Tchernobyl : des journalistes d'Euronews se souviennent
Tous droits réservés REUTERS/Gleb Garanich
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Tchernobyl : des journalistes d'Euronews se souviennent

Par Naira Davlashyan, Nataliia Liubchenkova, Vincent Coste
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La série télé "Chernobyl", diffusée sur la chaîne américaine HBO, a ravivé les souvenirs de la pire catastrophe nucléaire. Des journalistes de la rédaction d'Euronews ont été particulièrement marqués par ce mois d'avril 1986. Voici leurs témoignages.

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La série télé "Chernobyl", diffusée en mai et en juin sur la chaîne américaine HBO, a ravivé les souvenirs de la pire catastrophe nucléaire du 20e siècle. Le 26 avril 1986, le réacteur n°4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl en Ukraine a explosé, libérant dans l’atmosphère 100 fois plus de radiations que les bombes de Nagasaki et d’Hiroshima. Des millions de personnes ont été exposées, dans toute l’Europe, aux masses d’air contaminées. Pratiquement 10 000 ont été tuées par des maladies liées aux radiations, selon l'Organisation mondiale de la santé. Mais l'ONG Greenpeace a, elle, estimé le nombre de victimes à plus de 90 000.

Des journalistes de la rédaction d'Euronews, riche de plus de 20 nationalités, ont été particulièrement marqués par ce mois d'avril 1986. Voici leurs témoignages.

Natalia Liubchenkova, Kiev, Ukraine (alors République socialiste soviétique ukrainienne) - 135 km de Tchernobyl

Natalia est née et a grandi à Kiev. Elle avait 18 mois au moment de la catastrophe de Tchernobyl. Peu de temps après l'explosion, ses parents l'ont envoyée chez des amis de la famille, accompagnée de sa grand-mère, à Kharkiv, dans l'est de l'Ukraine, à 610 km du site de la centrale nucléaire.

"Je n'ai pas beaucoup de souvenirs de cette période, mais j'ai comme des flashs qui me reviennent. Je me souviens des scènes de panique lorsque nous allions à la gare et que je ne comprenais pas que je devais voyager quelque part."

"Les mois suivants, je les ai passés à Kharkiv. Mes parents m'ont envoyée la-bas quand ils ont réalisé que la situation à Tchernobyl était vraiment grave et que nous pouvions être touchés. C'était probablement quelques semaines après l'explosion. Quand mon père a vu que les jardins d'enfants avaient été évacués, il a compris. "

"A l'époque, il y avait des rumeurs sur des politiciens de haut rang qui envoyaient leurs enfants à l'étranger et que les aéroports étaient bondés en raison de ces enfants. Comme s'il y avait quelque chose à cacher. Même si l'énorme machine de propagande tournait à plein régime, la nouvelle de l'explosion s'est tout de même répandue."

"A Kharkiv, j'ai appris cette phrase : " Où est ma mère ? Elle est à Kiev !" Mais quand je suis enfin rentrée chez moi à Kiev, je ne l'ai pas reconnue. C'était un moment difficile pour ma mère."

"Aujourd'hui, je me rends compte que j'ai grandi avec l'idée que Tchernobyl était là, comme quelque chose de naturel. Ce n'est que depuis que je suis adulte que j'en mesure l'ampleur."

"Nous avons tendance à faire des héros avec les grandes figures de notre histoire. Mais je ne me souviens pas avoir entendu parler, dans les mois et les années suivantes, des milliers de personnes qui ont participé aux interventions d’urgence et aux opérations de nettoyage et de confinement. Et parmi ces fameux "liquidateurs", nombreux le payeront de leur vie. Ils méritent d'être des héros".

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Le réacteur n°4 de Tchernobyl sous son sarcophage en 2016REUTERS/Gleb Garanich

Anton Khmelnov, Moscou, Russie - 853 km de Tchernobyl

Anton avait 13 ans au moment de la catastrophe. Il vivait à Moscou, alors capitale de l'URSS. Il se souvient avoir fait des blagues sur Tchernobyl et que son oncle s'était rendu sur les lieux de la catastrophe, mais sans savoir exactement ce qu'il y avait fait.

"Nous n'avons été informés que bien plus tard, en raison de la façon dont l'information circulait à l’époque."

"Nous étions au courant parce qu'un de mes oncles avait été envoyé, par obligation militaire, pour effectuer un travail là-bas. Nous n'étions pas vraiment conscients de ce que c'était, c'était relativement secret. Plus tard, nous avons appris par la famille qu'il souffrait, victime d'effets secondaires liés à son passage à Tchernobyl. Mais il est encore en vie aujourd'hui, c'est un homme assez vieux."

