En Bourgogne et Champagne, un breuvage exotique - le saké japonais - séduit de plus en plus oenologues et gastronomes. Ses caractéristiques uniques ont poussé de grands chefs comme Arnaud Lallement à le proposer en accompagnement de leurs créations.
Dans cette édition de Taste, nous découvrons le saké japonais, un breuvage aussi complexe que le vin, et qui fait l'admiration des oenologues comme des chefs étoilés, pour ses saveurs comme pour ces associations culinaires.
C'est en Bourgogne, terre mondialement connue pour ses crus exceptionnels, que nous rencontrons Gautier Roussille. Cet œnologue et agronome est l'un des spécialistes mondiaux du saké avec notamment, son ouvrage de référence : "Nihonshu : le saké japonais". Il nous accueille dans ses vignes.
"Une pure création du génie humain"
Frédéric Ponsard, euronews :
"Quelles sont les caractéristiques du saké ?"
Gautier Roussille, spécialiste du saké :
**"**En premier lieu, ce qui détermine les caractéristiques du saké, c'est sa matière première : le riz. Placé dans de bonnes conditions, un fruit peut fermenter naturellement et donner du vin alors que ce n'est pas le cas des céréales. Le saké japonais est une pure création du génie humain."
Nous rejoignons le caveau de dégustation du domaine viticole familial. L'œnologue nous explique les spécificités organiques du saké. "Les saveurs sont perçues par l'être humain sur cinq goûts principaux : l'umami, le sucré, le salé, l'amer et l'acide," précise-t-il. "L'umami, c'est le savoureux, le pot au feu, la sauce tomate qui a cuit longtemps ; le saké est naturellement riche en umami et en sucré et plus pauvre que le vin ou la bière notamment en acide et en amer : ce qui fait que le saké est naturellement perçu comme agréable, positif," indique le spécialiste.
"Il s'accorde parfaitement avec tout type de fruits de mer"
Frédéric Ponsard :
"Le saké s'accorde donc particulièrement bien avec certains aliments."
Gautier Roussille :
"Tout à fait, notamment avec des plats qu'il est difficile d'accorder avec d'autres boissons comme les asperges, les œufs ou les fruits de mer. Sur ce point, il a été démontré que le fer est le principal élément qui en accord avec les fruits de mer, crée des arômes désagréables de marée ; or le saké est très pauvre en fer, il s'accorde donc parfaitement avec tout type de fruits de mer."
Nous quittons la Bourgogne pour la Champagne, un autre territoire de vin célèbre dans le monde entier, pour retrouver Sylvain Huet. Expert en saké lui aussi, il organise le Salon européen du saké chaque année à Paris, le plus grand événement dédié à cette boisson hors du Japon. L'édition 2019 aura lieu du 5 au 7 octobre.
Nous nous rendons avec lui à Tinqueux près de Reims, et plus précisément dans le restaurant L'Assiette Champenoise, trois étoiles au Michelin.
Frédéric Ponsard :
"Les chefs et les cuisiniers en Europe s'intéressent-ils de plus en plus au saké ?"
Sylvain Huet :
"Il faut savoir que le saké accompagne naturellement la gastronomie japonaise qui l'a vue naître, mais toute la cuisine occidentale peut en bénéficier que ce soit la cuisine française ou italienne. Depuis la cuisine bistronomique [ndlr : entre cuisine de bistrot et cuisine gastronomique] jusqu'à la cuisine de restaurant trois étoiles, le saké non seulement est très complémentaire au vin, mais il peut permettre une véritable relecture de plats parfois classiques, parfois nouveaux."
Arnaud Lallement : "Ce saké pétillant, c'est une vraie découverte"
Nous sommes accueillis à L'Assiette Champenoise par son chef Arnaud Lallement qui aime associer dans sa cuisine, fruits de mer et saké.
"On va goûter, essayer, faire des accords, vous allez me faire rêver avec le saké," dit-il en s'adressant à Sylvain Huet avant d'ajouter : "Je vais essayer de vous faire voyager avec mes plats."
En cuisine, Arnaud Lallement nous explique sa création : "Tourteau de Bretagne / navet B. Deloffre / soupe de poisson" : "On va travailler sur du tourteau de pleine mer qui vient de Bretagne : on l'a cuit au dernier moment, on le sort de l'eau, on l'émiette délicatement à la pince à épiler pour avoir un maximum de végétation [ndlr : de chair] à l'intérieur," indique-t-il. "Cette végétation va nous permettre de rebondir sur l'accord avec le saké," précise-t-il.
Le chef étoilé nous présente un saké pétillant : "Ce qui m'intéresse, c'est ce côté effervescent parce que je suis champenois et j'avais cette curiosité sur ce saké-là : donc, pour moi, c'est une vraie découverte," reconnaît-il.
Arnaud Lallement nous invite à déguster : "Je vais mettre un navet [ndlr : dans la cuillère] et après, une fois que vous l'avez en bouche, que vous l'avez un petit peu mâché, que vous avez perçu la texture, je vous invite à déguster le saké..."
Notre journaliste goûte et relève le caractère humble du saké qui se marie avec les autres saveurs sans prendre le dessus.
Arnaud Lallement renchérit : "C'est le navet qui nous permet de faire le lien entre le saké et le tourteau avec la soupe de poisson. C'est le piquant du navet, le végétal piquant comme si vous posiez votre langue sur une ortie : là, le navet piquant apporte le lien avec le saké qui est végétal," décrit-il.