Qu'est ce que le "Juneteenth" et pourquoi ce jour a une résonance particulière cette année ?

Des manifestants s'agenouillent dans un moment de silence devant le commissariat de Long Beach, le 31 mai 2020, lors d'une manifestation en mémoire à George Floyd.
Des manifestants s'agenouillent dans un moment de silence devant le commissariat de Long Beach, le 31 mai 2020, lors d'une manifestation en mémoire à George Floyd. Tous droits réservés AP Photo/Ashley Landis
Tous droits réservés AP Photo/Ashley Landis
Par Thomas Seymat avec AP & AFP
Partager cet articleDiscussion
Partager cet articleClose Button

Le 19 juin 1865, le général de l'Union Gordon Granger lit la proclamation de l'Emancipation au Texas, dernier Etat confédéré à avoir libéré les esclaves. Voici comment, cette date est depuis devenue "Juneteenth", journée célébrant pour beaucoup la fin de l'esclavage aux Etats-Unis.

PUBLICITÉ

A l'origine du mot "Juneteenth", c'est la contraction des mots anglais "June" (juin) et "nineteenth" (dix-neuvième), c'est à dire le 19 juin. C'est cette date qui est choisie aux Etats-Unis par des nombreuses personnes, organisations et même des Etats, pour commémorer l'abolition de l'esclavage. Cette année, 155 ans après le premier Juneteenth, la célébration prend une signification toute particulière, moins d'un mois après la mort de George Floyd, un Américain noir asphyxié par un policier blanc et les manifestations du mouvement Black Lives Matter qui ont suivi.

L'origine historique de Juneteenth

Le 19 juin 1865, le général de l'Union Gordon Granger lit la proclamation de l'Emancipation — promulguée par le président Abraham Lincoln trois ans plus tôt, le 22 septembre 1862 — à des esclaves afro-américains au Texas, dernier Etat confédéré à avoir libéré les esclaves après la fin de la Guerre de Sécession. L'Ordre Général Numéro 3 de Granger débute ainsi :

Le peuple du Texas est informé que, conformément à une proclamation de l'exécutif des États-Unis, tous les esclaves sont libres. Cela implique une égalité absolue des droits et des droits de propriété entre les anciens maîtres et les esclaves, et le lien qui existait jusqu'alors entre eux devient celui entre l'employeur et le travailleur embauché
Gordon Granger
Général de l'Union
AP Photo/Evan Vucci, Archives
Cette photo montre la Proclamation de l'émancipation originale exposée dans la rotonde des Archives nationales à Washington DC.AP Photo/Evan Vucci, Archives

Mais, ce 19 juin 1865, s'il y a des célébrations par des anciens esclaves au moment de cette annonce, "la magie n'a pas été instantanée pour la plupart des 250 000 esclaves de l'État. Dans les plantations, les maîtres devaient décider quand et comment annoncer la nouvelle,_ ou attendre l'arrivée d'un agent du gouvernement.__ Il n'était pas rare qu'ils retardent cette annonce jusqu'après la récolte_" explique Henry Louis Gates Jr., professeur et directeur du Centre Hutchins pour la recherche africaine et afro-américaine à l'Université de Harvard.

Il s'est en plus écoulé près de deux ans et demi entre la Proclamation, promulguée par le président Abraham Lincoln le 22 septembre 1862, qui déclare tous les esclaves libres en territoire confédéré et ce premier Juneteenth en 1865. Le texte fédéral n'était d'ailleurs lui-même devenu officiel que le 1er janvier 1863, en pleine Guerre de Sécession. 

Lincoln n'est plus là ce jour de juin 1865 pour assister à la fin officielle de l'esclavage dans tous les Etats des Etats-Unis, puisqu'il meurt, assassiné, le 15 avril 1865.

De toutes les dates possibles pour célébrer l'abolition de l'esclavage aux Etats-Unis, "le 19 juin est celle qui se rapproche le plus du solstice d'été (ce vendredi 21 juin), le jour le plus long de l'année, où le soleil, à son zénith, défie l'obscurité dans tous les Etats, y compris ceux qui étaient autrefois dans l'ombre de l'esclavage" explique le professeur Gates, qui est aussi critique littéraire. "En choisissant de célébrer le dernier endroit du Sud que la liberté a touché (...) nous nous souvenons de la brillante promesse d'émancipation, ainsi que du chemin sanglant que l'Amérique a pris en retardant et en différant l'accomplissement de ces simples mots imprévus dans l'ordre n° 3 du général Granger : 'Cela implique une égalité absolue des droits personnels et des droits de propriété entre les anciens maîtres et les esclaves' ".

Un Juneteenth 2020 particulier

Cette année, les célébrations de Juneteenth tombent moins d'un mois après la mort de George Floyd, un Américain noir tué à Minneapolis par un policier blanc lors d'une interpellation. Sa mort a déclenché des manifestations liées au mouvement Black Lives Matter à l'échelle mondiale et confère à ce 19 juin 2020 une signification tragique.

Ce jeudi, la présidente de la Chambre des Représentants, Nancy Pelosi, a qualifié Juneteenth de "belle et fière célébration de la liberté pour les Afro-Américains". Elle a aussi noté que la célébration de cette année intervient "dans un moment d'angoisse nationale extraordinaire, alors que nous pleurons les centaines de Noirs américains tués par l'injustice raciale et la brutalité policière, tels George Floyd, Breonna Taylor, Ahmaud Arbery et tant d'autres".

