Le film de la semaine : Les Misérables de Ladj Ly

Le film de la semaine : Les Misérables de Ladj Ly
Par Frédéric Ponsard
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Les Misérables est un premier film signé Ladj Ly, une plongée au coeur de la cité de Montfermeil, 150 ans après Victor Hugo. Le film a remporté le Prix du Jury à Cannes et représente la France pour la course aux Oscars.

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Les Misérables de Ladj Ly (1h42)

Sortie le 20 novembre 2019

C’est un film coup de poing qui est à la fois une plongée sans concession dans le monde de cités et un manifeste de la condition de ceux qui y habitent, qu’il soit flics ou dealers, jeunes ou vieux, hommes ou femmes… Au final, une même misère qui n’a qu’une issue : la violence.

Il y a une phrase du film à mettre en exergue et qui résume la pensée du réalisateur : « Il n’y a pas de mauvaises graines, ni mauvais arbres. Il n’y a que de mauvais cultivateurs ». Et ceci est vrai à Montfermeil, dans le 93, comme partout ailleurs. Le déterminisme est là, certes, sans fatalité, mais avec beaucoup d'obstacles.

Les Misérables est le premier long métrage de fiction d'un petit surdoué de la caméra qui vient des quartiers. Avec le collectif Kourtrajmé depuis 20 ans –à découvrir ici- ils ont depuis longtemps creusé le sillon d’un cinéma puissamment mis en images (et en son), souvent militant et témoin de ce qu’il se passe dans les cités. Lad Ly est l’auteur entre autres de 365 jours à Clichy Montfermeil -en visionnage gratuit ici- réalisé après les émeutes qui ont secoué la France en 2005 après la mort de Bouna et Zyed. Il a aussi réalisé une fresque de plus de 700 portraits d'habitants du quartier avec l'artiste photographe JR. Bref, qui de mieux que lui (Ly ;-) pour nous y emmener et nous servir de guide ?

Ladj Ly est un français, fils d'immigrés maliens, qui avait 17 ans lorsque la France a remporté sa (première) coupe du Monde de football. Une explosion et un rêve unitaire black-blanc-beur qui a fait long feu depuis. Son film commence en tout cas sur la liesse, 20 ans plus tard, lorsque l'équipe de France réédite son exploit en 2018. Les Champs-Elysées sont noirs de monde, et le drapeau tricolore et les maillots bleus partout. Parmi la foule, un groupe de jeunes filmés en train de vivre le suspense du match, puis la délivrance de la victoire. Une joie spontanée, filmée en mode documentaire, montrant les visages rayonnants d'Issa, Buzz and Co., venu du 93 en bande pour participer à la liesse nationale. On rentre au quartier, à Clichy-Montfermeil, et plus précisément aux Bosquets, à deux pas de là où commencèrent les émeutes en 2005.

Avec sa caméra et à travers ses personnages, il nous immerge non seulement avec plusieurs jeunes ados du quartier et les grands frères qui gèrent et contrôlent, mais aussi -et c'est bien le génie du film- avec 3 flics de la BAC (Brigade anti-criminalité). Trois personnages très différents, Chris le chef de l'équipe, impulsif et constamment sur les nerfs, Gwanda, un black à dreadlocks issu de la banlieue et Ruiz, fraîchement arrivé de Normandie, et qui va se retrouver plonger dans la violence d'une réalité dont il ne soupçonnait pas l’existence.

Il y a beaucoup à dire sur la maîtrise du film, sa temporalité (tout va se passer en une seule journée), son écriture au cordeau (co-écrit par celui qui interprète Chris, le flic borné, Alexis Menanti) où aucun personnage n'est oublié, et enfin son montage nerveux et sans temps mort. Chaque dialogue est ciselé, rempli d'un vocabulaire de la rue rude, direct et aussi, souvent, très drôle. Car Ladj Ly ne fait pas un film à thème (ou à thèse), il montre les gens, le peuple des cités, jeunes ou vieux, des policiers et des femmes au foyer, des commerçants et des chômeurs, bref tout ce qui compose une communauté, notre société. Il injecte à ce fond criant de vérité, une histoire qui va monter crescendo pour se terminer en syncope, à l'instar du Spike Lee de Do the Right Thing (pour New York et Brooklyn) ou du John Singleton de Boyz' in the Hood (pour Los Angeles et South Central). Plus que La Haine de Mathieu Kassovitz ( qui a une approche très esthétique, avec un noir et blanc très contrasté), c'est aussi et surtout le cinéma américain qu'il faudrait associer aux Misérables pour son côté réel et caméra au poing.

Heureusement donc, il y a le cinéma, et des gens comme Ladj Ly qui, en plus de livrer un film complexe et plein d'humanité, donne à voir une situation de l'intérieur que tous les médias du monde ne pourront qu'effleurer. Le film est tout sauf manichéiste, et renvoie à une réalité protéiforme, un climat social délétère pour les jeunes comme pour les flics qui travaillent dans ces cités. Et plus largement, à ce mécontentement général qui traverse la société française actuellement, exacerbé pendant des mois par le mouvement des gilets jaunes… Bref, un film synchrone avec les temps qui courent.

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