Contrôles au faciès : des ONG assignent l’État français en justice

Des policiers contrôlent un homme à Sarcelles, au nord de Paris, le 3 février 2021.
Des policiers contrôlent un homme à Sarcelles, au nord de Paris, le 3 février 2021. Tous droits réservés ALAIN JOCARD, AFP
Par Louise Brosolo avec AFP
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Face au silence du gouvernement, six ONG saisissent jeudi la justice à travers une action de groupe pour faire cesser les "contrôles d'identité discriminatoires" par la police.

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Face au silence de l'État Français, six ONG saisissent, jeudi 22 juillet, la justice à travers une action de groupe pour faire cesser les "contrôles d'identité discriminatoires" par la police.

Cette procédure, menée par six associations, dont Amnesty International et Human Rights Watch, avait été déclenchée en janvier. Les ONG avaient dans un premier temps mis en demeure le gouvernement d'engager des "réformes structurelles" et de "prendre des mesures concrètes" afin de faire cesser ces contrôles. Les autorités avaient quatre mois pour répondre. Le délai étant arrivé à son terme, les associations passent jeudi à la deuxième étape, en déposant leur requête devant le Conseil d'État.

Les organisations demandent au Conseil d'État de constater le grave manquement de l'État consistant à laisser perdurer la pratique systémique des contrôles au faciès
Amnesty International

"Les organisations demandent au Conseil d'État de constater le grave manquement de l'État consistant à laisser perdurer la pratique systémique des contrôles au faciès, et d'enjoindre aux autorités de prendre les mesures nécessaires pour y remédier" a déclaré jeudi Amnesty International dans un communiqué.

La plus haute juridiction administrative "a ensuite plusieurs façons de procéder", explique Antoine Lyon-Caen, avocat qui porte le dossier avec Mes Slim Ben Achour et Alexandra Denis. "Elle peut demander à l'État ce qu'il compte faire, puis contrôler si les réponses proposées sont satisfaisantes", explique Me Lyon-Caen, ajoutant que le conseil d'État "peut aussi être plus interventionniste et tracer des lignes en disant : il faut que les choses évoluent sur tel ou tel point".

Leur procédure s'inspire d'un précédent américain : en 2013, après une "class action" (ou action groupée) la justice américaine avait "décidé de transformer la pratique policière des contrôles d'identité dans l'État de New York, ça a conduit à une baisse draconienne des contrôles", explique Me Lyon Caen.

"C'est un sujet qui a avancé : on en parle plus qu'avant mais en terme de solutions on est au point zéro", estime Issa Coulibaly, le président de Pazapas Belleville, une autre association partie prenante de la procédure. "C'est pour cela que nous avons décidé de passer, de manière collective, par le droit, qui peut peut-être contraindre l'État à mettre en place les mesures que beaucoup proposent depuis des années et qui existent dans d'autres pays".

"Interdire explicitement la discrimination dans les contrôles d'identité"

Dans leur requête, les associations réclament notamment la modification du code de procédure pénale pour "interdire explicitement la discrimination dans les contrôles d'identité" car la loi française cultive le flou en la matière.

Les six ONG demandent une réforme en profondeur des contrôles d’identité afin d’encadrer strictement le pouvoir de police lors des contrôles judiciaires avec entre autres, la création "d'instructions spécifiques pour les contrôles ciblant les mineurs" et la mise en place d'un mécanisme de plainte "indépendant et efficace".

Le "récépissé", une proposition enterrée en 2012

Les associations demandent également de mettre à disposition "de toute personne contrôlée une preuve de contrôle", sur le modèle du récépissé.

En juin 2012, après l'élection de François Hollande, le gouvernement promettait la mise en place d'un système de "reçus" adressés aux personnes contrôlées pour éviter à un même individu d'être contrôlé plusieurs fois dans la même semaine. Un projet très vite abandonné par l'exécutif, qui le jugeait trop compliqué à mettre en place.

Cette mesure s'inspire de dispositifs existant à l'étranger, notamment au Royaume-Uni, où chacun peut réclamer un document sur lequel figurent le numéro de matricule de l'agent, le motif, la date ou encore l'heure du contrôle. Les policiers gardent une copie de chaque exemplaire.

Depuis 2011, l'usage du récépissé a fait baisser drastiquement les contrôles d'identité en Grande-Bretagne, passant de 1,2 million en 2011 à 280 000 en 2018, selon un rapport du HMICFRS, un service du gouvernement britannique en charge de l'inspection de la police.

Vingt fois plus contrôlés que les autres

Mais le contrôle au faciès perdure outre-manche, où, toujours selon cette même étude, les personnes issues des minorités ethniques étaient en 2020, 4 fois plus susceptibles d'être arrêtés et fouillés que les blancs et jusqu'à près de 9 fois de plus pour les noirs.

Des chiffres tout de même bien moins élevés qu'en France où un rapport du Défenseur des droits avait conclu en janvier 2017, qu'un "jeune homme perçu comme noir ou arabe (...) a une probabilité 20 fois plus élevée" d'être contrôlé que l'ensemble du reste de la population.

"Un jeune homme perçu comme noir ou arabe (...) a une probabilité 20 fois plus élevée d'être contrôlé."
Le Défenseur des droits

Dans l'hexagone, où les statistiques ethniques sont interdites, impossible de se baser sur des chiffres officiels. L'action du collectif d'ONG s'appuie donc sur des témoignages, des études ou des procédures françaises documentant ces discriminations.

La dernière en date remonte à juin avec la condamnation de l'État pour le contrôle d'identité jugé "discriminatoire" par la cour d'appel de Paris de trois lycéens de Seine-Saint-Denis par des policiers à Gare du Nord en 2017.

Déjà en 2016, la Cour de cassation avait pour la première fois définitivement condamné l'État français pour des contrôles d'identité "au faciès".,

"C'est quelque chose qui revient très souvent dans les histoires des jeunes hommes, particulièrement", explique Issa Coulibaly. Ce type de contrôles a "des impacts forts sur leur sentiment d'exclusion, avec l'impression de ne pas être des Français à part entière parce que traités différemment", détaille-t-il.

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Inaction du gouvernement

Lors d'une interview à Brut en décembre 2020, le président Français, Emmanuel Macron, avait admis l’existence des contrôles aux faciès et annoncé la création d’une plateforme pour dénoncer les discriminations subies lors de contrôles policiers.

"Aujourd'hui quand on a une couleur de peau qui n'est pas blanche, on est beaucoup plus contrôlé (..) On est identifié comme un facteur de problème et c'est insoutenable."
Emmanuel Macron
Le 4 décembre 2020

Les propos du chef de l'État avaient déclenché une levée de bouclier des syndicats de policiers, qui avaient rejeté les accusations de racisme au sein de la police.

Le site Antidiscriminations.fr a par la suite été lancé, le 12 février 2021, pour accompagner des personnes face à des "situations de discrimination" mais le site reste vague et ne fait aucune mention des contrôles de police jugés discriminatoires.

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