[Juneteenth] intervient dans un moment d'angoisse nationale extraordinaire, alors que nous pleurons les centaines de Noirs américains tués par l'injustice raciale et la brutalité policière...
Nancy Pelosi

Mme Pelosi a d'ailleurs fait cette déclaration alors qu'elle ordonnait le retrait du Capitole des portraits honorant quatre anciens présidents de la Chambre qui ont servi dans la Confédération sudiste esclavagiste.

Côté républicain, le président Donald Trump, qui avait prévu de tenir son premier meeting de campagne depuis le début de la pandémie le 19 juin à Tulsa (Oklahoma) a finalement accepté de décaler sa venue. Le président, qui porte un lourd passif de remarques controversées aux sujets des Noirs, avait initialement essuyé des critiques sur le choix de la date, mais aussi de l'endroit. En effet, en 1921, un riche quartier noir d'affaires de Tulsa avait été attaqué et totalement détruit par une foule de Blancs lors d'un massacre qui a fait 300 morts.

Avec un égocentrisme dont il a le secret, le président a affirmé dans une interview donnée au Wall Street Journal que "personne n'avait jamais entendu parler" de la célébration du 19 juin avant qu'il ne prévoie un meeting à Tulsa ce jour-là. "J'ai fait quelque chose de bien : j'ai rendu Juneteenth très célèbre" prétend M.Trump durant l'interview. L'administration Trump a pourtant envoyé un communiqué portant sur les célébrations du 19 juin lors de chacune des trois premières années du président républicain à la Maison-Blanche, selon le Wall Street Journal.

Reconnaissance par de nouveaux Etats...

Plusieurs États célèbrent déjà Juneteenth. En raison de ses racines historiques, c'est le Texas qui, le premier, en a fait un jour férié en 1980 sous l'impulsion d'un élu afro-américain, Al Edwards. Ce dernier a déclaré à Yahoo en 2007: "Chaque année, nous devons rappeler aux générations successives que cet événement a déclenché une série d'événements qui, un par un, définissent les défis et les responsabilités des générations successives. C'est pourquoi nous avons besoin de cette fête".

En 2020, les Etats de New York et de la Virginie se sont ajoutés à la liste des Etats ayant fait le choix de reconnaître cette date officiellement.

"Ce n'est pas seulement une célébration par et pour certains Virginiens, mais une célébration reconnue et célébrée par nous tous," a déclaré, à propos de la commémoration du 19 juin, M. Northam, le gouverneur de Virginie, Etat où se trouvait l'ancienne capitale sudiste.

Le gouverneur démocrate a décidé de faire de ce vendredi un jour férié pour tous les employés de son administration. Ralph Northam entend également faire passer une loi faisant du 19 juin un jour férié permanent. Cette loi devrait être adoptée sans trop de difficultés par le corps législatif contrôlé par le parti démocrate selon l'agence AP.

Dans l'Etat de New York, le gouverneur Andrew Cuomo a lui aussi signé un décret mercredi reconnaissant le 19 juin comme jour férié payé pour les employés de l'Etat. Il a également déclaré qu'il proposerait l'année prochaine une loi faisant du 19 juin un jour férié permanent. "C'est un jour auquel nous devrions tous réfléchir. C'est un jour qui est particulièrement pertinent en ce moment de l'Histoire", a déclaré le gouverneur Cuomo, lui aussi un démocrate.

...et par de nouvelles entreprises

Plus tôt en juin, le patron de Twitter Jack Dorsey avait annoncé que le 19 juin serait désormais un jour férié aux Etats-Unis pour ses deux sociétés, Twitter et Square, "pour toujours". Ce sera "une journée de célébration, d'éducation et de connexion", a-t-il précisé dans un tweet.

"Les pays et régions du monde ont leurs propres dates pour fêter l'émancipation et nous allons travailler à en faire des jours fériés dans nos entreprises partout où nous sommes présents", a ajouté M. Dorsey.

PUBLICITÉ

Autre marque américaine mondialement connue, l'équipementier Nike a lui-aussi décrété que Juneteenth allait être un jour férié pour ses employés. "Chez Nike, Inc. nous aspirons à être un leader dans la construction d'une équipe et d'une culture diversifiée et inclusive. Nous voulons être meilleurs que la société dans son ensemble", a déclaré le PDG de la marque à la virgule, M. Donahoe.

Il a ajouté que la date du 19 juin est une occasion "de mieux commémorer et célébrer l'histoire et la culture des Noirs" et a promis du changement pour les nombreux salariés afro-américains de la marque. "Vous m'avez dit que nous n'avons pas toujours soutenu, reconnu et célébré nos propres coéquipiers noirs comme ils le méritent. Cela doit changer".

Les chaînes de montage des usines des constructeurs automobiles de Detroit s'arrêteront aussi ce vendredi pour commémorer la fin de l'esclavage aux États-Unis et pour soutenir les manifestations après la mort de George Floyd.

Le travail s'arrêtera dans les usines de Ford, General Motors et Fiat Chrysler pendant près de neuf minutes à 8h46 ; le syndicat des travailleurs de l'automobile a organisé des manifestations pour l'occasion.

"Nous faisons cela pour soutenir les millions de personnes qui réclament la fin du racisme et de la haine et demandent de véritables réformes", a écrit le président du syndicat, Rory Gamble, dans une note adressée aux 400 000 membres du syndicat UAW.

PUBLICITÉ
Partager cet articleDiscussion

À découvrir également

Mike Pence, l'ancien vice-président américain, affirme que l'aide à l'Ukraine est imminente

Procès Trump : aucun juré choisi à l'issue du premier jour

New York touché par un séisme de magnitude 4,8