Covid-19 : quelles répercussions sur l'usage de drogues et l'accompagnement ?

Hôpital de la Croix-Rousse, Lyon
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Par Audrey Tilve
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Depuis la sortie du confinement, les demandes de prise en charge se multiplient dans les services d'addictologie. Explications d'un addictologue et témoignage d'un patient dépendant à l'héroïne.

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L’ampleur du phénomène est connue : près de 30% des Européens ont déjà consommé des drogues illicites, 16 % des jeunes adultes l’ont fait au cours des 12 derniers mois, selon les données de l'Observatoire européen des drogues et toxicomanies (EMCDDA).

Savoir ce qu’il en est depuis la déflagration « Covid » est beaucoup plus aléatoire. Les organismes de veille manquent de recul, et lorsqu’il y a des chiffres, ce sont des instantanés très localisés qui datent de la période du confinement.

L’usage des drogues a-t-il reflué depuis l’apparition du virus ? À en croire les synthèses de l’EMCDDA et de son équivalent français, le confinement et ses corollaires (mobilité réduite, raréfaction de l’offre et des occasions) ont eu tendance à faire décliner les usages « récréatifs » de cocaïne ou de MDMA, pas forcément la consommation de cannabis et d’opioïdes.

Mais c’est l’après-confinement qui a marqué une tendance forte : un déferlement de demandes d’accompagnement et de soins dans les services d’addictologie.

Un « raz de marée » dans les services d’addictologie

DR
Pr Benjamin RollandDR

Benjamin Rolland n’avait jamais connu pareille affluence de nouveaux patients. Ce professeur de psychiatrie et d’addictologie, responsable des services hospitalo-universitaires d’addictologie lyonnais, a vu arriver dans ses services environ 50% de nouveaux visages, bien plus que les 15% à 25% habituels.

« Nous sortions d’une période de stress, qui avait pu conduire des usagers à augmenter leur consommation de substances, explique-t-il. Ces personnes n’avaient peut-être pas encore franchi les critères cliniques de l’addiction avant le confinement mais elles avaient “décompensé” ces consommations sous l’effet du stress et de l’isolement, et ressentaient le besoin de se faire aider. Et puis, ces demandes de soins étaient aussi souvent des demandes de présence et de réassurance, une façon de renouer des contacts. »

« 20 ans de came, 25 ans de tout le reste »

Léo (nous l’appellerons ainsi pour préserver son anonymat) a, lui, été pris en charge par les services d’addictologie de Lyon au début du confinement. Premières drogues consommées à l’âge de 13 ans, 38 ans aujourd’hui, une vie aux prises avec la dépendance.

Matt Rourke/Copyright 2017 The Associated Press. All rights reserved.
Injection d'héroïneMatt Rourke/Copyright 2017 The Associated Press. All rights reserved.

« Ça a d’abord été le cannabis, puis d’autres choses, un peu de tout, amphétamines, cocaïne, mais surtout héroïne, confie-t-il. Il y a eu très peu de périodes où j'ai arrêté, j'avais toujours une addiction ou une autre. »

Cela ne l’empêche pas de travailler. Il est même employé depuis 10 ans dans une grande enseigne quand tombe le coup de massue…

« J’espérais une petite évolution, l’année s’était bien passée. On m’a annoncé que je ne l’aurais pas. J’ai compris qu’on me ralentissait, que je n’évoluerais pas. »

Léo sombre alors dans le burnout. Il atterrit aux urgences, puis en unité psychiatrique de crise, avant d’accepter de prendre un traitement de substitution aux opiacés (TSO). Le suivi est rigoureux mais compliqué par la pandémie. « Les premiers temps, quand je revenais à l’hôpital pour mes rendez-vous, j’avais peur d’attraper le virus, j’étais encore faible », raconte Léo.

« Nous avons dû nous adapter »

« Avec le confinement, il y a eu un arrêt quasi-total des services d’addictologie. Les services hospitaliers étaient reconditionnés pour accueillir des patients Covid », rappelle le Pr Rolland.