"En tant qu'enfants, on plaisantait surtout sur ce qui s'était passé. Nos parents et nos grands-parents nous disaient de faire attention aux "pluies acides". Mais ces histoires de pluies acides existaient depuis la guerre froide. Au final, Tchernobyl a fourni d'autres blagues à notre registre sur les pluies acides."

"A l’époque, l'Union soviétique était un pays fédéral. Des gens ont été amenés de toutes les Républiques par le gouvernement central pour travailler à Tchernobyl. Ils pouvaient être ukrainiens, russes ou d'autres nationalités. Pour nous, c'était un problème qui touchait l’ensemble de l’URSS, une douleur commune. Puis, après l'effondrement de l'Union soviétique, cette douleur a, en quelque sorte reculé derrière les frontières qui se sont formées. Ce désastre appartient, désormais, à un autre pays."

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Des touristes passant un détecteur de radiations à Tchernobyl en juin 2019REUTERS/Valentyn Ogirenko

Sigrid Ulrich, Munich, Allemagne - 1 800 km de Tchernobyl

Sigrid Ulrich vivait à Munich en 1986. Elle avait 32 ans et travaillait comme journaliste pour l'agence de presse allemande DPA. Elle se souvient de la confusion et des craintes liées à la contamination des aliments.

"Je me rappelle surtout du chaos qui régnait à l’époque. Il n'y avait aucune information pendant, je crois, deux jours. L'Union soviétique a confirmé qu'il s'était passé quelque chose lorsque des tests en Scandinavie ont mis au jour une situation anormale."

"Mais avant cette confirmation, un vent fort venant de l'est a soufflé sur tous les pays à l'ouest de Tchernobyl. On nous a dit par la suite que nous ne devions pas sortir, et que, surtout, nous ne devions pas sortir sous la pluie."

"Nous nous sommes sentis un peu abandonnés. On entendait parler de familles, qui dès la nouvelle de l'explosion connue, avaient pris l’avion avec leurs enfants pour aller au Canada ou plus loin encore. Ma cousine m'avait ainsi dit que des amis à elle avaient fait ça."

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"De très nombreux légumes ont dû être jetés. Un autre problème, c'était le lait. Comme c'était en avril, les vaches étaient dans les champs pour manger de l'herbe. Beaucoup de lait a dû être jeté aussi."

"Devant les caméras, le ministre bavarois de l'Environnement de l'époque a dit qu'il n'était pas dangereux de boire du lait. Il a mis un doigt dans une bouteille et l'a léché. Mais 20 ans plus tard, il a confessé qu'il n'avait pas léché le même doigt que celui qu'il avait trempé."

"Tchernobyl, c'est un tournant du 20e siècle, comme le voyage sur la Lune ou le meurtre de Kennedy. Ma fille m'a dit que pour elle, cette catastrophe a mis fin à "l'ère Woodstock". Pour elle, ma génération a eu de la chance, 20 ans d'"illusion de Woodstock", où on pouvait changer le monde. Mais avec Tchernobyl, tout était fini, car on a réalisé que les catastrophes causées par l'homme ne peuvent être contrôlées. C'était, aussi à ce moment-là, que nous avons réalisé que notre technologie pouvait avoir un impact sur le climat et notre environnent."

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Un parc d'attraction abandonné dans la ville de Pripyat, près de TchernobylREUTERS/Gleb Garanich

Thomas Siemienski, Wrocław, Pologne - 1 078 km de Tchernobyl

Thomas avait 29 ans au printemps 1986. Il vivait à Wrocław dans l'ouest de la Pologne et travaillait comme chercheur en linguistique dans l'université de la ville. A l'époque, son pays était un "Etat satellite" de l'Union soviétique.

"Tout d'abord, il faut savoir que dans les pays communistes, il n'y avait jamais de catastrophes. Du moins pas officiellement. Mais beaucoup de gens en Pologne étaient conscients de la situation à Tchernobyl parce qu'ils écoutaient des radios étrangères comme Radio Free Europe ou Voice of America. Nous savions donc qu'il se passait quelque chose, sans savoir exactement quoi. Mais quand il n'y a pas d'information officielle claire, il y a beaucoup de place pour les rumeurs, la panique..."

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"Un jour, alors que j'étais sur mon lieu de travail, j'ai vu une dame avec une petite bouteille d'iode. On l'utilisait pour désinfecter les blessures. C'était un produit très populaire. Ce n'était pas très agréable parce que ça brûlait quand on l'utilisait sur une blessure. J'ai pensé qu'elle avait besoin de désinfecter quelque chose. Et puis je l'ai vue boire. C'était très surprenant et un peu effrayant. Mais quelqu'un a expliqué que, selon les rumeurs, il fallait boire de l'iode parce qu'il protège contre les effets du rayonnement. 33 ans plus tard, je ne sais toujours pas si c'était vrai."

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