques avant les élections), mais ils ont nommé l’ennemi principal, Emmanuel Macron, qui a relevé le défi. Le vainqueur du concours « Héros de notre temps » sera celui qui parviendra à resserrer l’Europe, prendra la responsabilité pour le continent tout entier et fera de l’Union un concurrent réactif de ses rivaux proches et éloignés.

En ce qui me concerne : Allez Monsieur Macron ! et pour les élections du Parlement européen, il pourrait créer une alliance politique ou un parti pro-européen en Hongrie. En Marche pour la quatrième République de Hongrie ! Et pour l’Europe, pour toute l’Union Européenne !

András B. Vágvölgyi est écrivain, journaliste, cinéaste, ancien conseiller en politique étrangère auprès de Fidesz et l'auteur du premier programme de politique étrangère du parti.

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