Avec le confinement, il y a eu un arrêt quasi-total des services d’addictologie.
Benjamin Rolland
Professeur de psychiatrie et d'addictologie

« Nous avons dû nous adapter, notamment en organisant des téléconsultations qui se sont avérées être très utiles pour les patients partiellement ou totalement stabilisés que l’on connaissait déjà bien. Le taux de réponse et d’assistance aux rendez-vous était bien plus élevé qu’en consultation classique. Donc on a pérennisé cela, c’est une leçon très forte de la crise. Évidemment, nous ne renouvelons les ordonnances de TSO par téléphone que pour les patients stabilisés, en accord avec la pharmacie de proximité. On ne s’amuse pas à faire de l’initiation de méthadone chez les gens qu’on ne connaît pas », insiste-t-il.

Plus de contaminations chez les usagers ?

Partage des joints de cannabis, des pailles de cocaïne, du matériel de préparation ou manipulation des comprimés d'ecstasy… Les risques de transmission du Covid-19 liés à ces comportements à risque, a fortiori en groupe, sont forcément plus élevés.

Mais le Pr Rolland tempère : là aussi, on manque de données par accréditer l'idée d'un taux de contamination plus élevé parmi les consommateurs de drogues. « On attendait par exemple un raz de marée de cas de Covid dans les hôpitaux psychiatriques – rappelons que 30% à 60% des personnes atteintes d'addiction ont des troubles psychiatriques associés – et finalement, ça n'a pas été le cas. »

Un dispositif fragile

En revanche, la crise du coronavirus n'a fait que confirmer une réalité déjà bien connue du secteur : l'addictologie reste le parent pauvre des politiques de santé.

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CSAPA de la Croix-RousseEuronews

« Les CSAPA, les centres de premier recours addictologique, étaient déjà saturés pour la plupart avant la crise sanitaire, et l'afflux de nouvelles demandes n'a pas pu être épongé convenablement parce que les moyens ne sont pas à la hauteur des besoins, résume Benjamin Rolland. Nous espérons que le Ségur de la santé apportera des améliorations, mais ça reste à voir. »

Un accompagnement au long cours

L'enjeu est d'autant plus important que la prise en charge des patients en addictologie est un travail de longue haleine. Pour les opioïdes, l'une des dépendances dont il est le plus difficile de se libérer, c'est sur un horizon de 5 à 10 ans que se mesure réellement la rémission, avec ou sans traitement de substitution. Les taux d'évolution favorable sur cette période se situent entre 30% et 40%.

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Opoïdes : un long cheminement vers la rémissionEuronews

Mais l'arrêt complet n'est pas forcément le but ultime. Le plus important, ce sont la résilience et « le critère fonctionnel : que la personne retrouve une vie normale, qu'elle soit insérée, qu'elle travaille, qu'elle fonde une famille, même s'il y a encore des usages ponctuels d'opioïdes », précise le Pr Rolland.

Saisissant de lucidité, le témoignage de Léo reflète ce cheminement vers un sevrage au long cours, près de six mois après le début de sa prise en charge. « Quand vous prenez un traitement de substitution, on vous fait signer des papiers, vous vous engagez à être suivi et à accepter les contrôles, les analyses. C'est normal, ça doit être réfléchi. On vous dit qu'il ne faut pas vous attendre à quelque chose qui va durer quelques mois. »

À la question de savoir s'il pense être sorti d'affaire, il répond : « Je le souhaite, mais c'est trop tôt pour le dire. » Alors Léo poursuit sa route, armé d'une détermination qu'il n'avait pas eue jusque-là, fermement amarré à sa nouvelle routine ; suivi psychologique tous les 10 jours, suivi infirmier tous les 14 jours, suivi avec le médecin tous les mois, séances de relaxation aussi pour « accepter le mal qui est là, sans juger, et voir ce qu'on en fait… »

Retrouvez ici la liste des centres et services traitant les addictions à Lyon.

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